Pierre Huyghe : l’exposition qui n’existait pas

par Mickaël Pierson

 

Mickaël Pierson est historien de l’art. Il est l’auteur d’un doctorat en art, esthétique et sciences de l’art de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne sur le thème : De la salle obscure à l’exposition et au-delà : appropriation et réinterprétation du cinéma par les artistes plasticiens 1986-2016. Il travaille sur les circulations entre le cinéma et les arts plastiques et la redéfinition des pratiques artistiques. En 2013, il organise avec Fleur Chevalier et Marie Vicet les journées « Du studio au plateau de télévision : appropriations, détournements et réinterprétations par les artistes » à l’INHA à Paris. Ses textes ont été publiés dans diverses revues (Chimères, L’Art même, Magazine du Grand Palais, Marges, exPosition) et ouvrages consacrés aux travaux de divers artistes (Brice Dellsperger, Nicolas Rubinstein, Francesco Vezzoli, Bill Viola…).

 

La question de l’exposition ou de la ré-exposition peut s’avérer complexe dans le cadre d’œuvres pensées pour un contexte, un espace et un temps spécifiques. C’est une problématique à laquelle se retrouve régulièrement confronté l’artiste français Pierre Huyghe (né en 1962). Depuis le début des années 1990, une large partie de ses projets revêt une dimension éphémère et performative. Sa pratique se heurte à des problèmes similaires à ceux des premiers artistes de la performance : un art éphémère qui ne s’incarne pas nécessairement en un objet et se trouve donc difficile à exposer (et par là-même à vendre). Comme pour ces derniers, la photographie, puis l’enregistrement filmé peuvent s’offrir, pour Huyghe, comme des moyens de transcrire l’événement[1]. Des gestes simples (de discrètes actions sur l’espace et le mobilier urbains comme Daily Event 1, 2, 3 en 1994 ; le traçage d’un nouveau sentier avec Or en 1995) ou plus complexes (Extended Holidays en 1996, une exposition qui prend la forme d’un voyage de vacances pour quelques étudiants) sont traduits par une ou plusieurs images fixes ou en mouvement. D’autres actions ne donnent lieu, à leur issue, à aucun objet. Les Passagers (1996) propose à quelques participants d’effectuer un trajet nocturne en bus à travers une ville tandis qu’une captation filmée du même trajet de jour est diffusée à l’intérieur du véhicule. Cet événement est documenté[2], mais il n’en résulte à ce jour pas d’œuvre à exposer.

Du fait de la nature de son travail, la question de l’exposition est un nœud central dans la carrière de Pierre Huyghe. Quelle forme et quel format donner à l’éphémère pour le faire exister dans l’espace d’exposition ? L’œuvre en tant qu’objet à exposer vient régulièrement chez lui évoquer et redoubler un événement réel passé. L’ « objet d’art » est ainsi non pas une répétition, mais une transcription nécessaire dudit événement. En parcourant le travail de l’artiste, nous viendrons montrer comment les premières tentatives d’enregistrement d’un événement laissent volontairement de la place au contexte dans lequel celui-ci s’inscrit. Dans ses projets ultérieurs, la traduction filmique de l’événement flirte volontiers avec sa dimension fictionnelle. La captation ne permettant jamais réellement une transcription littérale, Huyghe exploite finement la distance entre celle-ci et l’événement pour l’emmener ailleurs. Cet aspect devient primordial lorsque le format de l’œuvre résiste, comme nous le verrons, à l’exposition dans son espace conventionnel. Chez Huyghe, l’œuvre n’est ainsi pas nécessairement la même à chacune de ses présentations. Ce qui amène à se poser la question de la rétrospective et de sa possibilité, pour une œuvre aussi mouvante et évolutive.

Filmer le réel : les traces d’une action et son contexte

La vidéo et le film apparaissent tôt chez Huyghe non seulement comme des relais nécessaires à la traduction de l’œuvre en un objet, mais aussi en tant que sièges de discours sur la construction des images et des récits contemporains. À l’exception de captations de jeunesse lors de voyages et de recherches (le montage d’archives filmiques À Part, 1986-1987), l’artiste réalise sa première vidéo en 1994. Dévoler[3] montre Huyghe, dans deux brèves séquences, déposer un objet dans un magasin, soit ajouter un stock improbable au lieu de le voler[4]. La captation de l’action est ici relativement brute.

Par la suite, son rapport à l’image en mouvement se complexifie. Remake[5] (1994-1995) est le retournage en intégralité et à l’identique (scénario, mise en scène, montage) du film Fenêtre sur cour (1954) d’Alfred Hitchcock dans un immeuble d’une banlieue parisienne en cours de construction avec ses habitants. Le principe et l’intérêt résident moins dans le film en tant que résultat, que dans le film en tant que partition et projet. L’artiste dira plus tard : « ce qui m’intéressait était d’étudier comment une fiction, comment une histoire, pouvait en fait produire un certain type de réalité. […] nous pouvons appeler cette fiction une “partition[6]” ». Le scénario original est ici pris comme une partition à redéployer pour questionner le réel. La prise en main de la fiction et du dispositif originel par les nouveaux interprètes et les conditions du retournage prennent autant d’importance que la trame narrative. Remake comprend le processus complet qui mène au remake exposé sous forme filmique.

Le débordement et les passages incessants entre fiction et contexte de l’œuvre sont mis en avant dans L’Ellipse[7] (1998) qui, sous la forme d’une triple projection, rend compte de la tentative de combler une ellipse narrative dans le film L’Ami américain (1977) de Wim Wenders. Huyghe filme l’acteur Bruno Ganz effectuant le trajet de son personnage de l’appartement à un hôtel à Paris, jamais tourné ou finalement exclu du montage. Sur les écrans latéraux, on découvre deux séquences du film de Wenders, tandis que sur l’écran central l’acteur américain traverse, vingt ans plus tard, le pont le menant au lieu de rendez-vous du personnage. Ce que montre ce segment contemporain de l’installation n’est pas seulement le fragment omis dans le film initial, mais aussi les écarts temporels entre les deux tournages et la fiction en butte avec le réel (Ganz heurté par un « vrai » cycliste), soit la réalité de ce déplacement dans l’espace et dans le temps (le vieillissement du comédien est aisément perceptible). La vidéo est une trace, l’enregistrement d’une action précise qui, plutôt que de l’abstraire, laisse de la place et met en exergue le réel et ses accidents.

Fictionnaliser le document 

Photographies et enregistrements filmés dépassent souvent dans le travail de Huyghe la simple transcription documentaire pour intégrer en eux la part de fiction que l’événement met en place. En 1993, La Toison d’or[8] est une manifestation à Dijon : l’artiste demande à un groupe d’adolescents de revêtir les costumes des animaux qui figurent sur les armoiries de la ville. Le blason dijonnais inspira aussi la création d’un parc d’attraction récemment fermé. De même, « La Toison d’or » est le nom d’un centre commercial de la ville. Ces personnages, représentations symboliques de la cité, investissent le jardin de l’Arquebuse. En amont de la manifestation, on trouvait à l’office de tourisme un dépliant montrant des vues de l’événement avant même qu’il n’ait eu lieu. La documentation précède ici l’action. L’image précède l’œuvre qui est à venir[9].

Une problématique similaire se pose dans les vidéos et films ultérieurs de l’artiste. L’image en mouvement peut être l’enregistrement plus ou moins fidèle de l’action[10], elle peut aussi volontairement proposer une bifurcation[11] pour emmener cette action ailleurs. Huyghe n’hésite pas à creuser et travailler l’intervalle entre la réalité de l’événement et sa captation. En 2005, Huyghe entreprend une expédition en Antarctique à bord du Tara, voilier de Jean-Louis Etienne destiné à la recherche scientifique et la défense de l’environnement. Deux présupposés donnent lieu à ce voyage : l’un scientifique, l’autre fictionnel. Du fait de la fonte des glaces, de nouvelles îles, ne figurant sur aucune carte, apparaissent. Il s’agit alors d’aller découvrir et de cartographier une île qui sera enregistrée auprès des autorités chiliennes[12] sous le nom de Isla Ociosidad/Île de l’Oisiveté. Aux côtés de cette recherche scientifique, l’artiste propose une quête fondée sur la rumeur de l’apparition d’une nouvelle espèce animale : un mythique pingouin albinos errant sur l’île. Plusieurs œuvres évoquent ce voyage : une photographie (A Journey that wasn’t, 2008), une sculpture sonore animatronique de l’animal (Creature, 2005) et un pavillon mobile reprenant la forme de l’île (Terra Incognita/Isla Ociosidad Pavilion, 2006[13] avec François Roche, R&Sie(n) architectes).

Un film d’une vingtaine de minutes, A Journey that wasn’t (2005)[14], retrace aussi l’expédition. Mais ce film ne peut être résumé ou réduit au documentaire. Il est autre chose : tout autant fiction et dérive que transcription. Aux images de l’expédition se mêlent des plans tournés plus tard la même année sur la patinoire de Central Park à New York. Des volumes évoquant les reliefs de l’île récemment découverte en recouvrent la surface, tandis qu’un orchestre interprète une partition écrite d’après les données topographiques de l’île.

« Les intensités sonores déclenchent des variations lumineuses éclairants par moments l’étendue noire sur laquelle l’animal automate se déplace. Pendant que le public assiste à une équivalence de l’expédition, l’événement est diffusé live à la radio[15]. »

Si l’artiste emploie le terme d’ « équivalence » pour la transcription new-yorkaise de l’expédition, il peut être appliqué également au film qui en est tiré. Face à une impossibilité à représenter réellement et fidèlement le voyage, Huyghe opte pour une transcription et une représentation du lieu découvert sous la forme d’un spectacle musical, puis de divers objets d’exposition. Le film A Journey that wasn’t déborde le seul voyage pour embrasser la globalité de l’expérience : le voyage comme expérience et sa représentation spectaculaire. À la différence de nombreux performeurs, le film ou la vidéo s’éloigne du document, du seul témoignage pour construire un objet et une fiction parallèles à une expérience bien réelle. Une distance similaire s’applique d’ailleurs, nous le verrons plus loin, à la nécessité de réexposer les œuvres dans les expositions de l’artiste.

Quand l’œuvre résiste à l’exposition

L’écart volontaire entre un événement et sa transcription sous la forme d’un objet qui puisse être ré-exposé devient récurrent dans le travail de l’artiste, notamment dans les cas où une captation filmique ou vidéographique est moins évidente. Huyghe participe en 2012 à documenta 13, l’exposition quinquennale à Cassel. L’artiste fait le choix d’investir le compost du Karlsaue Park de la ville. La légende de l’œuvre, telle que mentionnée aujourd’hui dans les catalogues, est surprenante : « Untilled, 2011-2012 : entités vivantes et choses inanimées, fabriquées ou non. Variable[16]. » Il dépose dans le compost une large quantité d’éléments : divers objets, végétaux, un homme, une chienne sevrant un chiot, des fragments d’œuvres d’anciennes éditions de documenta (un des 7000 Oaks de Joseph Beuys de 1982, un banc coloré en rose par Dominique Gonzalez-Foerster pour Park – A Plan for Escape en 2002). Plutôt qu’un objet figé, Huyghe compose un nouvel écosystème dont il choisit les éléments qu’il distille mais dont il ne contrôle pas le développement[17] : untilled signifie « non cultivé ».

« L’ensemble des opérations qui se produisent n’a pas de script. […] Il y a des rythmes, automatismes et accidents, transformations invisibles et continues, mouvements et processus, mais pas de chorégraphie […]. Les rôles ne sont pas distribués, il n’y a pas d’organisation, pas de représentation, pas d’exposition. […] La colonie [d’abeilles] pollinise des plantes aphrodisiaques et psychotropes. […] Il y a myrmécochorie : les fourmis dispersent des graines. […] C’est sans fin, incessant[18]. »

L’œuvre n’est plus ici un objet, ni même un espace, mais l’ensemble des relations et interconnexions qui se développent en cet espace. La visite d’Untilled lors de documenta 13 pouvait ainsi avoir un caractère déceptif. Qu’y avait-il à observer si ce n’est un biotope en cours de construction ? Une construction en partie visible, mais rarement spectaculaire. La présence, largement commentée par la critique de Human, un lévrier à la patte colorée en rose – écho à la couleur du banc de Gonzalez-Foerster, mais aussi à celle des fleurs cultivées dans le compost – était aléatoire, dépendant de la venue, régulière mais contrôlée par la réglementation sur la protection animale, de la chienne et de ses déplacements indéterminés. L’élément le plus immédiatement identifiable en tant qu’œuvre était Untilled (Liegender Frauenakt[19]) (2012) : la reproduction d’une sculpture d’une femme nue accoudée dont le visage était recouvert par une ruche et une colonie d’abeilles. Cette statue pouvait apparaître comme un centre ou un pôle marquant la constitution de l’environnement Untilled : les abeilles pollinisant l’espace et entremêlant ainsi la végétation originelle et celle importée par l’artiste. Une autre œuvre – Plan for Untilled (2012), un tapis de laine tissé à la main – dévoilait un schéma ou une carte des différents éléments de l’intervention artistique. Entre ce que l’œil du visiteur pouvait percevoir lors de sa visite et l’ampleur réelle du geste artistique révélée par ce schéma, le fossé était large. Untilled dépasse le seul visible comme elle dépasse aussi les limites chronologiques de l’exposition. L’œuvre est datée de 2011-2012. Elle précède ainsi documenta 13[20] car l’intervention sur le compost, la culture ou la non culture a été commencée bien avant l’ouverture de l’exposition. De la même manière, elle ne s’achève pas à sa clôture. Si une partie des éléments n’est plus présente sur le site (Untilled (Liegender Frauenakt), l’humain, la chienne), d’autres (les végétaux, possiblement certains petits animaux…) en restent indissociables et continuent à y croître et à y mourir.

Que peut-on à nouveau exposer d’Untilled à l’issue de documenta 13 ? Nous aborderons plus loin la façon dont Huyghe « déplace » une telle intervention au sein même du musée. Cette question se pose d’ailleurs pour bon nombre des projets de l’artiste. Huyghe n’a jamais dissimulé une certaine proximité théorique avec la pensée de Daniel Buren.

« Depuis les années 1960, écrit Dorothea Von Anthelmann, les travaux in situ de Daniel Buren se caractérisent par la suspension des frontières entre œuvre, support, cadre et lieu. Le lieu d’élaboration de l’œuvre devient partie intégrante de l’œuvre elle-même, qui se situe dans une interaction constante entre le site et sa transformation artistique[21] ».

Ce rapport au site peut également rapprocher Huyghe des artistes du Land Art,  et notamment de Robert Smithson. Ce dernier reste une figure dont l’œuvre atteste, dès 1968, d’une dialectique entre interventions, souvent monumentales, sur sites (parmi lesquelles Asphalt Rundown, 1969, ou Spiral Jetty, 1970), et non-sites (des fragments de sites rassemblés dans des bacs géométriques, parfois en présence de cartes et photographies[22].

Évoquer la présence du site dans un lieu éloigné, une telle question se pose chez Huyghe depuis longtemps. Streamside Day en 2003 en est un exemple majeur. Invité à la DIA Foundation en 2002, l’artiste découvre, lors d’un trajet vers DIA Beacon dans l’État de New York, le complexe de Streamside Knolls en cours de construction dans la ville de Fishkill. L’artiste propose aux responsables du programme immobilier d’organiser un festival pour la communauté qui s’y installe. Le Streamside Day a lieu le 11 octobre 2003 : arbre commémoratif, déguisements, parade, discours, dîner et feu d’artifice rythment cette journée. Il s’appuie, pour la construction de cet événement, tant sur l’histoire locale et nationale que sur des référents cinématographiques[23]. Le projet de l’artiste ne se limite pas à une seule journée, mais à inventer cette célébration et à en faire une date récurrente pour cette communauté. Il s’agit pour lui de créer ce rassemblement et de laisser aux membres de Streamside la charge de le reconduire d’année en année et de l’inscrire dans le calendrier.

Huyghe tire un film de cet événement. Aux images documentaires de la fête, Streamside Day[24] (2003) mêle des plans évoquant le passé des lieux (une nature idyllique vierge de présence humaine) et le récit fictif d’une famille venant s’installer dans la ville. Une nouvelle fois, le film ne peut se résumer à la seule documentation d’un événement pourtant bien réel, mais en donne une transcription qui confine au mythe au sens premier du terme : « récit fabuleux, transmis par la tradition, qui met en scène des êtres incarnant sous forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine[25] ».

Lors de sa première présentation au DIA Center for the Arts à New York en 2003, le film est accompagné d’un dispositif qui tente de reproduire la notion même d’une célébration cyclique intégrée dans le calendrier. L’exposition Streamside Day Follies s’offre tout d’abord comme un espace vide à l’exception de rails suspendus au plafond. Cinq parois automatisées se détachent du mur et se déplacent dans l’espace. L’une des faces de ces cloisons mobiles est couverte d’une surface réfléchissante colorée, l’autre est blanche. Ces cloisons, suspendues à quelques centimètres du sol, se meuvent lentement le long des rails avant de former un pavillon destiné à la projection du film. L’espace mural laissé vacant par les parois mobiles révèle la présence de dessins liés au projet. À la fin du film, les cloisons se détachent et retournent à leur positionnement initial. Ce pavillon temporaire évoquait tout autant l’œuvre permanente de Dan Graham placée sur le toit de l’espace d’exposition (Two-Way Mirror Cylinder Inside Cube and a Video Salon: Rooftop Urban Park Project for DIA Center for the Arts, 1981-1991) que le projet utopique de Huyghe de concevoir un pavillon de projection évolutif pour la communauté de Streamside[26]. Cette chorégraphie de l’espace de l’exposition, cette alternance entre espace vide et composition d’un espace de projection est une manière de mettre en scène le rituel qu’est l’œuvre : une célébration à réitérer annuellement, mais qui n’est ni transférable ni « exposable ».

L’exposition au DIA Center for the Arts est la seule à avoir bénéficié d’un dispositif aussi complexe de monstration pour cette œuvre. Les présentations ultérieures furent plus simples, mais néanmoins très précises. Le film Streamside Day s’accompagne désormais de plusieurs éléments à même de recontextualiser la célébration : le Streamside Day Calendar (2003), un calendrier commémorant l’événement ouvert à la page du mois d’octobre sur laquelle la fête est signifiée ; Nœud 01 pour Streamside Community Center (2003, avec Roche&Sie(n) architectes), un dessin mural représentant le possible pavillon communautaire de projection ; et enfin un arbre poussant dans les environs de Streamside Knolls. Si pour des raisons pratiques, l’arbre est souvent omis des présentations, le dessin mural et le calendrier sont des indispensables à l’exposition du film[27]. Huyghe fit pourtant le choix de présenter seulement le film pour sa rétrospective au Centre Pompidou à Paris en 2013.

Une rétrospective impossible ?

Pour un artiste dont l’œuvre est déjà complexe à présenter lors de sa première exposition, la rétrospective est un enjeu majeur. Ajoutons que certains de ses travaux n’avaient jamais été réexposés jusqu’alors[28]. D’autant plus que Huyghe est plutôt rétif à la question de la rétrospective, comme le précise Randy Kennedy :

« Trop de rétrospectives d’art contemporain, déclare l’artiste, ont commencé à “ressembler à Un Jour sans fin avec Bill Murray”. Ce qui a commencé à l’intéresser, c’est l’idée de faire une exposition qui ressemble à une sorte de corps étranger logé dans un musée, comme par accident[29] ».

L’exposition du Centre Pompidou condense 52 œuvres. Refusant un parcours linéaire, la rétrospective, itinérante à Cologne et à Los Angeles, adopte un parcours labyrinthique dans lequel les « œuvres se fondent les unes dans les autres pour une expérience en partie chorégraphiée et en partie laissée au hasard[30] ». L’artiste utilise et redéploye les cimaises de la rétrospective de Mike Kelley qui avait eu lieu dans les mêmes salles et qui venait de se terminer. Ces cloisons temporaires déplacées, parfois découpées pour ouvrir de nouvelles circulations, laissant les tranches et les accidents de coupe visibles, donnent un aspect de chantier ou de décharge d’œuvres (pour reprendre l’analogie avec le compost de Cassel) à l’exposition.

La rétrospective de Huyghe n’est pas organisée de manière chronologique et la logique thématique des rassemblements d’œuvres n’est pas immédiatement apparente. L’exposition s’ouvre avec la performance Name Announcer (2011) : à l’entrée de la rétrospective, une personne demande le nom des visiteurs y pénétrant, puis l’annonce à voix haute. Cette première œuvre exposée n’est présente que de manière intermittente : elle peut être absente, invisible lors du passage du visiteur dans l’exposition. Les deux éléments exposés suivants ne sont pas de la main de l’artiste. Après l’entrée, dans une salle qui précède immédiatement le grand espace d’exposition, sont montrés Mère Anatolica 1 (1975), une sculpture délabrée de Parvine Curie présente dans le collège que fréquenta Huyghe, et des extraits de conférences de l’Institut des hautes études en arts plastiques où il fut élève. À de rares exceptions près[31], les films sont projetés à même les cimaises, non repeintes pour l’occasion, portant les marques de leur précédente utilisation, et à proximité immédiate d’autres œuvres. Cela permet de souligner des liens plus ou moins évidents entre des projets parfois assez éloignés[32]. Mais cela renforce aussi l’aspect sépulcral que pouvait avoir cette rétrospective, qui soulève ainsi volontairement le problème inhérent de l’exposition pour les projets de Huyghe.

Qu’exposer quand une œuvre ne peut être déplacée ou n’existe plus ? Aux restes des cimaises de l’exposition précédente se mêlent des fragments d’œuvres de Huyghe. Une extension de la rétrospective à l’extérieur du Centre Pompidou (tout en lui étant immédiatement jointive) a été aménagée. Au fond de cet espace, on découvre Untilled (Liegender Frauenakt) issu d’Untilled. Face à cette sculpture, un étrange climat fait de neige, de brouillard et de précipitations programmé se développe. Il s’agit de L’Expédition scintillante. Acte 1. Untitled (Weather Score) (2002).

L’Expédition scintillante est une exposition de Huyghe qui eut lieu à la Kunsthaus de Bregenz en 2002. À la manière d’un opéra, elle déployait sur les étages du musée trois séquences préfigurant une expédition à venir. L’acte 1 se fondait sur le climat décrit par Edgar Allan Poe dans le roman Les Aventures d’Arthur Gordon Pym (1838). Ce climat (neige, brouillard, pluie) était reproduit dans la salle dans laquelle Untitled (Ice Boat), un bateau fait de glace, fondait au fur et à mesure de l’exposition (jusqu’à disparaître totalement laissant un espace quasi vide) tandis qu’une radio diffusait Radio Music de John Cage. L’Expédition scintillante fonctionnait sur le principe de la disparition, il n’était donc pas envisageable de reproduire le bateau de glace ultérieurement. Il ne fut donc jamais remontré. Untitled (Weather Score) n’avait pas non plus été réexposé jusqu’alors. L’œuvre n’est donc qu’une fraction de la version initiale exposée à Bregenz : un vestige.

Le seul fragment de L’Expédition scintillante qui ait trouvé une forme durable est Untitled (Light Box) : une boîte produisant de la lumière sur de la fumée au son des Gymnopédies 3 et 4 d’Erik Satie. Exposée à de nombreuses reprises, elle est montrée dans la rétrospective parisienne aux côtés de la projection de A Journey that wasn’t. Les deux projets sont en effet intimement liés. L’Expédition scintillante préfigure un voyage en Antarctique, le fantasme. A Journey that wasn’t le réalise. C’est la première fois que les deux œuvres sont montrées à proximité l’une de l’autre. Elles fonctionnent en alternance : lorsque qu’Untitled (Light Box) termine son cycle, la projection du film commence et ainsi de suite. Le troisième acte de L’Expédition scintillante est lui aussi remontré pour la première fois depuis 2002. Untitled (Black Ice Stage) est une patinoire noire sur laquelle une danseuse vient régulièrement évoluer au son de Music for Airports 4 de Brian Eno. Elle est située dans la rétrospective entre Untitled (Weather Score) et la black box contenant le film et la boîte lumineuse.

À la manière d’Untitled (Weather Score) et de son bateau manquant, d’autres œuvres étaient lacunaires dans l’exposition. Ghost Room (2004) est une vaste structure gonflable de la forme d’une salle d’exposition que l’artiste avait fait léviter en dehors du Castello di Rivoli où son empreinte avait été prise. Elle est ici présentée dégonflée telle une peau morte ou un souvenir impossible à reproduire. L’exposition se voit aussi animée de manière régulière par le déplacement d’un homme portant alternativement un masque animalier renvoyant à La Toison d’or ou le masque Players (2010) en forme de livre ouvert recouvert de LED qu’on retrouve dans l’événement et le film The Host and the Cloud (2009-2010). L’homme est parfois accompagné de Human, la chienne à la patte rose apparue à la documenta en 2012. Celle-ci gambade librement dans l’exposition sous l’œil d’abord interloqué des visiteurs[33]. Elle s’étend parfois sur une fourrure déposée dans un coin de l’espace et qui évoque fortement la sculpture À Rebours (2012) mais désossée de sa structure[34]. La patte rose de Human rend ainsi plus compréhensible la présence de tas de sable d’une couleur identique dans l’exposition. Chienne et sable sont une évocation du biotope Untilled, déjà remémoré par Untilled (Liegender Frauenakt) à l’extérieur.

La documenta de Cassel se voit aussi intégrée dans la rétrospective avec le film A Way in Untilled[35] (2012). Comme les films précédemment cités, celui-ci dépasse le seul document pour tenter de mettre en œuvre sous forme de film les processus en cours dans le projet de l’artiste. A Way in Untilled n’est pas Untilled et ne peut l’être. Mais comme l’indique son titre, il tente de se frayer un chemin dans Untilled. Il passe ainsi de l’environnement au microcosme indiquant le processus de naissance et de germination à l’œuvre autant qu’il montre les figures identifiables du projet (sculpture et chienne), soutenu par un montage sonore minutieux, à même de révéler ce qui n’est pas immédiatement visible.

L’ambiance générale de la rétrospective au Centre Pompidou est assez lourde, accentuée par les cimaises désaxées et délabrées, ainsi que la présence intermittente de Music for Airports 4 de Brian Eno et la tonalité sombre de certaines œuvres. Autant que la relecture d’une vingtaine d’années de carrière, la rétrospective montre aussi le musée comme un lieu d’embaumement. L’espace labyrinthique que constitue l’exposition devient alors comme un cimetière des projets de l’artiste dont il ne reste plus que des états figés ou des fragments métonymiques. « Seul n’existe d’ailleurs pour lui que le projet abouti[36], » précise Roxana Azimi. La rétrospective est alors une balade entre les fantômes des projets passés et un manifeste même de sa pratique.

L’itinérance de l’exposition au Ludwig Museum de Cologne en 2014 produit un effet fort différent. Si l’artiste déplace en Allemagne les cimaises de l’exposition parisienne, la rétrospective n’y est pas rejouée de la même manière. Ce sont, à de rares exceptions près, les mêmes œuvres qui sont présentées. Mais, en partie du fait d’un espace d’exposition différent, un sens et une humeur autres émergent. Laurence Bertrand Dorléac note à propos des expositions itinérantes : « Une exposition est ancrée dans un lieu ; si vous changez de lieu, elle change de sens. […] Le lieu doit s’imposer pour une raison ou pour une autre, […] à chaque fois, c’est une autre expérience[37] ».

À la différence du vaste espace cubique du Centre Pompidou, celui de Cologne est tout en longueur. Les choix scénographiques de l’artiste imposent une fois l’exposition terminée de la retraverser quasi intégralement pour en sortir. La sculpture délabrée de Parvine Curie n’est pas présente au Ludwig Museum. L’exposition s’ouvre, passée la performance Name Announcer, sur une nouvelle version de Timekeeper (1999) : un trou creusé dans le mur qui révèle les couches successives de peintures des expositions précédentes[38]. Viennent ensuite des œuvres présentées bien plus loin lors de la version parisienne de la rétrospective (un aquarium, Shore (2013), The Host and the Cloud…). Le visiteur s’enfonce plus profondément de salles en salles, avec une ouverture sur un jardin du musée pour observer Untilled (Liegender Frauenakt). Si Untitled (Black Ice Stage) est toujours présente, elle a adopté une nouvelle forme. La patineuse évoluant par intermittence et la musique sont absentes. La patinoire est recouverte d’une épaisse et rocailleuse glace la mettant hors d’usage et nécessitant une température assez basse dans la salle qui l’accueille, à même de la maintenir en l’état. Cela renforce la dimension multi-sensorielle de l’exposition[39] et l’analogie avec le spectacle musical donné sur la patinoire de Central Park pour A Journey that wasn’t. La rétrospective s’achève en un cul-de-sac dans une salle projetant en alternance ce film et diffusant les circonvolutions lumineuses et colorées de Untitled (Light Box), faisant de ces deux œuvres jumelles les clefs de voûte et de compréhension de la pratique de l’artiste. Au cénotaphe muséal parisien répondait une grotte dans laquelle s’enfoncer, en quête des origines et de l’orientation du travail, avant de devoir rebrousser chemin pour regagner le jour et observer d’un œil différent et éclairé les œuvres déjà vues.

La rétrospective s’offre ainsi comme errance ou comme traversée, toutes deux créatives et toutes deux montrant un artiste désireux aussi bien de souligner la difficulté à exposer son travail que de le raconter autrement. Celui-ci disait déjà en 2006 :

« C’est lié à mon intérêt pour le jeu, l’extension, le déplacement en général. Travailler sur une rétrospective, c’est faire réapparaître des œuvres et continuer de les raconter. Le “RE” est présent. C’est aussi une mécanique que j’ai pratiquée avec Remake évidemment, mais aussi avec Blanche-Neige Lucie ou The Third Memory, un jeu avec les célébrités et les icônes de la culture populaire. Mais c’est sa part de devenir qui est intéressante, étendue à de nouvelles possibilités[40]. »

Si l’œuvre de Pierre Huyghe résiste au musée, elle y pénètre et produit parmi les expositions les plus riches et les plus fascinantes, tout en prenant parfois l’institution et le créateur à leur propre piège. Lors d’une de mes visites à la rétrospective un jour d’automne 2013, une œuvre parvint à littéralement s’échapper de la rétrospective : Human qui trouva le chemin de la sortie du musée et s’enfuit dans les rues de Paris, son gardien à ses trousses, ainsi que plusieurs touristes sortant du musée en courant pour immortaliser de leur appareil photo « l’événement ».

 

Notes

[1] Azimi R., « Pierre Huyghe », Le Journal des arts, n° 333, 22 octobre – 4 novembre 2010, p. 35 : Pierre Huyghe préfère le terme événement à celui de performance qu’il juge peu approprié pour sa pratique : « C’est un mot trop scénarisé, fermé à l’interprétation, comme celui de “performance” ».

[2] L’œuvre est précisément décrite dans certains textes agrémentés d’une photographie. Cf. « Passagers/Pierre Huyghe », Entre-deux.org, 2001, en ligne : https://www.entre-deux.org/cp_projets/passagers/ (consulté en février 2021).

[3] Dévoler, 1994, action, film, Betacam SP, couleur, son, 2 x 10 secondes.

[4] Huyghe P., « Dévoler », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2013, p. 10 : « Dévoler est un geste en réponse à la demande d’un premier ministre de retrouver confiance dans la consommation. Acte d’inversion. L’artiste se déleste d’un objet dans son lieu d’achat ».

[5] Remake, 1994-1995, film, Betacam SP, couleur, son, 100 min.

[6] Baker G., « An interview with Pierre Huyghe », October, n° 110, automne 2004, p. 84 : Pierre Huyghe à propos de Streamside Day (2003) : « What interested me was to investigate how a fiction, how a story, could in fact produce a certain kind of reality. […] we can call this fiction a “score” ».

[7] L’Ellipse, 1998, triple projection vidéo du film super 16 mm transféré sur Beta numérique, couleur, son, 13 min.

[8] La Toison d’or, 1993, événement, Jardin de l’Arquebuse, Dijon.

[9] Cf. « Liste chronologique des œuvres », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2013, p. 227.

[10] C’est le cas pour In the Belly of Anarchitect (2004) avec Rirkrit Tiravanija et Pamela M. Lee qui est la captation d’un événement à la galerie de Portikus à Francfort-sur-le-Main ou de This is not a Time for Dreaming (2004), enregistrement d’un spectacle de marionnettes dans lequel le public et la structure temporaire (conçue avec Michael Meredith) l’accueillant apparaissent.

[11] L’un des néons de l’artiste se nomme Yo no poseo el jardίn de senderos que se bifurcan (2007) d’après la nouvelle Le jardin aux sentiers qui bifurquent de Jorge Luis Borges (1941).

[12] L’île est située dans la partie chilienne de l’Antarctique.

[13] Créé pour Celebration Park au musée d’Art moderne de la ville de Paris, exposition itinérante à la Tate Modern de Londres, en 2006, cet objet n’existe plus à l’issue de ces expositions.

[14] A Journey that wasn’t, 2005, film super 16 mm et vidéo HD transférés sur vidéo HD, couleur, son, 21 min. 41.

[15] Pierre Huyghe, « Double Negative. A Journey that wasn’t. 14 octobre 2005 », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2013, p. 109.

[16] « Liste chronologique des œuvres », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, p. 235.

[17] Comme dans les aquariums qu’il conçoit depuis 2010.

[18] Pierre Huyghe, « Untilled, 2011-2012 », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, p. 186.

[19] Untilled (Liegender Frauenakt), 2012, moulage en béton avec une structure autour de la tête entourée d’une ruche, cire, abeilles. Sculpture : 75 x 145 x 45 cm ; socle : 30 x 145 x 55 cm ; dimensions de la ruche variables.

[20] documenta 13, Kassel, 9 juin – 16 septembre 2012.

[21]  Hantelmann D. (von), « Situated cosmotechnologies. Pierre Huyghe’s Untilled and After Alife Ahead », Pierre Huyghe, cat. exp., Londres, Koenig Books, 2019, p. 14 : « Since the 1960s, Daniel Buren’s in situ works have been characterized by the suspension of the boundaries between work, carrier, frame and place. The place where the work is developed becomes an integral part of the work itself, which is situated in a constant interplay between the site and its artistic transformation ».

[22] Lailach M., Land Art, Cologne, Taschen, 2007, p. 86 : selon Robert Smithson : « Le non-site (un earthwork dans un espace clos) est une image logique en trois dimensions qui, tout en étant abstraite, représente un site réel. C’est à travers cette métaphore en trois dimensions qu’un site peut représenter un autre site qui ne lui ressemble pas ».

[23] Les costumes portés par les enfants lors de la célébration et les images du film de l’artiste peuvent renvoyer tant à la faune locale qu’à l’imaginaire véhiculé par les films de Walt Disney, Bambi (David D. Hand, 1942) en premier lieu.

[24] Streamside Day, 2003, film super 16 mm et vidéo transférés sur Beta numérique, couleur, son, 26 min.

[25] Cf. « mythe », Rey A., Rey-Debove J. (dir.), Le Nouveau Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993, p. 1465.

[26] Huyghe P., « Streamside Community Center, 2003 », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2013, p. 128 : « Cet environnement construit au cœur de la forêt joue sur la complexité et les mouvements entre ce qui est dedans, dehors. […] Cette cage peut se plier topologiquement en fonction de ces deux mouvements, afin qu’ils puissent se mêler ou être ambigus. […] Scénario 2 : Chaque année, à la date anniversaire, un bâtiment automate s’ouvre. Le film de l’événement y est présenté ».

[27] Le Mac/Val de Vitry-sur-Seine fit le choix d’une simple présentation du film, sans ses éléments de contexte, pour son accrochage des collections L’Effet Vertigo en 2015.

[28] Dont une large partie de L’Expédition scintillante (2002) sur laquelle nous reviendrons.

[29] Kennedy R., « Pierre Huyghe’s Unpredictable Retrospective », New York Times, 3 September 2014 : « Too many contemporary-art retrospectives, he said, have begun to feel “like Groundhog Day with Bill Murray.” What began to interest him, he said, was the idea of making an exhibition that felt like some kind of foreign body lodged in a museum, as if by accident ».

[30] Farago J., « Pierre Huyghe at Lacma – a sometimes baffling but always engaging retrospective », The Guardian, 4 décembre 2014 : à propos de l’itinérance de la rétrospective au Lacma de Los Angeles : « works bleed into one another, for an experience that’s partly choreographed and partly left to chance ».

[31] A Journey that wasn’t qui bénéficiait d’une projection grand format en black box, Blanche-Neige Lucie (1997) et A Forest of Lines (2008) diffusés comme à leur habitude sur moniteurs.

[32] Par exemple A Journey that wasn’t (2005) et L’Expédition scintillante, Acte 2. Untitled (Light Box) (2002) ; La Toison d’or (1993) et Streamside Day (2003) ; RSI, un bout de réel (2006), De Hory Modigliani (2007), The Host and the Cloud (2010) et Zoodram 4 (after The Sleeping Muse by Constantin Brancusi, 1910) (2011).

[33] Avant de devenir un phénomène critique marqué et une sorte de must have de l’exposition cf. Lequeux E., « L’exposition Pierre Huyghe, un étonnant phénomène », Le Monde, 30 décembre 2013 : « Fourmis, araignées, bernard-l’hermite, sans oublier Human, l’étrange chien blanc à patte rose dont la photo inonde les réseaux sociaux… ».

[34] À Rebours, 2012, objet, fourrure, structure, 60 x 60 x 100 cm. Une fourrure est enroulée autour d’un objet lui donnant la forme d’un animal agenouillé la tête entre les pattes. La notice de l’œuvre précise qu’il en existe « 5 variantes ». Cf. « Liste chronologique des œuvres », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2013, p. 235.

[35] A Way in Untilled, 2012, film, vidéo HD, couleur, son, 14 min.

[36] Azimi R., « Pierre Huyghe », Le Journal des arts, n° 333, 22 octobre – 4 novembre 2010, p. 35.

[37] Bertrand Dorléac L., Descola P., Georgel P., Preti M., « Qu’est-ce qu’exposer ? », Perspective, n° 1, 2015, en ligne : https://journals.openedition.org/perspective/5785?lang=en (consulté en février 2020).

[38] Un Timekeeper avait été réalisé au Centre Pompidou, de même que dans de nombreuses expositions de l’artiste.

[39] C’est cette version de l’œuvre qui sera présentée au Lacma à Los Angeles la même année, une itinérance de l’exposition que nous n’avons pu voir. Elle était néanmoins similaire à celles de Paris et de Cologne dans son côté fragmenté, non chronologique et ouverte sur l’extérieur. Seules les cimaises de l’exposition Mike Kelley avaient été allongées pour correspondre à la taille du bâtiment américain. Des œuvres de 2014 y avaient été ajoutées : les aquariums Nympheas Transplant et le film Untitled (Human Mask).

[40] Obrist H.-U., « Entretien avec Pierre Huyghe », Pierre Huyghe, Celebration Park, cat. exp., Paris, Paris musées, 2006, p. 121.

 

Pour citer cet article : Mickaël Pierson, "Pierre Huyghe : l’exposition qui n’existait pas", exPosition, 27 septembre 2021, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles6-2/pierson-huyghe-exposition/%20. Consulté le 21 novembre 2024.

Quelle place pour le clip vidéo au musée ? De sa reconnaissance muséale à sa remise en question, à travers trois expositions françaises (1985-2007)

par Marie Vicet

 

Marie Vicet est docteure en histoire de l’art contemporain. Ses recherches de doctorat portent sur les liens existant entre les artistes contemporains et le clip vidéo musical depuis le début des années 1980. En juin 2013, elle a co-organisé avec Fleur Chevalier et Mickaël Pierson les journées d’étude « Du studio au plateau de télévision : appropriations, détournements et réinterprétations par les artistes » qui se sont tenues à l’INHA. En 2016, elle fut également ingénieure d’études pour le programme « Les Immatériaux : retour sur une exposition pionnière (1985) » que dirigea Thierry Dufrêne au sein du Labex Arts H2H. La publication de sa thèse est actuellement en préparation. —

 

Dès le début des années 1980, par la multiplication des programmes musicaux, mais aussi par l’apparition des premières chaînes musicales, MTV[1] en tête, le clip vidéo apparut comme un nouveau format audiovisuel en pleine expansion[2]. Outil promotionnel voulant gagner en légitimité artistique dès ses premières années, le clip se tourna vers le cinéma (si le cinéma fut dès le début une référence pour les réalisateurs de clips, les grands noms de la pop – et en premier lieu Michael Jackson – firent également très vite appel à des réalisateurs de films reconnus pour signer leurs clips), mais intéressa également rapidement les artistes plasticiens. En effet, ces derniers, attirés par cette nouvelle forme de création, furent nombreux à réaliser un ou plusieurs clips musicaux dès le début des années 1980, en marge de leur carrière artistique[3].

Si la critique cinéma s’intéressa très rapidement au clip, Serge Daney désignant même en 1987 un clip de Mondino comme le « plus joli film de l’année[4] », l’institution muséale lui consacra, quant à elle, différentes expositions en France mais aussi aux États-Unis dès le milieu des années 1980. Cet intérêt rapide des institutions pour le clip pose différentes questions, compte tenu de la nature de ce dernier. En effet, le clip, outil promotionnel conçu pour la télévision, n’a pas, a priori, sa place au musée. Pourtant en 1985, celui-ci fait son apparition dans deux expositions en France, Les Immatériaux (1985) et Paysage du clip (1985), ce qui marqua l’entrée du clip au musée, mais également le début d’une certaine reconnaissance par le monde artistique. Il sera ainsi question dans cet article de s’interroger sur les conséquences du déplacement du clip au musée par l’étude des deux expositions précédemment citées, mais également dans le cadre de l’exposition Playback qui, 20 ans plus tard, revenait sur l’influence du clip dans la création artistique. Ces trois expositions majeures concernant l’admission du clip au musée nous permettront ainsi de dessiner les rapports complexes que l’institution muséale entretient avec cette forme télévisuelle depuis les années 1980, de sa reconnaissance à une remise en question de son exposition muséale. Il sera également question de s’interroger plus largement sur l’évolution possible de la forme clip au musée.

Le clip : un objet d’étude ?

Si l’exposition collective Les Ateliers 84[5] avait déjà présenté une sélection de clips vidéo[6] l’année précédente, l’exposition Les Immatériaux[7] organisée du 28 mars au 15 juillet 1985 au Centre Georges Pompidou intégra le clip vidéo de manière inédite. Conçue sous le commissariat général de Jean-François Lyotard et le commissariat de Thierry Chaput pour le Centre de Création Industrielle autour de la question de la « postmodernité[8] », l’exposition se voulait une réflexion sur l’époque autour des questions d’immatérialité qui devenaient de plus en plus présentes avec le développement des nouvelles technologies[9]. Le clip vidéo, par sa nouveauté, mais aussi parce qu’il fut très vite considéré comme un symbole de cette « postmodernité », en raison de l’hétérogénéité et de la multiplicité qu’il renfermait et de son « esthétique de la miette, du fragment[10] », avait, à juste titre, toute sa place dans l’exposition.

Remettant en question la présentation traditionnelle des expositions, Les Immatériaux était conçue comme un projet de recherche dans lequel le visiteur circulait sans parcours prédéfini parmi les différentes sections organisées selon cinq entrées possibles et simplement séparées par des trames suspendues[11]. Par conséquent, il n’était pas question de présenter un simple programme de clips vidéo, mais d’interroger le format, de le décrypter et d’en faire son étude. Toute une section, celle nommée « Le corps chanté », était dévolue au clip sous forme d’une bande vidéo intitulée Clips à la loupe. Celle-ci avait été réalisée par Jean-Paul Fargier[12], critique de cinéma et enseignant au département de Cinéma de l’Université Paris VIII Vincennes, et par Christophe Bargues, déjà responsable de la sélection de clips diffusée lors de l’exposition Les Ateliers 84 quelques mois plus tôt à l’ARC.

La bande vidéo en question avait été conçue comme une étude visuelle qui mettait « en évidence la syntaxe, les effets d’écriture particuliers aux vidéo-clips[13] » autour du corps de l’interprète. Présenté sur trois grands moniteurs vidéo accrochés à environ 1m50 du sol et placés dans trois angles de la section de l’exposition[14], le montage répertoriait sur une durée de 33 minutes les différents effets visuels présents dans 60 clips, aussi bien français, anglais ou américains. Les deux réalisateurs souhaitaient, à travers cette bande, développer une histoire et une analyse du format nouveau qu’était encore le clip vidéo.

Si Clips à la loupe ne fut peut-être pas l’élément le plus notable de cette exposition-concept majeure, elle occupe une place importante dans la légitimation du clip du côté du monde de l’art et de l’institution muséale en France. Contrairement aux expositions qui présentèrent des clips à la même période – notamment Les Ateliers 84 déjà cités, Paysage du Clip quelques mois plus tard, ou encore, la même année, l’exposition Music Video: the Industry and Its Fringes au Museum of Modern Art de New York (MoMA) – et qui fonctionnaient essentiellement par programmes de clips, l’exposition Les Immatériaux fut la première et la seule à proposer une véritable analyse plastique du clip vidéo grâce à sa bande Clips à la loupe. Reprenant le modèle de l’analyse de film, Jean-Paul Fargier et Christophe Bargues proposaient un décryptage de l’écriture du clip en s’intéressant au corps des chanteurs des premières années de la décennie 1980, notamment dans ses différentes apparitions, disparitions ou dédoublements. Pour Jean-Paul Fargier, un clip était destiné à renforcer l’image de marque du chanteur et de sa chanson, et était constitué par conséquent d’images marquantes : « des images facilement repérables, rapidement identifiables, instantanément décodables, donc hyper-codées, hyper-connues, hyper-définies[15]. »

Dans la bande vidéo Clips à la loupe, les différents clips sont disséqués, coupés en très courtes séquences de quelques secondes pour illustrer à chaque fois une manifestation du corps du chanteur selon les différents effets répertoriés, en prenant comme technique celle du zapping déjà utilisée dans de nombreux clips[16]. Le montage est constitué de deux parties intitulées pour la première « Une aventure du corps » et pour la seconde « Péripéties de l’image », d’une dizaine de minutes chacune. Chaque thématique est introduite par un carton, puis illustrée par plusieurs extraits (entre un et cinq) provenant de la soixantaine de clips sélectionnés. Différents extraits d’un même clip vidéo ont pu être utilisés pour illustrer différentes thématiques de la vidéo. Les réalisateurs voulaient ainsi mettre au jour les figures de style récurrentes dans les différents vidéo-clips commerciaux que l’on pouvait voir à la télévision au début des années 1980 et les techniques utilisées en masse dans ces productions. Le but était en premier lieu pédagogique : montrer au visiteur de l’exposition que le clip était un genre audiovisuel nouveau, qui avait sa propre écriture et possédait un même vocabulaire plastique.

Objet de la première partie du montage, le corps du chanteur dans les clips du début des années 1980 était à l’image du format lui-même : hétérogène, multiple et fragmenté, mais également de celle de l’exposition. De même que Clips à la loupe était composé de bribes de clips, Les Immatériaux étaient constitués d’une multitude de sections mêlant diverses disciplines allant de l’art à la science, en passant par les nouvelles technologies et la philosophie, entre autres sujets traités. Le spectateur allait d’un site à un autre sans transition, dans un parcours libre, grâce à une scénographie uniquement constituée de trames métalliques suspendues plus ou moins opaques. Le format clip répondait bien à cette scénographie, avec ses effets vidéo s’enchaînant. La présence de la bande se plaçait également dans une démarche d’ouvrir le musée à de nouvelles formes d’exposition. Le spectateur pouvait en regarder un extrait en parcourant l’exposition ou s’arrêter pour la visionner en entier.

La question du corps est toujours présente dans la deuxième partie de la bande, mais celle-ci titrée « Une péripétie de l’image » décrypte plus particulièrement les effets utilisés de manière récurrente dans les clips vidéo de cette époque. Si Clips à la loupe concourait à la reconnaissance du clip comme une nouvelle forme artistique en proposant une analyse qui montrait la spécificité de la forme, la dernière partie de la bande parachevait ce travail en dévoilant les noms des réalisateurs des clips employés. En effet, le montage se conclut par un générique listant la totalité des clips utilisés, les uns après les autres, avec pour chacun le titre de la chanson, le nom du chanteur, celui de la maison de disque et, plus inédit, le nom du réalisateur de la vidéo inscrits sur l’image. Pendant longtemps, et encore aujourd’hui, les réalisateurs de clip sont restés très souvent inconnus du grand public – et d’autant plus à l’époque –, leur nom n’étant pas indiqué lors de la diffusion du clip à la télévision. Jean-Paul Fargier et Christophe Bargues, en les citant un à un, les sortaient ainsi de leur anonymat. Ils leur rendaient leur statut d’auteurs voire d’artistes. Et pour aller plus loin, reconnaître les réalisateurs comme auteurs de leur clip permettait également d’admettre le clip comme une œuvre ou un objet autonome, et non plus comme une simple forme promotionnelle.

Si la fragmentation des différents clips peut poser problème, en détruisant notamment leur unité intrinsèque, Clips à la loupe reste un matériel didactique, qui, en l’occurrence, propose des clés aux visiteurs pour décoder un nouveau format télévisuel. Ainsi, au sein même d’une exposition manifeste, qui entendait, entre autres, réfléchir sur les façons de regarder et d’écouter les différents registres d’images, le clip vidéo tenait une place de choix, observé « à la loupe », au même titre que d’autres matériaux issus de différents domaines de recherche comme les sciences dures ou les sciences de la communication. La présence du vidéo-clip dans cette exposition marquait de surcroît l’intérêt grandissant de cet objet culturel aux yeux de l’institution muséale ; un intérêt confirmé lors de l’exposition Paysage du clip quelques mois plus tard.

Vers une reconnaissance du clip comme forme artistique ?

Contrairement à l’exposition Les Immatériaux dans laquelle le clip n’avait occupé qu’une section parmi plus de soixante autres au sein d’une thématique plus large, Paysage du clip[17] organisée la même année, du 2 octobre au 11 novembre 1985, également au Centre Pompidou, fut la première exposition française entièrement consacrée au clip vidéo. Organisée par Christophe Bargues, déjà coréalisateur de la bande Clips à la loupe, et coordonnée par le service des manifestations du Centre, l’exposition avait pour objectif, d’après son communiqué de presse, de rendre compte de la créativité, de l’expérimentation et de la grande diversité des productions de clips vidéo depuis les sept dernières années :

« Sur les écrans du grand foyer seront projetées des images diversifiées tant par leurs formes d’expression que par les techniques utilisées et les budgets.

Leurs auteurs ont exploré à partir de la musique rock, l’espace où se rencontrent la danse, la mode, la photographie, le cinéma, la bande dessinée…

Cette expression actuelle, issue du rock et de la télévision, connaît une grande popularité qui a permis au clip de devenir un champ d’expérimentation privilégié pour les créateurs.

Le vidéo-clip s’est imposé comme une des formes de spectacle des années 80. C’est dans cet esprit que Christophe Bargues, responsable de la manifestation Paysage du clip, a collaboré avec Rock America pour cette première rétrospective consacrée au clip[18]. »

Ainsi, il ne s’agissait plus de réaliser une étude des différentes figures visuelles du clip, mais de concevoir une rétrospective entière de la jeune forme télévisuelle qu’était encore le clip vidéo. L’exposition voulait ainsi célébrer ce nouveau mode d’expression, mélangeant son et image avec créativité. En consacrant toute une exposition au clip, Paysage du clip, précédée le mois d’avant de l’exposition Music Video: The Industry and Its Fringes[19] au MoMA de New York, confirmait la reconnaissance du clip par l’institution muséale comme une des formes artistiques les plus novatrices du moment. Par ce biais, le clip acquérait un statut artistique. Ces deux expositions préfiguraient également l’entrée du clip dans les collections des deux musées[20], ce qui achevait le processus de consécration du clip par le monde muséal.

Dans Paysage du clip, les clips choisis étaient diffusés non plus par fragments, mais en intégralité. Tous avaient été privilégiés pour leur importance plastique et historique, et non plus simplement pour les effets visuels qu’ils contenaient. L’entrée étant libre, les visiteurs du Centre avaient tout le loisir de venir découvrir une riche sélection de plus de 300 clips présentée au sous-sol, sur huit moniteurs, ainsi que sur un grand écran dans le foyer, au centre duquel avait été installée une structure pyramidale permettant de s’asseoir. Cette sélection représentait, au total, quinze heures de vidéos retraçant les sept dernières années de production, à laquelle s’ajoutait cinq heures de clips totalement inédits. C’est la société américaine Rockamerica[21], partenaire de l’exposition, qui avait fourni dix heures de clips, libres de droits et prêts à être diffusés, provenant de sa vidéothèque qui comptait des milliers de clips réalisés principalement entre 1975 et 1985. Les autres clips, présentés en avant-première pendant l’exposition, avaient été prêtés gracieusement par différentes maisons de disques contactées[22].

La totalité des clips vidéo était répartie en 22 programmes[23], contenant chacun entre dix et quinze clips. Selon un ordre qui changeait chaque jour, les programmes de clips s’enchaînaient, reprenant ainsi le flux de clips d’une chaîne musicale. Il était donc possible de voir dans une même journée sept ou huit des 22 programmes. Il fallait néanmoins plusieurs jours pour voir la totalité des 300 clips de l’exposition. Excepté les quatre derniers programmes consacrés exclusivement à un collectif ou à un seul réalisateur, les autres programmes présentaient des clips de musiciens américains, anglais, mais aussi français, de différents styles musicaux, sans classement chronologique ni distinction géographique[24]. Ces choix permettaient de donner un aperçu de la diversité de la production de clips de réalisateurs venant aussi bien des États-Unis, d’Europe que d’Australie depuis la fin des années 1970.

Si l’objectif de Paysage du clip était de proposer un véritable panorama de la forme clip depuis ses débuts, l’exposition n’incarnait pas simplement la version muséale d’une chaîne musicale dont elle reprenait les codes et les modes de programmation. Elle se voulait également une étude du format et de son industrie. En guise de catalogue, un supplément du journal Libération avait été édité pour l’exposition qui contenait de nombreux articles de journalistes ou spécialistes du clip retraçant son histoire et qui interrogeaient ses liens avec la musique. Ils consacraient en particulier des focus sur la production de certains pays ou certains réalisateurs, faisant ainsi écho aux quatre programmes monographiques sur un réalisateur ou un collectif de réalisateurs de clips[25]. Au-delà de la vue d’ensemble ainsi offerte sur le travail d’un créateur, ces programmes affirmaient le statut d’auteur de ces réalisateurs de clips, à l’image des articles et interviews qui leur étaient consacrés dans le supplément de Libération[26]. Cette reconnaissance participait indubitablement à la légitimation du clip comme forme artistique. Suivant cette logique, étaient indiqués les noms de tous les réalisateurs, au même titre que celui des musiciens pour lesquels le clip avait été conçu[27]. Cette identification et cette légitimation des réalisateurs se plaçaient à l’opposé des pratiques de diffusion télévisuelle des clips. En effet, il fallut attendre 1992 pour que MTV commence à mentionner le nom d’un réalisateur de clip diffusé à l’antenne, s’ajoutant alors au nom de l’interprète et au titre de la chanson, parfois même à la maison de disque[28]. Cette reconnaissance tardive du réalisateur de clip à la télévision s’explique par le fait que ce format est à l’origine un produit dérivé de la musique, un outil promotionnel au service du titre musical qui ne devait avoir d’autre fin que de vendre le disque du chanteur. Initialement, il n’était pas considéré comme un objet artistique à part entière. Seuls les réalisateurs avec des productions originales accédaient à la notoriété[29]. Pour cela, il fallait que les titres des clips deviennent « des tubes et les artistes musicaux des stars[30] ». La consécration des réalisateurs comme auteurs par l’institution muséale reposait donc sur la reconnaissance du clip comme objet artistique autonome en raison de ses qualités plastiques.

Malgré une scénographie assez sommaire (assises, télévisions et bandes vidéo situées dans le sous-sol d’un musée), cette exposition participa à cette reconnaissance, tels que les spécialistes de l’image et du son, mais aussi les téléspectateurs, chez eux, l’avaient précocement perçu. Dans ce sens, elle s’inscrivait dans un courant global. En effet, cet intérêt pour le clip perdura pendant toute la fin des années 1980 avec d’autres expositions sur le sujet en Europe et aux États-Unis. L’exposition The Arts for Television du Stedelijk Museum d’Amsterdam en 1987 par exemple, consacrée aux travaux d’artistes à la télévision, présenta de nombreux clips vidéo réalisés par des plasticiens dans les années 1980 dans la section « Music », parmi d’autres bandes vidéo[31]. Les deux expositions Art of Music Video et Art of Music Video: Ten Years After organisées par Michael Nash, responsable du département « Media Arts » au Long Beach Museum of Art, en août 1989 et en août 1991[32] achevèrent d’intégrer le clip dans une filiation artistique plus ancienne et plus large allant des films de Bruce Conner, aux vidéos de Nam June Paik, et des premiers films musicaux d’Oskar Fischinger aux ancêtres du clip tels que le Soundie et le Scopitone.

De la reconnaissance muséale à la reprise artistique

Vingt ans plus tard, le projet de l’exposition Playback, organisée par la commissaire Anne Dressen, du 20 octobre 2007 au 6 janvier 2008, dans les espaces de l’ARC[33] au musée d’Art moderne de la ville de Paris, pouvait être vu comme la suite logique, voire l’aboutissement des différentes expositions de clip ayant eu lieu dans les années 1980-90 et de l’entrée du format dans différentes collections de musées. L’exposition avait en effet pour sujet le clip vidéo, or, contrairement aux deux expositions étudiées précédemment, le corpus choisi n’était plus constitué de clips commerciaux, mais exclusivement de clips réalisés par des artistes plasticiens et de vidéos artistiques s’inspirant du format. L’exposition se voulait ainsi une exploration « des incursions de plasticiens dans le champ sonore à travers l’image[34]. » Il était question, selon le communiqué de presse, de rendre compte d’une pratique artistique courante, mais peu présentée et donc assez mal connue du grand public :

« Que ce soit d’authentiques clips réalisés par des artistes pour une maison de disque, ou des vidéos d’artistes empruntant librement le format du clip, il s’agit d’une pratique artistique répandue, parfois officieuse, et toujours sous exposée. Playback dévoilera ainsi une cinquantaine d’œuvres d’artistes internationaux émergents et confirmés, réalisées entre le début des années 1980 et aujourd’hui[35]. »

Le projet de l’exposition n’était plus de faire entrer le clip vidéo au musée, puisque la légitimation du format avait déjà été entérinée par différentes expositions dans les années 1980. Il s’agissait plutôt d’asseoir la légitimité artistique du clip en mettant l’accent sur la reprise de ses codes par des artistes dont la production était peu connue, voire ignorée du grand public. Playback se différenciait ainsi des précédentes expositions. Si le sujet était la reprise du format clip et de ses codes par les artistes, les modèles commerciaux dont avaient pu s’inspirer ces artistes étaient totalement absents de l’exposition. Playback marquait une rupture avec les expositions précédentes en se concentrant sur des versions d’artistes. L’exposition remettait ainsi en question la dimension artistique de la majeure partie de la production de clips affirmée par les expositions antérieures, réinstaurant par-là même une hiérarchie entre réalisations d’artistes et réalisations commerciales.

Une scénographie à contre sens ?

Pourtant, à la différence du choix des vidéos exclusivement constitué de réalisations d’artistes, la scénographie de Playback se distinguait des scénographies muséales neutres plus habituelles pour présenter de manière assez paradoxale les vidéos choisies dans différents lieux courants de consommation de clips à travers des reconstitutions. Pour cela, le directeur artistique, Jean-Michel Bertin, spécialisé dans la publicité et le clip vidéo, avait conçu quatre univers distincts pour accueillir et diffuser les quelques 70 clips et vidéos d’artistes dans les espaces de l’ARC. Les vidéos étaient regroupées et classées en cinq programmes, chacun explorant une thématique générale. La volonté d’une telle démarche était de replacer le clip comme « objet de consommation quotidien[36] », avec la présentation de différents programmes de vidéos de façon à « simuler un programme télé en flux continu[37] ». Un tel choix scénographique nous apparaît entrer en contradiction avec le choix des vidéos présentées : quel est l’objectif d’introduire et de recréer au musée des lieux de consommation du clip vidéo pour des clips non commerciaux, ou affirmant leur caractère artistique et qui, de ce fait, n’ont en aucun cas été créés pour être vus dans ce contexte ? Au contraire, une scénographie de ce type aurait mieux convenu à la présentation de clips commerciaux.

Avec un titre reprenant le vocabulaire de l’industrie musicale, « Best of/Danse », le premier programme proposait de découvrir, dans un espace transformé en simulacre de salle de sport, quinze vidéos qui, toutes à leur façon, s’inspiraient de clips vidéo chorégraphiés et dans lesquels la danse tenait une place centrale. Les visiteurs de l’exposition les découvraient sur les écrans de cinq tapis de course mis à leur disposition et dont ils pouvaient se servir, mais également sur des écrans plats présents dans l’espace. Au fond de cette salle, un mur d’écrans, comparable à ceux disposés dans certains lieux publics, diffusait la deuxième sélection de vidéos nommée « Best of/Posture », qui regroupait quatorze vidéos musicales choisies, au contraire de la première section, pour leur côté statique. Y étaient présentées des « poses frontales pour captiver le spectateur[38] » ou des « mouvements factices comme dans le dessin animé[39] ». Dans la salle suivante, une cabine privative permettait au visiteur de voir différentes vidéos d’artistes jouant sur le principe du karaoké. La présence d’un micro permettait ainsi aux visiteurs de chanter sur les pastiches artistiques de vidéos de karaoké – pour certains décalés par rapport au modèle original. Pour la section « Bootleg/Covers & Alike », un salon équipé d’un home cinéma avec vidéo-projection, et comprenant plusieurs canapés, avait été recréé et proposait différentes vidéos dans l’esprit des vidéos amateur qui commençaient à fleurir sur Internet au milieu des années 2000, notamment sur les sites de partage de vidéos[40]. Si ces différentes vidéos étaient réalisées, souvent par des adolescents et avec le peu de moyens à leur disposition (à l’aide d’un caméscope ou parfois même grâce à la webcam de leur ordinateur personnel, à l’intérieur de leur foyer et très souvent dans leur chambre), leur diffusion se faisait ensuite sur Internet. Tout comme ces vidéos, les vidéos d’artistes de la section, réalisées elles aussi avec une technologie souvent sommaire, n’avaient pas pour ambition d’être diffusées sur un dispositif audiovisuel tel qu’un home cinéma comme c’était le cas dans l’exposition. La haute qualité de l’équipement pouvait au demeurant rendre davantage visible la faible qualité technique des réalisations artistiques.

Le principe de cette compilation était de présenter aux visiteurs des vidéos d’artistes fonctionnant sur le principe de la reprise ou de la citation de clips plus ou moins revendiquées. Si certains clips vidéo, dont s’étaient inspirés les artistes pour réaliser leurs vidéos, avaient en effet pu bénéficier d’une débauche de moyens similaire à ceux employés dans l’industrie du cinéma, leurs équivalents artistiques se distinguaient, au contraire, par leur simplicité. A contrario du clip Thriller[41] (1983) de Michael Jackson, conçu comme un court-métrage à gros budget (qui n’aurait d’ailleurs pas détonné sur l’équipement home cinéma), la version revisitée qu’en proposait Kati Rule avec I’m a Lover, not a Dancer (2002) n’avait pas, dans l’exposition, le même rendu sur un tel dispositif. En effet, dans cette courte vidéo l’artiste avait remplacé les décors de cinéma par celui de son garage et les costumes du clip par une simple veste de survêtement pour reprendre de manière approximative un des numéros de danse du clip. Cependant, la présence d’un ordinateur dans la salle permettant d’accéder à la page MySpace de l’exposition rappelait l’importance du clip vidéo en tant que modèle, notamment dans la pratique amateur, telle qu’on la trouve sur les plateformes de partage de vidéos. La sélection de vidéos dans la même salle réaffirmait, quant à elle, l’antériorité du phénomène dans la pratique artistique.

La dernière salle de l’exposition à laquelle le visiteur accédait par deux portes vitrées proposait un semblant de magasin d’électroménager présentant un mur entier de téléviseurs diffusant en boucle les mêmes clips musicaux de la sélection « Seen on TV ». En effet, cette dernière partie, comme son nom l’indiquait, présentait un ensemble de clips, tous réalisés par des artistes plasticiens dans un contexte de production commerciale, pour une diffusion télévisuelle et répondant à une commande. Si toute l’exposition s’intéressait au rapport des artistes au clip vidéo commercial dans leur pratique, cette dernière partie était pourtant la seule à proposer de réels clips vidéo et par conséquent voués à être diffusés à la télévision sur différentes chaînes musicales que le visiteur aurait pu voir et connaître. Cette sélection posait la question de la signature dans un contexte industriel, où les auteurs des vidéos sont la grande majorité du temps inconnus du public, alors qu’il peut s’agir d’artistes très largement reconnus dans le monde de l’art, comme en attestent les clips sélectionnés, réalisés entre autres par Andy Warhol ou encore Damien Hirst[42]. Cette dernière partie de l’exposition rappelait également une des différences fondamentales concernant le statut de l’auteur aussi bien dans l’industrie du clip que dans l’institution artistique. Alors que le musée s’emploie à identifier et nommer les auteurs des œuvres qu’il expose, ces mêmes auteurs peinent souvent à obtenir la visibilité qu’ils méritent quand leurs clips sont diffusés à la télévision.

Une telle mise en exposition pouvait être comprise comme une volonté ludique de présenter ces productions artistiques, en replaçant le visiteur dans des lieux de la vie quotidienne. Julien Péquignot, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, dans un article critique qu’il consacra à l’exposition interrogeait ce parti pris sous l’angle de la démocratisation de l’art :

« Le but affiché était de proposer des ponts entre des univers a priori hétérogènes voire antinomiques. D’abord, bien sûr, entre le clip – objet avant tout commercial – et l’art contemporain. Mais aussi entre la télévision, le Web 2.0 (l’exposition était sponsorisée par MTV et en partenariat avec Myspace) et le musée, entre la création et le divertissement ou encore entre des pratiques de consommation grand public. Autrement dit, des problématiques usuellement réservées à une élite et d’autres typiques de la culture de masse.

Un double contre-pied était ainsi pris par cette exposition, d’une part avec le choix de clips réalisés par des artistes contemporains au lieu de clips issus du circuit habituel de production, d’autre part avec le principe d’importer au musée une forme – le clip – et des lieux et pratiques de la vie de tous les jours – salle de sport, magasin, Internet, salon privé, etc. Cette double contradiction ne pouvait que raviver les débats et les polémiques sur des questions telles qu’art et commerce, culture et industrie, pratique d’élite et consommation de masse et inviter à (re-)penser les notions de démocratisation de l’art[43] […]. »

Si cet auteur posait la question de la démocratisation de l’art au début de son article, il la relativisait en conclusion, allant jusqu’à la rejeter complètement :

« Le destinataire de l’exposition n’est en aucun cas le grand public, celui qui regarde les clips et ne va pas dans les musées. Pour ce faire il aurait fallu que ces clips d’artistes soient effectivement visibles chez Darty ou au Club Med Gym ou que les écrans disposés dans l’exposition soient reliés en direct aux chaînes musicales diffusées à la télévision. En d’autres termes, nous ne sommes ni face à une tentative de démocratisation de l’art contemporain ni face à une entreprise de légitimation d’une pratique populaire[44]. »

Et c’est cet entre-deux qui a bien posé problème et qui a pu desservir les productions exposées. Les amateurs de clips ne sont, en effet, pas forcément ceux qui se déplacent au musée et vice-versa. Ainsi, la présentation des différentes vidéos et clips d’artistes dans une scénographie recréant différents lieux de consommation du clip vidéo n’aidait pas à comprendre ce qui était donné à voir au public, mais pouvait au contraire le perturber davantage, compte tenu du décalage existant entre le contenu de l’exposition et son mode de présentation. La mise en espace pouvait certes occasionner un côté ludique à l’exposition qui plaisait au public[45], mais c’était également prendre le risque de tendre vers la spectacularisation. Qu’ont retenu les visiteurs à la sortie de l’exposition, excepté la possibilité qu’ils ont eu de faire du tapis de course dans les espaces du musée ? Alors que le musée peut être un lieu de réflexions et de partage d’expériences, l’exposition ne proposait aucune étude de fond sur le format clip. C’est également une des remarques qu’adressait la critique d’art Claire Moulène à l’encontre de l’exposition dans l’article qu’elle lui consacra dans Les Inrockuptibles[46]. Elle s’interrogeait notamment sur la pertinence du déplacement du clip au musée. Pour elle, « cette délocalisation du clip aurait nécessité une vraie réflexion sur la définition même de cet objet hybride[47] » qui n’est pas présente dans l’exposition. Interroger son rôle au sein de l’industrie culturelle et sur les formes esthétiques qu’il suscite aurait été également nécessaire. Il aurait été de surcroît intéressant de confronter les vidéos d’artistes présentées aux modèles commerciaux dont celles-ci s’inspiraient, montrant ainsi de quelle manière un format télévisuel avait pu influencer certains artistes plasticiens dans leurs pratiques et de quelle façon cette perméabilité s’était traduite dans leurs productions[48]. Le sujet de l’exposition portait sur la relecture du clip et de ses codes par les artistes, encore fallait-il connaître les modèles rejoués. Replacer au sein de la production plastique des artistes les commandes que l’industrie musicale leur avait passées aurait pu également mettre en évidence les liens existants entre les artistes et la culture populaire de manière plus générale.

De plus, peu d’outils de médiation étaient à la disposition du public pour l’aider dans sa compréhension des œuvres, excepté le livret remis à chaque visiteur comportant un court texte de présentation et la liste des vidéos diffusées, ainsi que les textes de présentation des différentes sections déjà présents dans les salles. Pour les visiteurs qui souhaitaient davantage d’explications, des visites guidées étaient organisées une fois par jour, mais uniquement le week-end. Un catalogue de 168 pages[49] accompagnait également l’exposition et comprenait divers textes portant tous sur le clip vidéo, mais n’avaient pas véritablement de liens avec les vidéos présentées dans l’exposition, à l’exception du texte de la commissaire[50]. Le sujet de l’exposition ne manquait pas d’intérêt, étant donné le caractère inédit des œuvres rassemblées et du sujet abordé. Mais en présentant des vidéos qui, pour la majorité, n’étaient pas destinées à la diffusion télévisuelle dans un contexte recréant, de manière paradoxale, les conditions de consommation du clip, l’exposition brouillait davantage les pistes qu’elle ne les éclairait[51].

En proposant une exposition sur l’influence du clip vidéo dans la création d’artistes contemporains mais sans exposer les modèles commerciaux auxquels se référaient ces artistes, Playback illustrait l’ambivalence dont fait désormais preuve l’institution muséale face au clip. Si dans les années 1980, celui-ci avait été célébré comme un nouveau format de création mêlant images en mouvement et musique populaire à travers différentes expositions, mais également par son entrée dans différentes collections de musées, son exposition se fait désormais de plus en plus rare. Sa disparition du musée provient sans doute de sa nature commerciale et télévisuelle. La question de la place du clip au musée continue d’ailleurs à se poser, notamment autour de récentes collaborations réalisées entre artistes plasticiens et chanteurs populaires. C’est ainsi qu’en juillet 2015 certains journalistes ont pu remettre en question la légitimité de la présence de la dernière vidéo[52] de Steve McQueen pour Kanye West dans les collections permanentes du Los Angeles County Museum of Art (LACMA)[53], preuve de la méfiance à voir l’objet clip entrer au musée. Pourtant si la vidéo All Day/I Feel like that réalisée par McQueen soulignait par sa présentation au LACMA les liens toujours plus prégnants entre l’industrie musicale, les artistes et le musée, celle-ci n’est pas à proprement parler un clip. La vidéo montre le chanteur interpréter deux titres dans un long plan-séquence à l’intérieur d’un ancien entrepôt naval de la banlieue londonienne. Si la vidéo prend la forme d’un clip en filmant West chantant à l’écran, elle ne fut pas réalisée dans un but promotionnel et n’était pas destinée à la diffusion télévisuelle mais, précisément, à être exposée sous forme d’installation vidéo dans un musée. Cet exemple, parmi d’autres, montre que désormais les réalisateurs choisissent de dépasser la simple forme clip pour voir leurs collaborations avec des musiciens populaires être exposées au musée. Ce phénomène témoigne de la grande hybridité de certaines collaborations artistico-musicales actuelles. Mais cela révèle surtout le fait que le clip est dorénavant tenu, pour entrer au musée, de se muer en objet artistique et se départir de ses atours promotionnels. Et il est ainsi probable qu’à l’avenir les collaborations entre plasticiens et musiciens autour d’une chanson prennent plusieurs formes, selon que la finalité soit promotionnelle ou artistique.

Notes

[1] Lancée le premier août 1981, MTV (Music Television) fut la première chaîne qui diffusa 24h/24h des clips vidéo aux États-Unis, avant d’être exportée dans d’autres pays à travers le monde.

[2] Si la forme clip et sa diffusion télévisuelle existaient bien avant la création de chaînes musicales, c’est avec leur arrivée que le clip fut institutionnalisé comme un genre télévisuel.

[3] Avec le développement de l’industrie du clip, de nombreux artistes plasticiens s’essayèrent à la réalisation de clips commerciaux, depuis les premières réalisations de The Residents et des travaux de Bruce Conner aux plus récentes collaborations de l’artiste Andrew Thomas Huang avec la chanteuse Björk. On peut également citer les réalisations de clips de Laurie Anderson, John Sanborn, Robert Longo, Pierre et Gilles ou encore de Tony Oursler parmi bien d’autres.

[4] Daney S., « Mondino, l’as de la hanche », Libération, 30 octobre 1987 ; Daney S., Le salaire du zappeur, Paris, P.O.L, 1993, p. 136-140.

[5] L’exposition eut lieu du 21 mars au 29 avril 1984 à l’ARC/musée d’Art moderne de la ville de Paris. À ce jour, nous ne disposons pas d’informations sur la mise en exposition des clips. Une étude de cette exposition reste à entreprendre. Voir Ateliers 84, cat. exp., Paris, musée d’Art moderne de la ville de Paris, 1984, non paginé.

[6] Préparée par Christophe Bargues.

[7] L’exposition occupait tout le plateau du cinquième étage du Centre Pompidou.

[8] Concept théorisé par le philosophe dès 1979. Voir Lyotard J.-F., La condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Éd. de Minuit, 1979.

[9] Voir le dossier de presse de l’exposition : https://www.centrepompidou.fr/media/document/de/0d/de0d76bbe203394435216a975bea8618/normal.pdf (consulté en juin 2017).

[10] Archives du Centre Pompidou (AGP), exposition Les Immatériaux, Box 94033/236 : Fargier J.-P., « Mesures du clip », non daté, p. 17.

[11] Pour plus de détails, voir Déotte J.-L., « Les Immatériaux de Lyotard (1985) : un programme figural », Appareil, 10, 2012, en ligne : http://appareil.revues.org/797 (consulté en juin 2017).

[12] Jean-Paul Fargier donnait à l’époque un cours consacré au clip vidéo à l’Université Paris VIII et écrivit également plusieurs articles sur le sujet dans la revue Les Cahiers du Cinéma.

[13] AGP, exposition Les Immatériaux, Box 94033/236 : « Projet et Devis pour un montage vidéo sur les clips vidéo », de Jean-Paul Fargier et Christophe Bargues, non daté.

[14] Voir à ce sujet Wunderlich A., Der Philosoph im Museum. Die Ausstellung « Les Immatériaux » von Jean François Lyotard, Bielefeld, Transcript Verlag, 2008, p. 132. Information confirmée par Christophe Bargues lors d’une discussion avec l’auteur le 09 mars 2015.

[15] Fargier J.-P., « Mesures du clip », non daté, p. 7.

[16] Voir ibid., p. 17.

[17] L’exposition eut lieu pendant six semaines, tous les jours de 14h à 21h, dans le grand foyer au sous-sol du Centre Georges Pompidou.

[18] AGP, exposition Paysage du clip,  Box 2014025/005 : extrait du communiqué de presse de l’exposition, 1985.

[19] L’exposition organisée par le département du film du musée eut lieu du 6 septembre au 14 octobre 1985. Elle présentait un ensemble 35 clips vidéo datant de la fin des années 1970 et du début des années 1980, mais aussi des vidéos musicales plus anciennes ou des vidéos d’artistes s’inspirant de la forme clip.

[20] Le MoMA et le Centre Georges Pompidou furent les premiers musées d’art contemporain à faire entrer dans leurs collections des clips vidéo musicaux. Le MoMA acquit son premier clip en 1982, celui de « O Superman » de Laurie Anderson suivi de nombreux autres après l’exposition Music Video: The Industry and Its Fringes. Le Centre Pompidou fit entrer dans sa collection ses premiers clips en 1987, avec « Road to Nowhere » et « Once in a Lifetime » réalisés par David Byrne pour le groupe Talking Heads.

[21] Fondée en 1980 par Ed Steinberg, la société Rockamerica fut pionnière dans le domaine du vidéo-clip aux États-Unis. Elle proposa le premier service d’abonnement et de distribution de clips vidéo à la destination des disc-jockeys new-yorkais.

[22] Il s’agit des maisons de disque CBS Records, Phonogram, Virgin, RCA, WEA, Polydor, Pathé Marconi, Vogue, Chrysalis, Barclay, Ariola, ou encore Tamla Motown.

[23] Les programmes 11 à 18 avaient été sélectionnés par Rockamerica.

[24] On y retrouvait des clips vidéo pour Mick Jagger, Michael Jackson, David Bowie, The Cars, The Kinks, ZZ Top, Eurythmics, Culture Club, Cyndi Lauper, Police, Téléphone, Duran Duran, Thomas Dolby, Laurie Anderson, et bien d’autres.

[25] Les différents réalisateurs à qui avait été consacré un programme étaient le duo Godley and Creme, le Cucumber Studio, formé par Rocky Morton et Annabel Jankel, spécialisé dans le clip vidéo d’animation, le réalisateur polonais Zbigniew Rybczyński, ainsi que Christopher Robin Collins.

[26] Voir notamment les interviews de Christopher Robin Collins, Julian Temple, Dee Trattman, Vivien Munt, Godley and Creme, Lexi Godfrey et Steve Barron dans Bargues C., Bedfert P., Séguret O., Paysage du clip, supplément au n° 1354 de Libération, 1985, p. 12-13.

[27] Voir également ibid., p. 8-9.

[28] Voir Jullier L., et Péquignot J., Le clip : histoire et esthétique, Paris, A. Colin, 2013, p. 73.

[29] Voir ibid.

[30] Ibid.

[31] Voir The Arts for Television, cat. exp., Los Angeles, Museum of Contemporary Art ; Amsterdam, Stedelijk Museum, 1987.

[32] Voir Art of Music Video, cat. exp., Long Beach, Long Beach Museum of Art, 1989 ; Art of Music Video: Ten Years After, cat. exp., Long Beach, Long Beach Museum of Art, 1991.

[33] L’exposition occupait la moitié des espaces de l’ARC, l’autre moitié était dévolue à l’exposition monographique de l’artiste Mathieu Mercier intitulée Sans titres 1993-2007.

[34] Voir le communiqué de presse de l’exposition : http://www.paris-art.com/playback/ (consulté en juin 2017).

[35] Ibid.

[36] Selon les mots utilisés dans le trailer de l’exposition: http://www.dailymotion.com/video/x3lkck_playback-au-musee-d-art-moderne_news (consulté en avril 2015).

[37] Se référer également au trailer présentant l’exposition.

[38] Voir le dépliant de présentation de l’exposition distribué aux visiteurs.

[39] Ibid.

[40] Le site web d’hébergement de vidéos YouTube fut créé en février 2005 aux États-Unis (la première vidéo fut mise en ligne le 23 avril 2005). Grâce à ce site, des utilisateurs peuvent envoyer, regarder et partager des vidéos. Son équivalent français, Dailymotion, fut créé la même année, en mars 2005. Depuis d’autres sites de partage de vidéos fonctionnant sur le même principe ont vu le jour.

[41] Le clip fut réalisé en 1983 par John Landis avec un budget de production de 500 000 dollars qui fit de lui le clip le plus coûteux jamais réalisé à l’époque.

[42] Les clips « Hello Again ! » co-réalisé par Andy Warhol et Don Munroe pour le groupe The Cars en 1984 et « Country House » réalisé par Damien Hirst pour Blur en 1995 étaient diffusés parmi d’autres productions d’artistes plasticiens dans cette section.

[43] Péquignot J., « Le clip au musée : démocratisation de l’art ou légitimation d’une pratique populaire ? », Marges, no 15, 2012, p. 11.

[44] Ibid., p. 26.

[45] Voir par exemple les commentaires des visiteurs interviewés dans le trailer de l’exposition déjà cité.

[46] Moulène C., « Le clip au musée », Les Inrockuptibles, no 623, 6 novembre 2007, p. 32.

[47] Ibid.

[48] L’exposition Video hits: art [and] music video organisée par Kathryn Weir et Nicholas Chambers à la Queensland Art Gallery de Brisbane en 2004 mélangeait par exemple clips commerciaux, clips réalisés par des artistes et vidéos d’artistes inspirées de la forme clip. Voir Video Hits: Art and Music Video, cat. exp., South Brisbane, Queensland Art Gallery, 2004.

[49] Playback, cat. exp., Paris, musée d’Art moderne de la ville de Paris, 2007.

[50] Voir Dressen A., « Eyes Wide Tuned », ibid., p. 9-14.

[51] Voir Moulène C., « Le clip au musée », Les Inrockuptibles, no 623, 6 novembre 2007, p. 32.

[52] La vidéo fut présentée du 25 au 28 juillet 2015 au Los Angeles County Museum of Art sous la forme d’installation dans les collections permanentes. Voir la page du musée : http://www.lacma.org/art/exhibition/mcqueen-west (consultée en juillet 2016).

[53] Voir Walch M.-L., Le nouveau clip de Kanye West a-t-il sa place dans un musée ?, 24 juillet 2015, en ligne : http://www.lexpress.fr/culture/musique/le-nouveau-clip-de-kanye-west-a-t-il-sa-place-dans-un-musee_1701068.html (consulté en août 2016) ; Billault J., Kanye West et Steve McQueen au Lacma : promotion ou œuvre d’art ?, 27 juillet 2015, en ligne : http://www.exponaute.com/magazine/2015/07/27/kanye-west-et-steve-mcqueen-au-lacma-promotion-ou-oeuvre-dart/ (consulté août 2016).

Pour citer cet article : Marie Vicet, "Quelle place pour le clip vidéo au musée ? De sa reconnaissance muséale à sa remise en question, à travers trois expositions françaises (1985-2007)", exPosition, 2 octobre 2017, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles3/vicet-clip-video-musee-expositions-france/%20. Consulté le 21 novembre 2024.

Penser l’exposition des images en mouvement

par Caroline Tron-Carroz

 

Caroline Tron-Carroz est docteure en histoire de l’art contemporain, chercheure associée à l’InTRu à l’Université François-Rabelais de Tours. Elle est également rédactrice en chef adjointe de la revue exPosition. Ses recherches portent essentiellement sur l’histoire de l’objet télévision dans le champ de l’art, ainsi que sur les collectifs vidéo des années 1970 aux États-Unis. Elle a récemment publié La boîte télévisuelle. Le poste de télévision et les artistes (INA, 2018).

 

 

Ce deuxième opus de la revue est né de la volonté d’interroger les modalités d’exposition des images en mouvement. Les contributions suivantes sont le fruit d’une journée d’étude qui s’est tenue à l’université Paul-Valéry – Montpellier 3, en mars 2015, sur le thème « Images en mouvement : enjeux d’exposition et de perception ». En réunissant des chercheurs comme des acteurs du monde de l’art contemporain, dont les problématiques touchent de près les enjeux scientifiques et scénographiques de l’exposition des images dites « en mouvement » (œuvres filmiques et œuvres vidéo), cette journée, co-organisée avec Hélène Trespeuch, avait pour ambition d’apporter des éclairages sur la pragmatique de l’exposition de ces images. Des études de cas d’expositions ou de dispositifs d’installation historiques et actuelles engagèrent des réflexions sur les données techniques (accrochage, image et son) et sur les choix de mise en espace des œuvres, inhérents aux commissaires et/ou aux artistes. À travers trois axes d’analyse (« perspectives historiques », « dispositifs » et « mise en exposition »), cette journée se donnait pour objectif de questionner l’espace d’exposition, les rapports perceptifs entre les spectateurs et les œuvres, d’interroger la nature des supports de diffusion et de projection, tout en insistant sur les artistes qui ont ouvert la voie aux formes élargies de la création filmique et vidéo. De manière générale, c’est bien sur le plan de la scénographie, de la mise en conformité des dispositifs avec la pensée des artistes, que se situaient les discussions, qui amenèrent à réfléchir sur la réception en continu ou en mouvement des images, sur la persistance de modèles historiques du cinéma expérimental des années 1960-70 en Europe et aux États-Unis, que certains artistes ont pu actualiser, à l’image du collectif Nominoë[1], alors invité à la journée d’étude.

Examiner la conception d’une exposition d’images en mouvement sous-entend de prendre en compte l’environnement, de penser la circulation, la gestion du son, de mettre en évidence les propriétés plurielles des œuvres, de produire une analyse attentive de l’interaction entre les images et l’espace du musée ou de la galerie. Ces paramètres sont souvent problématiques à instituer, alors que les artistes vidéo comme les commissaires y sont très attentifs, ce que montre, par exemple, Tiphaine Larroque dans son article consacré à la rétrospective de l’artiste Robert Cahen (Entrevoir, musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, 2014). Aujourd’hui, le passage des images analogiques aux formes numériques entretient une barrière floue entre le film et la vidéo, pourtant, à l’origine, de nature très différente : chimie de la pellicule d’un côté et part électronique de la vidéo de l’autre. Leur mise en installation a toujours engendré des données techniques, des poids historiques et des supports de projection distincts. « Contrainte » est toutefois le terme qui semble les rassembler, d’autant qu’il revient de manière récurrente lorsqu’un artiste ou une équipe de musée pilote une exposition de vidéo ou de film. Or les contraintes techniques comme les impératifs financiers (liés aux coûts du matériel) ont toujours fondamentalement imprégné la mise en exposition du film et de la vidéo depuis leur apparition dans le champ de l’art, précisément parce que ces données constitutives ne peuvent être désolidarisées des visées artistiques et esthétiques des images en mouvement. En retour, le chercheur se doit de leur accorder une place de choix, d’autant que la phénoménologie des images (flicker films, vidéos expérimentales), les effets stroboscopiques, nécessitent des paramètres techniques réfléchis, sans dénaturer l’œuvre, ni ses effets sur le spectateur, ce que démontre Fleur Chevalier à travers les expositions récentes des films de Paul Sharits et de Peter Kubelka. Exposer les images en mouvement dans les musées et les galeries d’art est un enjeu curatorial de taille, qui doit affronter avec beaucoup de difficultés l’obsolescence des médiums, sans altérer la part créatrice et expérimentale de la vidéo analogique, comme je le précise dans le cadre d’un article sur l’exposition Vidéo Vintage (Centre Georges-Pompidou, 2012). En outre, mettre en espace des œuvres mobiles, sans les réduire à un divertissement généralisé, représente un défi que de nombreux artistes et commissaires tentent de relever.

Scénographie, compréhension du médium exposé, parole donnée aux artistes, prise en compte du spectateur, représentent des marqueurs essentiels pour penser la mise en espace des travaux filmiques expérimentaux et des créations vidéo. Au-delà de ces paramètres déterminants, Mickaël Pierson interroge la temporalité des images projetées ou diffusées qui, dans certains cas, va bien au-delà des horaires d’ouverture et de fermeture des institutions. Sa réflexion nourrit ainsi les débats sur la réception intégrale de l’œuvre par le public des musées et des galeries, autant de lieux privilégiés qui tentent de bousculer l’installation traditionnelle des images en mouvement.

À travers ce dossier thématique, il s’agit donc de considérer la manière dont les images en mouvement accompagnent les démarches des artistes, touchant différents domaines, circulant dans différents milieux, dans la mesure où le décloisonnement des disciplines et les formes « étendues » représentent encore à ce jour une part dominante du champ de l’art[1]. Si ces questions entrecroisent particulièrement les liens entre cinéma et art contemporain, la revue exPosition entend ici interroger les modalités de mise en espace de ces rapports et réfléchir sur les formes que prennent les expositions consacrées aux images en mouvement.

 

Notes

[1] Sur les performances cinématographiques du collectif Nominoë, voir : http://nominoe.org/membres.php.

[1] Ces formes « étendues » englobent une littérature riche et conséquente, notamment lorsqu’elles touchent le domaine du cinéma. Pour une analyse des publications récentes, voir : Riccardo Venturi, « Repenser le cinéma élargi », Critique d’art, n° 45, automne-hiver 2015, p. 42-55.

Pour citer cet article : Caroline Tron-Carroz, "Penser l’exposition des images en mouvement", exPosition, 21 juin 2016, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles2/tron-carroz-penser-exposition-images-en-mouvement/%20. Consulté le 21 novembre 2024.

Le format de la séance appliqué à l’exposition de l’image en mouvement

par Mickaël Pierson

 

Mickaël Pierson est doctorant en Arts et sciences de l’art à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur les liens entre arts plastiques et cinéma, notamment sur la manière dont les artistes contemporains intègrent le cinéma à leur pratique, le rôle et les effets du déplacement du cinéma vers l’exposition. En 2013, il a organisé avec Fleur Chevalier et Marie Vicet les journées d’étude « Du studio au plateau de télévision : appropriations, détournements et réinterprétations par les artistes » à l’INHA à Paris. Parmi ses récentes publications figurent par exemple « Du re-enactment au remake : le corps de la mémoire » (in Bis placent repetita, cat. exp., Mac/Val, Vitry-sur-Seine, 2016), ou encore « Vers une pratique communautaire du remake » (Marges, n° 17, octobre 2013). —

 

La logique du musée ou de la galerie veut que l’œuvre soit accessible en continu le temps que dure son exposition. Si cela semble une évidence dans le cas des media traditionnels, cela nécessite pour les œuvres faites d’images en mouvement leur mise en boucle, soit la reprise plus ou moins rapide de la pellicule, de la bande magnétique ou du fichier numérique dès que ceux-ci s’achèvent. Que la projection recommence immédiatement ou qu’un bref délai soit mis en place, la diffusion en boucle est devenue le mode de présentation usuel des images en mouvement dans l’exposition. Ainsi, les visiteurs les découvrent en cours de diffusion sans nécessairement pouvoir identifier immédiatement où se situe le passage dans l’architecture de l’œuvre. Pour autant, il serait vain de croire que cette mise en boucle est subie par les artistes. Au contraire, elle est rarement mise en cause et le plus souvent intégrée dès la conception de l’œuvre, au même titre que les autres conditions de présentation (projection ou diffusion sur moniteur, taille de l’écran, taille de l’espace de présentation, condition de lumière, de son…).

Pourtant, au sein d’une nouvelle génération d’artistes, dont les premiers travaux naissent à la fin des années 1980 ou au début des années 1990 et pour lesquels le cinéma va être un point d’accroche majeur de leurs productions[1], certains vont envisager d’autres moyens de diffusion : la présentation des films et vidéos sur le mode de la séance. L’œuvre n’est alors plus perpétuellement présente dans l’exposition, mais diffusée à intervalles réguliers. À la position plus libre du visiteur d’exposition répond une partie des contraintes propres au dispositif cinématographique : la prescription d’horaires de diffusion et l’impossibilité de pénétrer la salle une fois la projection commencée[2]. Il n’est pas ici question des séances spéciales consacrées aux artistes en marge d’une exposition ou lors de cycles spécifiques qui prennent place dans les auditoriums et salles de cinéma des musées. Il s’agit au contraire de la mise en place de séances au sein des espaces d’exposition, pratique qui va à l’encontre de l’attendue présence en continu de l’œuvre au musée.

La mise en séance comme principe de l’œuvre

Jeroen de Rijke et Willem de Rooij réalisent des films pour l’exposition plutôt que pour le cinéma. Ils se considèrent comme des plasticiens qui font des films. Ces deux artistes néerlandais travaillent ensemble de 1994 jusqu’au décès de Jeroen de Rijke en 2006. Ils ont fait de la projection selon un format de séance une pratique inhérente à la présentation de leurs films 16 ou 35 mm[3]. Ceux-ci, d’une durée généralement assez courte, sont diffusés dans des espaces spécifiquement conçus par les artistes dans l’exposition. S’il préserve les films de la proximité immédiate des autres œuvres, l’espace de projection n’adopte pourtant ni les caractéristiques complètes de la black box muséale ni – même s’il en reprend le principe de fonctionnement – celles de la salle de cinéma. L’obscurité définie par ces deux espaces n’est pas requise par les artistes. Comme dans une salle obscure, le projecteur est dissimulé dans un espace insonorisé. Les murs, par contre, conservent la blancheur de la salle d’exposition, celle du white cube. Quelques bancs sont disposés. Rien d’autre ne vient perturber la vision du film. Les horaires de projection des films sont précisés dans l’espace d’exposition, ainsi que sur les supports de communication. L’intervalle entre chaque projection est important. Pour l’exposition que Jeroen de Rijke et Willem de Rooij partageaient avec Christopher Williams à la Sécession de Vienne en 2005, deux films étaient diffusés quotidiennement à six reprises. Les horaires décalés des projections permettaient d’assister successivement aux deux films sans un temps d’attente trop conséquent. En revanche, si le visiteur voulait revoir le film à la projection suivante, il devait patienter plus d’une demi-heure dans le cas de Mandarin Ducks (2005) et près d’une heure pour The Point of Departure (2002). Un écart similaire entre les projections s’observe pour toutes présentations des films du duo néerlandais.

Le rejet de la diffusion en boucle fait de l’attente de la séance un des éléments constitutifs de l’expérience de l’œuvre. L’historienne des media Erika Balsom insiste sur ce point :

« Avec les horaires de projection à l’extérieur de la pièce, on s’attend à ce que le spectateur s’assoit, attende que le film commence, et reste jusqu’à ce qu’il finisse. […] de Rijke et de Rooij s’intéressent à la vacance résultant du laps de temps entre deux projections, quand la salle est vide et blanche[4]. »

Cette présence intermittente du film dans l’exposition implique la possibilité de découvrir l’espace hors du temps de projection. Selon la durée des films, sur une journée d’exposition, l’espace de projection est alors autant visible hors du temps de projection que durant la projection. L’espace de projection est alors fréquemment rapproché de la sculpture minimale :

« Ils préfèrent envisager leur production sous l’angle croisé de la sculpture et de la peinture. […] Ils aménagent les espaces de monstration avec une rigueur toute fonctionnelle, afin que chaque salle, entre deux projections, puisse être aussi parcourue du regard comme une espèce d’installation minimaliste[5]. »

Dans les catalogues, aux côtés de photogrammes, les artistes montrent souvent des vues d’exposition hors du temps de projection. Ils semblent ainsi accorder autant d’importance au film projeté qu’à l’espace qu’il occupe. Ce point est souligné par Christopher Williams à propos de l’exposition à la Sécession : « Nous étions d’accord sur le fait que l’extérieur des salles de projection de De Rijke et De Rooij était aussi important que l’intérieur, c’est pourquoi je n’ai pas accroché mes images sur les murs extérieurs de ces espaces[6]. »

La projection selon le format de séance est la condition sine qua non de la présentation des films de Jeroen de Rijke et Willem de Rooij. Il s’agit aussi bien d’une tentative pour s’assurer une attention plus soutenue à leurs films que d’une résistance à la surconsommation actuelle des images : « Les images sont utilisées comme des ordures. Les gens ne les regardent même plus. C’est aussi notre rôle de protéger les images que nous produisons de la surexposition, et notre public d’une boulimie visuelle auto-imposée[7]. » La relative rareté de leur diffusion, en opposition à l’éternel accès offert par la projection en boucle, encourage-t-elle le visiteur à un visionnement intégral des films ? Toujours est-il que Jeroen de Rijke et Willem de Rooij s’emparent d’un mode de fonctionnement aux conditions de vision singulièrement plus autoritaires que celles traditionnellement dévolues au musée.

Rares sont les cas d’artistes optant d’une manière aussi radicale pour la projection selon un format de séance pour l’intégralité de leurs travaux. La majorité de ceux qui y ont recours le font en général pour un projet spécifique ou pour mettre en valeur de manière ponctuelle une œuvre qui retrouve ensuite le mode de présentation muséal habituel, celui de la diffusion en boucle. C’est le cas de Steve McQueen qui, s’il s’illustre désormais aussi bien dans le circuit du cinéma qu’au musée, a été découvert sur la scène artistique avec ses films, films transférés sur vidéo ou installations, généralement projetés en boucle, depuis le début des années 1990. En 2002, lors de sa participation à la Documenta 11 à Kassel, il présente deux nouveaux projets filmiques en diptyque : Caribs’ Leap et Western Deep. Tous deux sont montrés dans des salles conjointes dont l’entrée est soumise à de stricts horaires d’admission. Tourné sur l’île caribéenne de Grenade, Caribs’ Leap[8] évoque la résistance des indigènes à la colonisation. Après un siècle et demi de lutte, les Français triomphent de la révolte en 1651 : les derniers résistants préfèrent se donner la mort plutôt que de se soumettre à l’autorité étrangère. Ils se jettent d’une falaise de la ville de Sauteurs. Le lieu est désormais connu sous le nom de Caribs’ Leap. Montré, à Kassel, sur un seul écran, le film a été ensuite retravaillé pour être présenté sous forme de double projection : le plus grand des deux écrans montre une vue du ciel reflété dans les eaux peu profondes de la mer dont le calme apparent est régulièrement interrompu par la chute d’un corps, tandis qu’en face le plus petit documente une journée contemporaine à Grenade. Projeté à Kassel dans une salle adjacente, Western Deep[9] dévoilait sur un unique écran le travail des mineurs dans la plus profonde mine d’or du monde, Tau Tona en Afrique du Sud. La même direction gère les mines de Western Deep depuis l’Apartheid et emploie majoritairement des noirs. Le film suit la descente des mineurs sur les 3500 mètres de profondeur, puis à travers l’obscurité et l’intense chaleur, dans des conditions de travail extrêmement dangereuses.  Carib’s Leap et Western Deep sont organisés autour d’un même mouvement de descente. Si l’un est une chute rapide et désespérée et l’autre un mouvement lent, mécaniquement contrôlé et théoriquement non mortel, le diptyque évoque à quatre siècles d’écart une similaire domination de l’homme blanc sur les populations noires.

La black box dans laquelle est projetée Western Deep redouble l’effet claustrophobique de l’ascenseur et de la mine. Le début du film est très sombre. Durant un peu plus de six minutes, l’écran reste quasi noir à l’exception de plans brefs sur les visages ou l’armature de l’élévateur éclairés par le passage de l’engin dans une zone plus lumineuse de la mine. L’obscurité des images et de la black box renforce également la présence sonore du film et son obsédant roulis mécanique. L’expérience est forte, très immersive. Les images de Steve McQueen s’adressent au corps en son entier, pas seulement à l’œil et à l’ouïe, encore moins uniquement à l’intellect. Il est à la recherche d’un effet direct de l’image sur le spectateur. Les conditions de présentation de ses travaux sont toujours très précisément fixées. Pour l’artiste, il s’agit de « mettre le public dans une situation où chacun devient très sensible à lui-même, à son corps, à sa respiration[10]. » C’est ce désir de confrontation directe qui le pousse à présenter les deux films selon un mode de séance avec des horaires précis et une salle rendue inaccessible une fois la projection commencée. Il propose au visiteur d’expérimenter de manière conjointe deux films fortement contrastés : le passage d’un paysage libre et lumineux à un enfermement souterrain. Cette expérience corporelle, ce retour sur soi ne peut que difficilement avoir lieu si l’expérience est constamment perturbée par les entrées et sorties des visiteurs dans la salle de projection. L’accès aux films uniquement à certains horaires souligne l’importance de l’expérience de l’œuvre en intégralité et dans l’ordre chronologique. À la différence de Jeroen de Rijke et Willem de Rooij, le temps d’attente entre chaque séance, permettant la sortie des spectateurs et l’installation de nouveaux, est assez court. Ce mode de présentation étonne lors de la Documenta, d’autant plus qu’à quelques salles de là, la cinéaste Ulrike Ottinger présente Southeast Passage (2002), un film de six heures diffusé en boucle[11]. Si la réalisatrice s’adapte aux conditions de monstration de l’institution, l’artiste, lui[12], y impose le fonctionnement du cinéma. L’artiste réutilise le format séance pour la présentation de Giardini[13] créé pour le pavillon britannique de la 53e Biennale de Venise en 2009. Ce choix a été plus commenté qu’à l’accoutumée, notamment à cause des files d’attente occasionnées pour pouvoir accéder au film[14].

À la Documenta comme à la Biennale de Venise, il s’agissait de la première présentation des films. Leur mise en séance a été, par la suite, le plus souvent maintenue. La rétrospective consacrée à l’artiste à la Schaulager Laurenz Foundation à Bâle en 2013 présentait la majorité de sa production filmique. L’essentiel des œuvres était diffusé en boucle, seuls trois films (Western Deep, Giardini et 7th Nov., 2001) étaient projetés en séances selon des horaires précis. Réunion d’une large partie de ses œuvres, l’exposition devenait aussi la rétrospective de la manière dont celles-ci ont été montrées : une exposition d’objets d’art autant que de dispositifs et de choix artistiques, attestant l’importance particulière de ces derniers dans le travail de l’artiste.

La mise en séance comme « événementialisation » d’une œuvre de longue durée

En 2010, Tacita Dean et Pierre Huyghe présentent leurs nouveaux films. Si chacun des projets est bien spécifique, leur mode de présentation tend à les rapprocher. Au lieu d’une attendue diffusion en boucle, ceux-ci sont montrés selon un programme de séances avec des horaires précis. L’artiste britannique dévoile Craneway Event[15] à la Frith Street Gallery à Londres, puis à la Galerie Marian Goodman à Paris. Le film était projeté trois fois par jour, et seulement deux fois le samedi dans la galerie anglaise. Le Français Pierre Huyghe montre The Host and the Cloud[16] quatre fois par jour à la Galerie Marian Goodman Paris, puis à l’antenne new-yorkaise de la galerie l’année suivante. Une fois la projection commencée, les films ne sont plus accessibles pour les visiteurs retardataires ; il leur faut attendre la séance suivante. Les visiteurs sont amenés à se conformer aux horaires des séances prévus pour l’occasion, annoncés à l’entrée des galeries et diffusés par elles.

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce choix de présentation. La première et la plus évidente est la durée particulièrement longue des deux films. Craneway Event dure 108 minutes et The Host and the Cloud 121 minutes, ce qui les rapproche du format d’un long métrage cinématographique. Une deuxième raison, corollaire de la première, pourrait être la volonté des artistes que leur film soit vu in extenso et à partir du début, là où la projection en boucle permet de découvrir l’œuvre à n’importe quel moment de son déroulement. Une logique narrative inhérente au film pousserait-elle alors au choix d’une présentation sur un format séance et à l’interdiction d’accéder au film en cours de diffusion ? Cela semble être le cas pour The Host and the Cloud qui retrace une série d’événements au Musée des arts et traditions populaires de Paris :

« […] une expérience autonome s’y déroule sur un an. Un groupe de personnes est mis sous conditions. Tout ce qui a lieu est réel, rien n’est joué. Les personnes sont exposées à des situations live qui apparaissent accidentellement, simultanément ou sans enchaînement dans la totalité du bâtiment[17]. »

S’étalant sur plusieurs heures (plus ou moins les horaires d’ouverture d’un musée) et disséminés sur trois journées, le film n’est pas à même de retracer complètement les événements et n’évoque l’expérience que par fragments. Il ne construit pas une narration absolument linéaire, mais retrace l’ensemble du projet de manière globalement chronologique. S’il est possible de l’apprécier seulement par extraits, une vision complète et chronologique est recommandée et encouragée par le choix de monstration. On peut d’ailleurs ajouter que l’exposition du film à la galerie Marian Goodman à Paris a été précédée par plusieurs avant-premières au cinéma du Centre Pompidou.

Cette nécessité d’une expérience chronologique et complète est moins évidente chez Tacita Dean. Comme Jeroen de Rijke et Willem de Rooij, l’artiste réalise, depuis le début des années 1990, des films sur pellicule conçus pour le musée. Craneway Event dévoile trois journées de répétition du chorégraphe Merce Cunningham avec sa compagnie au Craneway Pavilion dessiné par Albert Kahn à Richmond en Californie. Ces séances de répétition apparaissent sans introduction ni commentaires, avec pour seuls sons les bruits produits par les danseurs sur le parquet. Des dix-sept heures tournées, l’artiste tire un film de 108 minutes. Le montage est là encore chronologique. Pour autant, le sujet et le caractère répétitif du film rend le recours au format séance peut-être moins fondamental que pour The Host and the Cloud. Pourquoi alors tenir autant à cette expérience sous format séance ? Cela s’explique probablement par le décès du chorégraphe durant la finalisation du film comme le précise Tacita Dean :

« Merce mourut pendant que je le montais, alors le film devint son dernier et j’ai vraiment voulu honorer la matière filmée en l’utilisant correctement et ne pas m’inquiéter de sa longueur en tant qu’œuvre. Alors il dure 1 heure 48 minutes. J’ai gardé les trois jours intacts[18]. »

Le film se charge d’une dimension affective pour Tacita Dean qui fait de l’exposition un hommage posthume au chorégraphe et peut expliquer sa volonté de contraindre le spectateur à une vision exhaustive et chronologique du film. Cela semble confirmé par l’absence de ce mode de présentation dans la carrière de l’artiste qui adopte quasi systématiquement la projection en boucle pour ses films[19]. Chez Pierre Huyghe en revanche, la mise en crise de la boucle est plus fréquente. Si ce type de projection est le plus souvent conservé, l’artiste s’est attaché à de nombreuses reprises à enrayer son fonctionnement. Il situe ces recherches dans un questionnement du format exposition entrepris depuis le début des années 1990. Autant que le déploiement des œuvres dans l’espace, certaines de ses expositions étaient organisées selon des protocoles temporels spécifiques : un programme informatique contrôlant le moment d’apparition des films ou vidéos, leur diffusion pouvait se faire en continu (ou d’une manière quasi continue), mais les visiteurs n’y avaient accès qu’à des moments spécifiques (Le Château de Turing, Biennale de Venise, 2001) ou être rendue intermittente et/ou mobile (Interludes, 2001 et No Ghost just a shell, 2003, Van Abbemuseum, avec Philippe Parreno ; Streamside Day Follies, 2003, DIA Center for the arts…).

Par-delà le seul souhait des artistes, ce choix de présentation en séance pose des problèmes concrets aux espaces d’exposition. Même si les changements ne sont pas d’une grande complexité, ces films forcent l’espace d’exposition à revoir et adapter son fonctionnement. Les horaires des séances doivent être annoncés en amont pour prévenir les visiteurs du fonctionnement particulier de l’exposition. Pour Craneway Event, la Frith Street Gallery offrait même la possibilité de réserver des sièges pour les projections du samedi[20]. En prévoyance de l’affluence ? Les horaires précis à respecter rendaient en effet la fréquentation des galeries plus compacte qu’à l’accoutumée. Au lieu du défilé ponctuel des visiteurs dans la journée, il s’agissait de groupes plus importants qui se présentaient à heure fixe. La longueur des films encouragea les galeries à un plus grand pragmatisme, tant dans le minimum de confort à fournir[21] que, surtout, dans le nombre de spectateurs à accueillir en même temps. L’exposition de Pierre Huyghe souleva un dernier point. Le nombre de projections quotidiennes força les galeries à modifier légèrement leurs horaires d’ouverture, la dernière projection s’achevant respectivement seize minutes après la fermeture habituelle à Paris et douze à New York[22]. L’aménagement des horaires n’est pas un grand bouleversement du fonctionnement de la galerie, mais reste tout de même une réponse à un problème posé par l’œuvre exposée[23].

La mise en séance pour accomplir la projection en boucle 

La mise en séance de l’œuvre peut imposer des modifications plus importantes encore à l’espace d’exposition. Le format même de l’œuvre soumet, parfois, l’exposition à un fonctionnement spécifique. C’est le cas avec deux projets hors normes dont la très longue durée ne leur permet pas d’être intégralement visibles durant les horaires d’ouverture des espaces d’exposition. L’œuvre va alors prescrire l’idée de séances spécifiques incitant l’institution à mettre en place des événements spéciaux. Alors connu comme artiste opérant aux marges de l’installation et du mail art, Douglas Gordon présente en 1993 l’un de ses premiers travaux vidéo[24]. 24 Hour Psycho[25] consiste au ralentissement de la diffusion de lecture d’une VHS de Psychose d’Alfred Hitchcock (1960) depuis un magnétoscope afin que le film atteigne la durée de 24 heures[26]. Diffusée à cette vitesse, l’image change approximativement toutes les deux secondes. L’extrême durée de 24 Hour Psycho implique que seule une partie de l’installation (environ le tiers) ne soit visible durant les horaires d’ouverture du lieu qui la présente. Par ses spécificités, l’œuvre excède les capacités d’accueil de l’institution artistique. Elle peut y être montrée intégralement, mais il faudra environ trois journées d’ouverture régulière pour que ce soit le cas. À plusieurs reprises, l’artiste a donc organisé des projections intégrales de 24 Hour Psycho, des « 24 hour screenings », invitant ainsi l’institution à ouvrir 24 heures sur 24. Un tel événement a été mis en place dès la première présentation de l’œuvre au Tramway à Glasgow[27] et est régulièrement rejoué lors des expositions de l’artiste. Les mêmes problèmes se posent avec 5 Year Drive-By (1995)[28]. Conçu pour la 3e Biennale de Lyon en 1995, il s’agit de la radicalisation du procédé entrepris avec 24 Hour Psycho. La projection de La Prisonnière du désert (John Ford, 1956) est ralentie pour correspondre à la durée réelle du récit développé dans le western, soit cinq années. Selon les calculs de l’artiste, la projection d’une seconde du film équivaut à 6h46 de durée réelle, chaque photogramme dure alors un peu plus d’une vingtaine de minutes. L’institution qui présente l’installation ne peut en diffuser qu’environ une seconde par jour. D’une durée d’un peu moins de deux mois, la Biennale de Lyon n’a logiquement pas dû excéder la minute de diffusion de 5 Year Drive-By. Le titre même de l’installation en appelle à un type spécifique de fonctionnement cinématographique, celui du drive-in. L’artiste rêvait d’une installation pérenne du projet :

« J’aimerais en faire un cinéma “drive-in”, situé idéalement dans la Monument Valley de l’Utah, ou non loin de là. J’aime l’idée d’un monument physique par [avec] cette idée de quête – et si c’est le cas, le spectateur potentiel doit participer à une sorte de voyage physique pour voir l’œuvre. C’est un parallèle véritable à l’histoire originale[29]. »

Si un tel monument n’a pour l’instant pas été érigé, des projections en extérieur ont été tentées. En 2001, en marge de son exposition au Geffen Contemporary at MOCA à Los Angeles, Douglas Gordon présente 5 Year Drive-By le temps d’un week-end dans le désert de Mojave près de Twentynine Palms[30]. Ce type de présentation, en extérieur, hors du cadre de l’institution culturelle et gratuite, rapproche 5 Year Drive-By des œuvres produites pour l’espace public. L’artiste souligne d’ailleurs cette analogie dès l’origine du projet. Le commissaire d’exposition Jan Debbaut rapporte : « 5 Year Drive-By était à l’origine présenté à la 3e Biennale d’art contemporain de Lyon, 1995, en tant que “proposition pour une œuvre d’art publique[31]” ». Douglas Gordon insiste à l’époque sur la dimension publique du projet, de même que d’une partie importante de son travail. Évoquant l’aspect social de l’expérience cinématographique, l’artiste en appelle à des projections hors des cadres habituels :

« La salle de cinéma devient un lieu d’asile où l’on oublie le monde réel pour se projeter dans le film. […] Et si l’on admet que les gens utilisent le film de la sorte, alors pourquoi ne pas faire des projections dans des espaces à caractère encore plus social, avec des cadres moins rigides ? Ne serait-ce que comme simple expérience sociale[32] ! »

Via la présentation de 5 Year Drive-By dans l’espace public, ou des projections visibles depuis l’espace public[33], Douglas Gordon tente des modes de présentation alternatifs à même de toucher, ou du moins de rencontrer brièvement, un public différent de celui de l’institution artistique, rejouant et accentuant la dimension collective et populaire de la séance cinématographique.

Cette même question de la durée de l’œuvre va mener Christian Marclay à adopter ce système de séances spéciales. L’artiste suisse s’est longtemps attaché à donner une forme visuelle à la musique par des installations ou des films relavant du found footage[34] dans lesquels les extraits de films sont utilisés pour leur valeur sonore. The Clock (2010)[35] poursuit ce principe de collage visuel et sonore et l’étend sur une durée de 24 heures. Via le montage de brefs fragments de films ou de séries télévisées montrant ou énonçant l’heure, l’artiste reconstitue le passage d’un jour complet. Personnages, montres, réveils, pendules… égrènent les minutes avec une précision drastique. La vidéo est impérativement synchronisée à l’heure du pays qui l’expose, de sorte que l’heure à l’écran corresponde à l’heure réelle, le temps des personnages à celui des spectateurs. The Clock s’offre comme une gigantesque horloge alternativement visuelle et parlante. La vidéo est projetée sur un grand écran dans une salle plongée dans l’obscurité remplie de canapés blancs, étagés à la manière des rangées de fauteuils d’une salle de cinéma. Comme chez Douglas Gordon, le temps d’ouverture quotidien du musée ne permet pas de diffuser l’œuvre dans sa totalité. Pire, l’installation étant synchronisée au temps réel, c’est donc systématiquement le même segment qui est diffusé tous les jours, une grande partie de la vidéo reste donc invisible. Là où la projection de 24 Hour Psycho et 5 Year Drive-By peut s’étaler sur la durée de l’exposition et la diffusion reprendre là où elle a été interrompue la veille, c’est impossible pour The Clock. La nature de l’installation et le fonctionnement normal de l’institution artistique empêchent l’accès au deux tiers environ de The Clock. L’organisation de séances spéciales avec aménagement des horaires de l’institution est donc une condition nécessaire à l’expérience de l’œuvre.

Depuis sa première présentation à la galerie White Cube de Londres en 2010, des projections continues de 24 heures sont mises en place à la demande de l’artiste à chaque exposition. En fait, et cela est valable aussi pour 24 Hour Psycho, ces projections ponctuelles de 24 heures tiennent moins de la mise en séance que de la possibilité d’accomplir une mise en boucle réelle de l’œuvre. Si, dans The Clock, le contenu des images s’adapte à l’heure de la journée[36], Christian Marclay insiste sur l’absence d’une progression narrative de la vidéo : « Il n’y a pas de début ni de fin. Ça commence quand vous entrez dans la salle, et théoriquement ça tourne tout le temps, même en ce moment… C’est une boucle (loop)[37]. » The Clock a donc besoin de ces séances spéciales pour achever son processus naturel, pour que l’aspect cyclique de la représentation temporelle ait effectivement lieu et que la vidéo joue complètement son rôle de marqueur temporel. Paradoxalement, la mise en séance va permettre la mise en boucle, les deux formats d’apparence contraires devenant complémentaires. De la même manière que Douglas Gordon rêvait d’une projection permanente pour 5 Year Drive-By, Christian Marclay désirait une présentation continue dans l’espace public, comme l’indique Olivier Schefer : « Marclay souhaiterait installer sa vidéo dans des gares et des aéroports, comme une horloge que l’on consulterait, sans plus y penser, selon ses besoins ou par curiosité, mais toujours de façon distraite[38]. »

Alors que The Clock est délibérément réalisé pour l’exposition, sa présentation complète ne peut se faire que sur le mode ponctuel de la séance. Sa dimension événementielle, de même que son format exceptionnel, influe grandement sur le succès rencontré par l’œuvre très fréquemment exposée[39]. À chaque fois, la fréquentation des expositions et des projections en continu est importante[40]. La gratuité des projections spéciales à laquelle tient l’artiste, alors que l’exposition, elle, est payante, de même que le couplage de ces projections avec des événements fédérateurs[41] explique en partie ce succès. En partie seulement, car The Clock bénéficie d’une large fréquentation pendant toute la durée de ses présentations, obligeant les institutions à publier des instructions précises quant à l’accès à l’installation, prescriptions qui ne sont pas habituellement prises pour les autres expositions[42]. Outre la volonté des artistes et les besoins de l’œuvre, cette pratique de séances spéciales s’insère alors dans le cadre d’une événementialisation de l’activité muséale. Proposant une expérience inattendue et nouvelle, l’ouverture à des horaires inhabituels et les projections en continu deviennent autant un outil publicitaire qu’un moyen d’accroître le nombre de visiteurs. Les ouvertures 24 heures sur 24 dépassent alors les seuls cas de projection des œuvres de longue durée ou la participation à des événements nationaux et deviennent une pratique fréquente lors d’expositions à grande audience[43].

La mise en séance de l’image en mouvement au sein de l’exposition reste un choix artistique rare. À notre connaissance, les quelques expériences succinctement commentées sont celles qui, à la manière de Jeroen de Rijke et Willem de Rooij et, dans une moindre mesure, Steve McQueen, intègrent ce format comme constituant même de l’œuvre[44] ou alors celles dont l’apparition s’est faite lors d’une manifestation internationale à large audience, du type Documenta à Kassel ou Biennale de Venise. La mise en séance opère de facto une mise en valeur de l’œuvre. Rendue plus rare et non disponible en continu comme la majorité des œuvres exposées, celle-ci impose au visiteur de se plier à ses conditions de visibilité. Comme revendiqué par le duo néerlandais[45], cette pratique peut être lue comme un acte de résistance à la surconsommation actuelle des images, de même qu’à la spectacularisation de l’art contemporain. Mais on peut aussi se demander dans quelle mesure il ne s’agit pas, pour les artistes, d’une volonté de retour à l’un des fondamentaux de l’expérience cinématographique : la dimension collective de la séance. Le conservateur Philippe-Alain Michaud rappelle que « ce n’est pas le cinéma qui naît, à la fin du XIXe siècle […] mais la projection publique qui allait, durant tout le XXe siècle, rester l’horizon de l’histoire du cinéma[46]. » Le temps de la séance, le cinéma produit une collectivité éphémère, aujourd’hui reprise et rejouée par les artistes dans leurs œuvres à l’heure où la dimension collective et sociale du cinéma est concurrencée par la variété et la complexité de sa diffusion[47]. Outre une mise en valeur de l’œuvre, la mise en séance marque aussi la dimension sociale, voire quelque peu utopiste, du travail de ces artistes.

 

Notes

[1] Quelques ouvrages approfondissent la question. Par exemple : Beyond Cinema, the Art of Projection: Films, Videos and Installations from 1963 to 2005, cat. exp., Berlin, Hamburger Bahnhof – Museum für Gegenwart, 2006 ; Connolly M., The Place of Artists’ Cinema, Bristol et Chicago, Intellect, 2009 ; Balsom E., Exhibiting Cinema in Contemporary Arts, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2013.

[2] Si le mode de la séance n’était pas nécessairement le mode de fonctionnement initial du cinéma, il s’est progressivement imposé. Voir : Meusy J.-J.,  Paris-Palaces ou le temps des cinémas (1894-1918), Paris, CNRS Éditions, 2002 (1995).

[3] Ce format de séance s’observe surtout dans leurs expositions personnelles. Cela semble aujourd’hui moins vrai dans les expositions collectives.

[4] Balsom E., Exhibiting Cinema in Contemporary Arts, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2013, p. 81 : « With screening times posted outside of the room, the viewer is expected to sit, wait for the film to start, and stay until its ends. […] de Rijke and de Rooij are interested in the vacancy resulting from the span of time between projections, when the room will be white and empty ».

[5] Communiqué de presse de l’exposition De Rijke/De Rooij, exp., Nice, Villa Arson, 2002, en ligne : http://archives.villa-arson.org (consulté en février 2015). On retrouve cette référence au minimalisme dans le communiqué de presse de l’exposition personnelle des artistes à la Douglas Hyde Gallery de Dublin en 2003, en ligne : http://www.douglashydegallery.com/exhibition.php?intProjectID=90 (consulté en février 2015), ou encore dans Tumlir J., « Reports from the front: on the films of Jeroen de Rijke & Willem de Rooij », The Hugo Boss Prize 2004, cat. exp., New York, The Solomon R. Guggenheim Foundation, 2004, p. 36.

[6]  Heiser J., « As we speak », Frieze, n° 134, octobre 2010, p. 181 : « We agreed that the outside of De Rijke and De Rooij’s projection rooms was as important as the inside, so I did not hang my pictures on the outside of their space ».

[7] Schafhausen N., « Interview with de Rijke/de Rooij: If only all rooms would so clearly fulfill their purpose », Jeroen de Rijke/Willem de Rooij: After the Hunt, cat. exp., Francfort-sur-le-Main, Frankfurter Kunstverein ; Mönchengladbach, Städtisches Museum Abteiberg, 1999, p. 18 : « Images are being used as garbage. People don’t even look at them… It is also our task to protect the images we make from over-exposure, and our public from their self-imposed visual bulimia ».

[8] Steve McQueen, Caribs’ Leap, 2002, film 8 mm et 35 mm, couleur, son, transféré sur vidéo, deux projections, 28 min 53 et 12 min 06.

[9] Steve McQueen, Western Deep, 2002, film 8 mm, couleur, son, transféré sur vidéo, projection, 24 min 12.

[10] Boyer C.-A.,  « La pulsation de l’image », Steve McQueen, Speaking in Tongues, cat. exp., Paris, Musée d’Art moderne de la ville de Paris, 2003, p. 51.

[11] Voir les propos de Chrissie Iles dans Ramos F., « “Thoughts About Curating Moving Images”, Erika Balsom, Maeve Connolly and Chrissie Iles, interview », Mousse Magazine, n° 38, avril 2013, p. 56-61. En effet, malgré l’ampleur des projets et la variété des formats proposés à la Documenta, la présentation en boucle des travaux utilisant l’image en mouvement dans l’exposition (à nouveau, nous ne tenons pas compte ici des programmations spéciales qui prennent place en salle de cinéma ou auditorium) reste une norme.

[12] Steve McQueen fera d’ailleurs sa première incursion au cinéma avec Hunger en 2008.

[13] Steve McQueen, Giardini, 2009, film 35 mm transféré sur format numérique HD, couleur, son, 30 min 08, double projection.

[14] Voir : Zabunyan D., « La direction des visiteurs », Cahiers du cinéma, Dossier « Art et cinéma », n° 683, novembre 2012, p. 14.

[15] Tacita Dean, Craneway Event, 2009, film anamorphique 16 mm, couleur, son optique, 108 min.

[16] Pierre Huyghe, The Host and the Cloud, 2010, film, vidéo HD, couleur, son, 121 min 30.

[17] Huyghe P., « The Host and the Cloud, 2009-2010 », Pierre Huyghe, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, 2013, p. 154.

[18] Obrist H. U., Tacita Dean, The Conversation Series 28, Cologne, Buchhandlung Walther König, 2012, p. 66-67: « Merce died while I was cutting it, so it became his last film and I wanted to really honore the material by using it properly and not worrying about its length as an artwork. So it’s 1 hour and 48 minutes long. I kept all the three days intact ».

[19] Le seul exemple connu où Tacita Dean n’adopte pas la diffusion en boucle est The Green Ray (2001) pour lequel le spectateur lance la projection par pression sur un bouton.

[20] Communiqué de presse de l’exposition Tacita Dean: Craneway Event, Londres, Frith Street Gallery : « Call to reserve seats for Saturday screenings ».

[21] Outre l’obscurcissement de l’espace, des rangées de sièges évoquaient la salle de cinéma. Si la mise en place d’assises est fréquente dans le cadre d’exposition d’images en mouvement, elle n’est nullement une constante et se limite en général à un ou deux bancs face à l’écran.

[22] Ce léger débordement des horaires d’ouverture explique l’aspect resserré des créneaux de projection de l’exposition new-yorkaise dans le cadre de laquelle seule une minute séparait les séances, là où les projections parisiennes étaient plus espacées.

[23] Si, à l’issue de ces premières expositions, The Host and the Cloud retrouve le mode de présentation en boucle, Tacita Dean semble poursuivre la mise en séance de Craneway Event. Les deux artistes multiplient par ailleurs la programmation des films dans les auditoriums et salles de cinéma des musées.

[24] Avant 1993, sa biographie ne mentionne que Columbo – Prescription Murder! (Independent Television Broadcast, 7 juillet 1990).

[25] Douglas Gordon, 24 Hour Psycho, 1993, installation vidéo, noir et blanc, écran semi transparent (300 x 400 cm ou 400 x 600 cm), image générée depuis une VHS trouvée dans le commerce, vidéoprojecteur, 24 h.

[26] À l’origine, le ralentissement du film était difficile à maîtriser avec précision. La durée réelle de 24 Hour Psycho oscillait donc entre 19 et 26 heures. Depuis la VHS et le magnétoscope ont été remplacés par un DVD et un lecteur DVD, le ralentissement est contrôlé par ordinateur et correspond à la durée annoncée. Voir : Lange C., « Ten years ago today », Theanyspacewhatever, cat. exp., New York, The Solomon R. Guggenheim Museum, 2008, p. 70.

[27] MacLeod M.-L. (assistante au Tramway de Glasgow), courrier électronique adressé à Mickaël Pierson, en mars 2015 : « In terms of opening for 24 hours we did it once I think closer to the end of its run we started at 12pm Friday to 12pm Saturday ».

[28] Douglas Gordon, 5 Year Drive-By, 1995, installation vidéo, couleur, écran (dimension variable), image générée depuis une VHS trouvée dans le commerce, vidéoprojecteur, durée 5 ans.

[29] Spector N., « Tout cela est vrai, et contradictoire, sinon hystérique », Douglas Gordon, Déjà-vu. Questions & answers volume 2, 1997-1998, cat. exp., Paris, Musée d’Art moderne de la ville de Paris, 2000, p. 55.

[30] Voir Dyer G., « A wrinkle in time », The New York Times, 5 février 2010, en ligne : http://www.nytimes.com/2010/02/07/books/review/Dyer-t.html?pagewanted=all&_r=0 (consulté en février 2015).

[31] Gordon D., Debbaut J., « Jan Debbaut and Douglas Gordon… in conversation (continued) », Douglas Gordon: Kidnapping, Eindhoven, Stedelijk Van Abbemuseum, 1998, p. 173.

[32] Sheikh S., « L’art n’est qu’un prétexte pour converser, Simon Sheikh, 1997 », Douglas Gordon, Déjà-vu. Questions & answers volume 2, 1997-1998, cat. exp., Paris, Musée d’Art moderne de la ville de Paris, 2000, p. 14.

[33] Parmi ces tentatives, on peut citer celle du groupe norvégien de télécommunications Télénor dont une partie de la collection d’art contemporain est exposée au sein de l’entreprise. Une projection de 5 Year Drive-By a été mise en place au siège de la compagnie à Fornebu en 2002 pour trois ans (soit environ les deux tiers de l’œuvre). Projeté depuis l’intérieur, le film est visible depuis l’extérieur du bâtiment. Arrêtée suite à des problèmes techniques, une nouvelle tentative échoue en 2007 avant d’être relancée en 2014. Informations recueillies auprès d’Anne Wiland, curator de la collection Telenor. Voir Anne Wiland, courrier électronique adressé à Mickaël Pierson, en mars 2015.

[34] Hibon D., « Les ciseaux et leur père », Found Footage, cat. exp., Paris, Musée du Jeu de Paume, 1995, p. 3 : « Une définition élémentaire du “Found Footage” pourrait être l’élaboration d’un film par la récupération d’éléments déjà filmés et donnant naissance, par le montage, à une œuvre originale  ».

[35] Christian Marclay, The Clock, 2010, vidéo, couleur et noir et blanc, son, 24 h.

[36] L’heure diégétique correspondant à l’heure réelle, le type d’activité des personnages répond lui aussi au temps réel.

[37] Christian Marclay cité par Schefer O., « Christian Marclay, The Clock : 24 heures (syn)chrono », Les cahiers du musée national d’Art moderne, n° 120, été 2012, p. 112-113.

[38] Ibid., p. 113.

[39] Voir la biographie de l’artiste. En 2011, The Clock est présenté à la Biennale de Venise durant laquelle Christian Marclay reçoit le Lion d’or du meilleur artiste. Pendant la seule durée de la Biennale, The Clock est aussi montrée au LACMA de Los Angeles, à la Triennale de Yokohama, à l’Israel Museum de Jérusalem, au Centre Pompidou à Paris et au Museum of Fine Arts de Boston.

[40] Voir : « Nuit blanche à Beaubourg : The Clock, une expérience cinématographique totale, hallucinatoire et addictive », Les Inrockuptibles, n° 823, 7 septembre 2011, p. 11 ; « Grand succès pour The Clock », Art Media Agency, 24 janvier 2013, en ligne : http://fr.artmediaagency.com/61573/grand-succes-pour-the-clock/ (consulté en février 2015).

[41] À Paris, The Clock a été présenté, entre autres, lors de la Nuit blanche en 2012 et les séances spéciales de son exposition au Centre Pompidou en 2014 correspondaient à la Nuit des musées, la Fête de la musique, puis la clôture de l’exposition. L’organisation d’une projection continue à la fin de l’exposition est assez fréquente.

[42] Voir la présentation de The Clock sur le site du musée d’Art contemporain de Montréal, en ligne : http://www.macm.org/expositions/christian-marclay-the-clock/ (consulté en mars 2015). Ces recommandations sont reprises à l’identique par d’autres musées présentant The Clock.

[43] À Paris, l’exposition Dalí au Centre Pompidou est restée ouverte 24 heures sur 24 du 22 au 25 mars 2013 pour la fin de l’exposition. Les Galeries nationales du Grand Palais pratiquent elles aussi des ouvertures continues (Claude Monet, exp., 2011 ; Edward Hopper, exp., 2013…).

[44] En ce sens, on pourrait évoquer aussi The Sound of Silence (2006) d’Alfredo Jaar, ou le travail de Philippe Parreno dont certaines expositions, bien qu’accessibles en continu, fonctionnent sur le mode de la séance alternant entre temps de latence et temps d’apparition des œuvres (El sueño de una cosa, exp., Francfort-sur-le Main, Portikus, 2002 ; Philippe Parreno, 8 juin 1968 – 7 septembre 2009, exp., Paris, Centre Pompidou, 2009…).

[45] Voir  note 7.

[46] Michaud P.-A., « Le mouvement des images », Cinéma & Cie, n° 8, automne 2006, p. 183.

[47] La traditionnelle sortie en salle est notamment concurrencée par le téléchargement, légal ou illégal, ou l’apparition récente du e-cinéma qui dispense le film d’une sortie « physique ». Ces modes de consommation de l’image vont à l’encontre de la dimension collective de la séance.

Pour citer cet article : Mickaël Pierson, "Le format de la séance appliqué à l’exposition de l’image en mouvement", exPosition, 1 juin 2016, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles2/pierson-format-seance-exposition-image-en-mouvement/%20. Consulté le 21 novembre 2024.

L’exposition Vidéo Vintage (Centre Pompidou, Paris, 2012) : un parti pris scénographique au détriment des vidéos

par Caroline Tron-Carroz

 

Caroline Tron-Carroz est docteure en histoire de l’art contemporain, chercheure associée à l’InTRu à l’Université François-Rabelais de Tours. Elle est également rédactrice en chef adjointe de la revue exPosition. Ses recherches portent essentiellement sur l’histoire de l’objet télévision dans le champ de l’art, ainsi que sur les collectifs vidéo des années 1970 aux États-Unis. Elle a récemment publié La boîte télévisuelle. Le poste de télévision et les artistes (INA, 2018).

 

L’exposition Vidéo Vintage a ouvert ses portes en février 2012[1], au quatrième étage du musée national d’Art moderne (MNAM) à Paris, sous la direction de Christine Van Assche, conservateur du département des nouveaux médias du Centre Pompidou, et de Florence Parot, attachée de conservation au musée et commissaire associée. Ces dernières années, à Paris, peu d’expositions ont été consacrées aux collections vidéo du Centre Pompidou[2], une telle manifestation était particulièrement attendue.

L’exposition propose de retracer 20 ans de création vidéo suivant une chronologie ciblée (1963-1983), en montrant à un large public une sélection de vidéos fondatrices collectionnées par le MNAM depuis 1977. Le dispositif spatial repose essentiellement sur une scénographie vintage avec des fauteuils, des tables basses et des télévisions. Le dépliant de visite, distribué à l’entrée de l’exposition, précise les visées scénographiques des commissaires : « une scénographie vintage qui emprunte aux années 1960-1970, restitue dans des salons les conditions de visionnage en temps réel, comme aux origines du médium[3] ». Dans un premier temps, il est intéressant de se reporter à la définition du terme vintage telle que Florence Parot la mentionne dans le catalogue, pour comprendre les enjeux scénographiques de cette exposition :

« Vintage est un terme anglais issu d’une forme altérée de l’ancien français correspondant au mot “vendange” qui désigne un vin remarquable par sa qualité en référence à un âge ou à millésime. La mode s’empare de ce terme pour qualifier des vêtements de grands couturiers rares et anciens : la musique, le rock à ses débuts, la photographie, ses tirages d’époque. Adhérer au vintage, c’est affirmer un style authentique, tout en se référant à un moment mythique que beaucoup n’ont pas connu. Les années 1960 et 1970 – période révolutionnaire, libertaire, anti-guerre, hédoniste – sont revisitées par la nouvelle génération. La performance, le happening, le body art, le militantisme féministe, homosexuel et antiraciste, la critique des médias et de la télévision, sont autant d’expressions que la vidéo a su capter à son époque[4]. »

Le terme vintage véhicule en effet l’idée d’un objet authentique, révolu et daté. Il traduit aussi l’idée d’un objet qui serait « remis au goût du jour », sous l’effet d’une mode, d’un engouement contextuel et culturel. Si l’on en juge par la définition retranscrite, ce sont plus particulièrement les années 1960 et 1970 qui sont envisagées comme période de référence, alors que le terme vintage n’induit aucune chronologie spécifique.

Les commissaires apportent d’autres précisions sur ce choix scénographique, en invoquant les conditions avantageuses de visionnement des vidéos :

« À l’ère de la reproductibilité électronique, la consultation des œuvres sur Internet entraîne un visionnage accéléré et plus déconcentré des œuvres tandis que dans le musée, lieu idéal, le temps nécessaire à leur réception peut être respecté. Le temps de l’œuvre redevient le temps du spectateur[5] ».

Ainsi, tout en se référant à une époque marquée par la contre-culture, l’exposition se donne pour but d’offrir au spectateur du musée un temps privilégié pour regarder des vidéos, comme à l’origine, c’est-à-dire sans les « zapper ». Et c’est pour répondre à cet impératif de mise en condition du visiteur, que les commissaires lui dédient des espaces organisés sous la forme de petits salons.

Pour comprendre ce parti pris vintage, le document intitulé « Scénographie de Vidéo Vintage », versé aux archives du MNAM, apporte quelques éclairages sur les intentions des commissaires :

« Il s’agit de créer une “ambiance d’époque” par des éléments de mobilier, mais pas d’en rajouter ni de transformer le musée en marché aux puces. Les éléments décoratifs choisis (tapis ou lampes) le seront pour des raisons symboliques. Trouver le ton juste et le bon équilibre sont des éléments très importants […] Le visiteur peut s’asseoir dans des fauteuils et canapés confortables pour visionner les œuvres dans leur entièreté […] Les moniteurs sont des appareils cathodiques posés sur d’autres meubles. Les lecteurs DVD sont cachés car ils sont contemporains. Les câbles peuvent être cachés par des tapis […] Des photos 50 x 70 environ sont accrochées ou collées sur les murs retraçant le contexte de l’époque. D’autres peuvent être présentées dans des vitrines. Une armoire vitrée type penderie expose du matériel de l’époque : Portapak […]. Dans le couloir attenant [à] la galerie du Musée pour la sélection des œuvres conceptuelles, une présentation plus muséale type 70/80 est proposée (moniteurs cathodiques sur socle, bancs et vitrines)[6]. »

À la lecture de ce document et du plan général de l’exposition, on comprend que les commissaires ont souhaité faire cohabiter plusieurs espaces à l’image de l’univers domestique : une « entrée » (avec des écrans plats et un « salon témoin »), quatorze « salons », un « couloir », des « vitrines », auxquels s’ajoutent deux projections vidéo. Trois sections scandent le parcours pour permettre au visiteur de comprendre la variété des écritures des œuvres vidéo : la première porte sur « la performance et l’auto-filmage », la deuxième concerne « la télévision : recherches, expérimentations, critiques », la troisième section présente « les attitudes, formes, concepts ». À première vue, l’organisation des petits salons dans la grande galerie est plutôt engageante. Les fauteuils, paradigmes de l’enveloppement et du confort, les lampes, les tapis, les tables basses et les vitrines chinés par l’agence parisienne Colonel, en charge de la scénographie, mettent le visiteur à l’aise, rassuré de retrouver un espace proche de son intimité. Mais l’abandon du corps du spectateur au confort des sièges en velours à dominante vert, marron et orange, génère une intrication volontaire entre l’espace public (le musée) et l’espace privé (le chez soi). En effet, si l’exposition Vidéo Vintage repose intégralement sur un modèle d’esthétique domestique, elle restitue, de fait, l’univers lénifiant de la maison, bercé par le rituel de la télévision, de sorte que l’agencement général (fauteuils et meubles), comme la présence des moniteurs à tube cathodique, renvoie à des habitudes communes de consommation télévisuelle. Et c’est précisément ce versant « ameublement » qui a marqué les esprits. Le livre d’or, comme les encarts et les articles de la presse hebdomadaire ou de la presse spécialisée[7], ont plébiscité la scénographie générale de l’exposition, revendiquant le moelleux des sièges en opposition sous-jacente aux conditions de visionnement ordinairement attribuées aux bandes vidéo dans le cadre des musées.

La réflexion qui suit propose de cerner les enjeux d’une telle orientation scénographique : est-on face à une tentative de conditionnement de la vidéo ? Puisque les commissaires revendiquent le choix du vintage en louant son authenticité, on est en droit de s’interroger sur celle-ci : la reconstitution du chez soi incarne-t-elle suffisamment les positionnements critiques propices aux artistes vidéo des années 1970 ? Qu’en est-il de la restitution de la part créative, authentique, de la vidéo analogique à travers cette exposition ?

Simulacres

Une grande partie du dispositif spatial repose ainsi sur un univers très attractif : l’intimité prosaïque du salon. Cependant, on constate que peu de raccordements scientifiques viennent compléter, voire étayer ce choix scénographique. Sur les murs, sur les cartels ou dans le livret d’exposition, quelques données factuelles se dessinent en interstices, fournissant de très brèves explications sur le contexte artistique et télévisuel de l’époque. Si la première partie regroupe de nombreux artistes performers ayant recours à l’auto-filmage[8], exprimant la part influente de la vidéo dans les arts de l’action, la deuxième section (« La télévision : recherches, expérimentations et critiques ») ne retrace qu’en très grandes lignes l’histoire des expérimentations des artistes dans les studios de télévision aux États-Unis, en France, en Angleterre, en Allemagne (ex-RFA), sans toutefois spécifier les différences de statut entre les télévisions publiques et privées notamment aux États-Unis[9], ni même évoquer le soutien de producteurs curieux et audacieux[10], qui ont largement valorisé les nouvelles formes de création. Le cas de la France est très vite retracé, notamment dans le livret d’exposition, lorsque le nom de Jean-Christophe Averty est évoqué. Programmés dès la conception de l’exposition, ses travaux pionniers ont été finalement évincés de la sélection finale[11]. Les réalisations que Samuel Beckett a conçues pour la BBC en Angleterre[12], la Fernsehgalerie de Gerry Schum à Düsseldorf (1969-1970)[13] ou encore les studios de télévision à New York ou à Boston qui ont ouvert leurs portes aux artistes vidéo au cours des années 1970 sont également signalés.

Quelques lignes informent également le visiteur sur les prises de position critiques des artistes vis-à-vis de la télévision commerciale, alors qu’elles sont au cœur des liens problématiques entre art vidéo et télévision aux États-Unis. En effet, au tout début des années 1970, un malaise se fait sentir au sein des laboratoires vidéo des chaînes publiques américaines. Ces laboratoires, financés par des fonds privés (à l’image de la fondation Rockefeller), sont destinés à accueillir des artistes qui peuvent bénéficier d’un matériel vidéo professionnel pour expérimenter l’image électronique. Le statut avantageux de ces structures donne naissance à des créations vidéo expérimentales retransmises dans le cadre d’émissions spécifiques qui, progressivement, sont écartées des grilles de programmes, alors que la majorité des recherches entreprises sur la colorisation et les effets de surimpression des images sont copieusement récupérées par les studios de télévision. Dépités, de nombreux vidéastes (Steven Beck, Frank Gillette, Stan VanDerBeek…) admettent que la télévision nord-américaine ne sera jamais une vitrine, un lieu d’exposition envisageable. À partir de 1969, des collectifs d’artistes comme The Raindance Corporation, Videofreex ou Ant Farm commencent à entretenir une démarche radicale à l’encontre de la télévision. Ils prônent un art vidéo plus libre, plus proche du public que les studios ou autres laboratoires et entendent bien déconstruire le langage et les codes de la télévision.

Si nous insistons quelque peu sur ce contexte de délitement entre les artistes et les organes de production audiovisuelle, c’est parce qu’il contribue pleinement à l’installation des premiers dispositifs « salon » au sein des musées au cours des années 1970 aux États-Unis, sur lesquels l’exposition Vidéo Vintage s’appuie. En effet, les artistes aux positionnements critiques tranchés à l’encontre des organes audiovisuels nord-américains réfléchissent à des démarches alternatives pour présenter leurs travaux vidéo. Aidés par quelques directeurs de galeries et d’institutions notamment new-yorkaises ou californiennes – territoires historiques des recherches vidéo aux États-Unis –, ils construisent des espaces qui plagient le salon familial, véritables simulacres critiques à l’univers ménager des spectateurs. Ces espaces appelés « environnements », puis « installations », sont des dispositifs immersifs et opérants pour mettre en scène l’univers privé, mais aussi pour contrecarrer des comportements routiniers des téléspectateurs face à leur écran. Ébranler les habitudes télévisuelles est une des missions que se sont fixés les artistes appartenant à la mouvance de « Guerrilla Television[14] », à l’image du collectif Telethon (Billy Adler, John Margolies, Van Schley et Ilene Segalove) qui, en 1972, conçoit au Contemporary Arts Museum de Houston, un environnement restituant en détail un salon middle-class américain : une image volontairement fabriquée et familière de l’univers domestique. Le mur recouvert de papier peint, les tableaux de paysages, le canapé à carreaux placé devant un imposant poste de télévision offrent un cadre privilégié au spectateur pour découvrir les vidéos du collectif, diffusées en boucle, dont les images stigmatisent la télévision commerciale américaine, premier relai du discours politique et publicitaire de l’époque.

Les années 1970 ont donc vu l’affirmation d’une démarche commune qui consiste à réinterpréter à grande échelle le modèle domestique existant. La constitution au cœur des musées de ces simulacres engendre en effet une critique de la topique télévisuelle ou de la « Topique TV » selon l’expression consacrée de l’historien de l’art vidéo René Berger :

« J’appelle “topique” l’ensemble des “conditions” qui constituent le champ d’action d’un médium. Ainsi la topique de la TV se fonde, d’une part sur la relation bipolaire du téléspectateur et de son poste, d’autre part sur l’organisation du discours télévisuel […] S’il est un trait commun à tous les artistes vidéo, c’est de “rompre” délibérément avec la topique TV. Tel est ce que j’appelle “l’effet de dis-location” qu’ils pratiquent tous peu ou prou, soit comme l’ont fait dès leurs débuts un Nam June Paik, un Vostell […]. L’effet de dis-location n’est qu’un aspect de leur activité. L’effet de “re-location” ne leur tient pas moins à cœur. Dans cette perspective, ils visent à créer, par le truchement de la vidéo, mais non exclusivement par lui, des situations nouvelles qu’on pourrait qualifier, pour s’en tenir à un terme général, d’“expérimentales”[15]. »

La « Topique TV », autrement dit l’ensemble des conditions qui constitue le champ télévisuel, doit être repensée au sein même des musées et des galeries. Ainsi, les travaux vidéo in situ, sont d’authentiques réflexions formelles, mais aussi les témoins historiques des positionnements vindicatifs des artistes à l’encontre du pouvoir des mass-media dans les années 1970.

L’exemple le plus probant de ce type de démarche reste sans doute celui du collectif californien Ant Farm. En 1975, les artistes Chip Lord, Doug Michels et Curtis Schreier, membres fondateurs du collectif, réalisent deux bandes vidéo couleur qui feront date : Media Burn (1975, 26 min, couleur, son) et The Eternal Frame (1975, 23 min 50, n&b et couleur, son). Cette dernière, réalisée en collaboration avec le collectif T.R Uthco, est fondée sur la répétition, scène par scène, de l’assassinat de Kennedy en novembre 1963 à Dallas. L’année suivante, les artistes exposent la bande vidéo au Long Beach Museum of Art, sous la forme d’un environnement qui reconstitue en détail un séjour américain des années 1960 : les bibelots et les meubles, dont le poste de télévision, côtoient les reproductions photographiques du couple Kennedy accrochées au papier peint fleuri du coin-salon. Il s’agit ni plus ni moins d’une remise en condition du spectateur dans un univers familier délibérément contrefait. Cette reconstitution manifeste est illustrée par une photographie accrochée sur les murs de l’exposition Vidéo Vintage qui, dans ces conditions, suggère au public que cette pièce a servi de modèle d’inspiration pour la scénographie[16].

En 2008, l’environnement The Eternal Frame a été intégralement reconstruit dans le cadre de l’exposition California Video: Artists and Histories organisée au Getty Museum de Los Angeles[17]. On peut considérer cet événement comme marquant dans l’histoire du collectif californien, et par là même dans l’histoire des expositions d’art vidéo, puisqu’il s’agissait de la première réinstallation de l’œuvre depuis sa création. Glenn Phillips, commissaire de l’exposition et conservateur du département vidéo au Getty Research Institute, a tenu à rassembler minutieusement tous les éléments de l’environnement : les cartes postales commémoratives, la tapisserie, les bustes, etc., à partir de photographies prises pendant l’installation initiale en 1976 ou en menant des entretiens avec les artistes[18]. La plupart des objets avaient disparu, d’autres comme les bibelots kitsch étaient en très mauvais état et nécessitaient la mobilisation d’équipes spécialisées, notamment le personnel du département de conservation des arts décoratifs et de sculpture du Getty, qui s’est chargé de la restauration de l’un des bustes de Jacky Kennedy en plastique peint, pourtant acheté dans les boutiques bon marché de l’époque, mais rénové avec autant d’égard qu’un objet de collection ancienne. Ainsi, Glenn Phillips a œuvré à retranscrire au plus juste tous les éléments présents en 1976 grâce à des achats sur des sites spécialisés et des conseils auprès de professionnels. Le commissaire a également consulté l’équipe du Cooper-Hewitt National Design Museum de New York qui possède une des plus impressionnantes collections de papiers peints aux États-Unis pour tenter de retrouver le motif original. Vaines recherches. Il a donc fait appel à Beatriz Kerti, directrice artistique à Hollywood, pour réimprimer avec exactitude le dessin de la tapisserie[19]. De cette démarche scientifique menée aux États-Unis, certes très excessive mais développée à partir de données concrètes, il ne subsiste aucune trace dans les archives de l’exposition parisienne, notamment parce que les objets (fauteuils, lampes, tapis) ont été davantage choisis pour leur qualité esthétique « rétro » que pour leur portée historique et culturelle.

Salons versus couloir 

En retrait de la galerie principale, un espace en couloir, qui regroupe les travaux de la section intitulée « Attitudes, formes, concepts », a été installé. La commissaire Christine Van Assche prescrit pour ce secteur une scénographie plus traditionnelle : « douze vidéos sont “exposées” dans une perspective plus muséographique, celle des années 1970, à savoir sur des socles accompagnées de documents[20] », autrement dit, un dispositif avec des moniteurs noirs posés sur des socles blancs, juxtaposés les uns à côté des autres, diffusant en boucle des œuvres vidéo[21]. Le dispositif spatial est complété par une vitrine blanche, présentant les couvertures de catalogues d’exposition. En totale opposition avec le confort des salons attenants, des bancs ont été placés devant les écrans. Mais ce dispositif, qui revendique un hermétisme formel pour des œuvres conceptuelles, met surtout à l’index de nombreux projets qui souhaitent s’émanciper de la forme piédestal. Comme le précise, David Ross, responsable du premier département d’art vidéo monté en 1971 à l’Everson Museum de Syracuse dans l’État de New York, les artistes des années 1970 ont très vite cherché des moyens de sortir de la forme piédestal, obstinément marquée par la sculpture traditionnelle[22]. Beaucoup d’entre eux, comme Frank Gillette, Ira Schneider, Les Levine, Bruce Nauman ou Mary Lucier, ont produit des œuvres avec des constructions environnementales qui démultiplient le moniteur dans l’espace. En la matière, l’installation vidéo TV Garden (1974) de Nam June Paik ou Passages Paysages (1978) de l’artiste Theresa Hak Kuyng Cha sont pionnières. Certes, ces œuvres ne font pas partie des collections du Centre Pompidou, mais elles sont mises en exergue sur le mur de cette section au moyen de reproductions photographiques[23]. Ces travaux questionnent autant la nature des images vidéo qu’ils interrogent les premières formes de présentation des travaux vidéos en multicanaux, en correspondance avec les nombreuses expérimentations de l’époque, très éloignées des dispositifs bipartites[24] (moniteur et socle) des vidéos monobandes.

Matière télévisuelle et support analogique

En compulsant les archives de l’exposition Vidéo Vintage, on apprend que les appareils placés dans les différentes zones de l’exposition ont été fournis par le service audiovisuel du musée. Principalement des modèles des années 1980 et 1990, plus ou moins grands, reléguant souvent les œuvres vidéo sur de petits écrans, suivant une répartition et une sélection non déterminée. Il est pourtant utile de tenir compte des différences instaurées par la taille de l’écran qui engendrent plus ou moins de proximité avec l’image et qui, de ce fait, écartent certaines œuvres du regard du visiteur. Ce constat rejoint la nécessité de mettre en valeur la nature des objets exposés. Différents exemples peuvent être convoqués dans l’exposition Vidéo Vintage, en partie parce que de nombreuses réalisations vidéo semblent être vidées de leur substance électronique, mais nous nous concentrerons plus particulièrement sur les travaux de Steina et Woody Vasulka[25]. Dès les années 1970, le couple Vasulka a mis au point un système de production d’images qui associe l’ordinateur au travail vidéo. Les artistes choisissent ainsi de travailler avec des moniteurs très performants qui leur offrent une liberté essentielle et une qualité d’image bien supérieure à celles que peuvent proposer des moniteurs classiques. En diffusant leurs œuvres vidéo sur des moniteurs cathodiques inappropriés, l’exposition parisienne ne rend pas hommage à leurs travaux sur l’image électronique et sur le son (simplement restitué par un casque audio).

Les écrans cathodiques qui ne respectent pas le temps de création des vidéos minimisent les expérimentations entreprises sur la matière télévisuelle pour lesquelles les qualités formelles et électroniques des moniteurs originaux comptent. Dans les archives, on ne trouve aucune trace d’historicisation des modèles ou de collaborations éventuelles avec des musées spécialisés (musée de Radio France ou le musée des arts et métiers). En filigrane, se pose la question de la conservation et de la restauration des objets médiatiques dont le moniteur fait partie. L’exposition affirme un caractère vintage, donc authentique, mais qui manque de perspective historique.

Audrey Illouz, qui signe la critique de l’exposition dans le magazine art press, en juin 2012, articule son propos sur l’occultation programmée du support analogique, en évoquant les écrans plats placés à l’entrée de l’exposition « attestant de la disparition du tube cathodique et de la nature désormais “vintage” des bandes vidéos[26] ». Ainsi, cette exposition aurait pu être un plaidoyer en faveur d’une technologie analogique, non réductible à un moniteur passif, sans qualité cathodique. Cette vision passéiste de la technique vidéo et de ses supports est amplement relayée sous la plume du journaliste Eric Loret du quotidien Libération, qui débute son article sur l’exposition Vidéo Vintage de la manière suivante :

« Très vite, à Vidéo Vintage, une évidence vient. La vidéo, c’est fini, inregardable. D’ailleurs, une partie des films présentés ici est accessible en ligne sur différents sites internet, banals ou spécialisés (dont www.newmedia-art.org)[27]. Mais personne ne les regarde. Ils sont là, aussi invisibles que disponibles. La patience est morte. Ce qui signifie aussi que nous ne sommes presque plus capables d’appliquer nos yeux au monde, que l’attention est une occupation vintage. Une majorité des œuvres de l’exposition ont été d’avant-garde ; elles sont désormais dépassées[28]. »

Le ton du texte est sans équivoque concernant le parti pris de l’auteur. Il remise sans ménagement, mais aussi avec beaucoup de déterminisme, la vidéo à une forme archaïque et obsolète, sans révéler les potentialités techniques du médium, en partie parce qu’elles ne sont pas spécifiquement développées dans le cadre de l’exposition. Vidéo Vintage fait entrer le spectateur dans l’univers de l’art vidéo par une toute petite porte dérobée, abandonnant le moniteur-téléviseur à une fonction principalement sociale et domestique.

Outre ces constats, il est important de questionner la présence des deux vidéos projetées sur les murs du fond de la galerie principale : Facing a Family de Valie Export et Reverse Television-Portraits of Viewers de Bill Viola. Ces réalisations s’intéressent à « ce spectateur anonyme, situé hors champ[29] », propos même de l’exposition Vidéo Vintage. Selon Christine Van Assche, ces travaux constituent un contrepoint à l’œuvre Centers[30] de Vito Acconci diffusée sur un moniteur cathodique et placée sous la vidéo de Bill Viola. En réalité, cette forme de projection se heurte à un malentendu en raison du contexte de création de travaux vidéo de Valie Export et de Bill Viola, qui, contrairement à la vidéo de Vito Acconci, ont été spécifiquement conçus pour être retransmis à la télévision[31]. Si le retournement de point de vue qu’implique Facing a Family invite le visiteur à réfléchir sur la réception des œuvres vidéo dans la sphère privée, le renversement qu’engage Bill Viola montre aussi un téléspectateur isolé du monde, loin d’une expérience muséographique collective. Ces deux vidéos, extraites de l’appartenance domestique et du cadre télévisuel qui leur est destiné, nous orientent davantage vers les perceptions et les projections des deux commissaires, qui entendent cantonner les créations vidéo dans un univers domestique restrictif, à l’image des travaux vidéo de Jean-Luc Godard réalisés avec Anne-Marie Miéville[32], présentés dans le « salon témoin », sorte de prototype de l’esthétique vintage (papier peint aux formes géométriques, mobilier orange…), situé à l’entrée de l’exposition. Dévêtu de ses oripeaux théoriques, Jean-Luc Godard reste le parent pauvre de cette exposition, alors qu’en 2006, au sein même du Centre Pompidou, le réalisateur opérait une réflexion critique sur la scénographie des images en mouvement, ainsi que Barbara Le Maître et Jennifer Verraes le précisent : « [Jean-Luc Godard] mettait à nu la politique du goût pratiquée par l’institution[33] ». De même, les propos de Jean-Luc Godard sur le rapport télévision et projection invitent à réfléchir sur certains engagements scénographiques de l’exposition Vidéo Vintage :

« À la télévision, il n’y a pas de projection. Il y a un rejet, on est rejeté dans son fauteuil ou sur son lit. Au cinéma, on est projeté, mais on doit décider de ce que l’on est. À la télévision, il y a juste retransmission de quelque chose. La projection est propre au cinéma[34]. »

Cette dialectique moniteur/projection que soulève Jean-Luc Godard dès 1996 est pourtant au cœur des réflexions contemporaines sur les mises en exposition des vidéos historiques : équilibre entre le discours des artistes et l’obsolescence du matériel (rapport à l’industrie et au design des écrans en constante évolution).

Originalité scénographique

Si une telle exposition affronte avec difficultés des contingences financières et techniques qui nécessitent de la part des commissaires d’opérer des sacrifices, le catalogue se doit en contrepartie de fournir des éléments historiques et théoriques. Pourtant, le catalogue de l’exposition Vidéo Vintage, composé de 64 pages avec une centaine d’illustrations couleur en grand format, n’est pas à la hauteur de la politique historique des acquisitions des œuvres vidéo par le musée national, ni à la hauteur de la bibliographie sur l’histoire de la mise en exposition des œuvres vidéo. Rien ne transparaît dans les discours, pas même les ouvrages placés dans les vitrines, les textes de Gregory Batteson, de Marshall McLuhan ou de Rosalind Krauss pourtant évoqués dans le dépliant qui accompagne la visite. Ce constat d’un déficit de cadres de référence est d’autant plus déroutant que les archives révèlent les premières intentions scénographiques des commissaires qui allaient dans une tout autre direction curatoriale :

« Une scénographie simple permettrait au public de regarder/écouter confortablement les bandes vidéo. Un livre/Anthologie de textes d’époque pourrait accompagner le projet. Une réédition des textes des années 60/70 publiés dans des ouvrages désormais introuvables procurerait au public des informations indispensables sur le contexte, les intentions, les perspectives esthétiques de ces années vintage[35]. »

Avec la scénographie finale, c’est bien la dimension ludique qui l’emporte, dépouillant la vidéo analogique de ses potentialités électroniques, pour vouer un culte au salon, s’opérant au nom du divertissement tel qu’il est finalement défini par la télévision commerciale. L’itinérance de l’exposition en Allemagne, en Israël et en Corée a donné naissance à des scénographies disparates[36] qui n’ont pas inversé la tendance, d’autant que chaque lieu d’accueil était chargé de s’occuper du mobilier et des supports de diffusion des vidéos. En Allemagne, le Zentrum für Kunst und Medientechnologie (ZKM) de Karlsruhe  a ainsi adopté une identité vintage très marquée, en disposant des postes de télévision d’époque, des modèles au design atypique, véritables pépites, il faut le reconnaître, pour les amateurs de technologie analogique, mais l’absence de cadre historique suffisant a, là encore, réduit l’entreprise à une opération récréative.

Aujourd’hui de nombreux visiteurs comme acteurs des musées appellent de leurs vœux un confort de visionnement des œuvres vidéo. Soit. Mais pourquoi sélectionner une scénographie vintage qui concourt à représenter et non véritablement à transmettre une histoire de l’art vidéo ? Et dans le fond, pourquoi pas ? À partir du moment où la scénographie est au service du propos historique, et non le contraire. Au Centre Pompidou, il existe des précédents de présentation vintage des vidéos, notamment lorsque les artistes Herman Asselberghs et Johan Grimonprez ont été invités en 1997 à monter Prends garde ! À jouer au fantôme, on le devient. La scénographie de cette exposition, évoquée par Christine Van Assche[37], était effectivement pensée à partir de meubles de différentes époques, néanmoins elle était accompagnée d’un livret-catalogue d’une vingtaine de pages, au graphisme délibérément kitsch, marqué par des descriptifs présentant chaque œuvre vidéo avec des réflexions sous forme de brèves ou d’encarts sur le domaine des médias et de la télévision. Citons également l’exposition Changing Channels: Art and Television (1963-1987) qui s’inscrit dans une thématique similaire que celle de Video Vintage, elle fut présentée au Museum moderner Kunst Stiftung Ludwig (Mumok) de Vienne[38] en 2010. Pour cette exposition, le commissaire Matthias Michalka, assisté de Manuela Ammer, optait pour une mise en espace radicale des vidéos – certes discutable – fondée sur des assises rectangulaires et colorées, dessinées par les artistes Julie Ault et Martin Beck, à l’encontre de toute orientation vintage. C’est pourquoi, au regard de la valeur scientifique de la riche collection du département Nouveaux Médias du MNAM, il est permis d’espérer une exposition d’art vidéo à sa mesure, qui lierait cadre théorique et scénographie audacieuse.

 

Notes

[1] Vidéo Vintage, 1963-1983. Une sélection des vidéos fondatrices de la collection du musée national d’Art moderne, exp., Paris, Centre Pompidou, 2012. Ce sont 72 vidéos réalisées par 52 artistes choisies parmi 1400 vidéos.

[2] Généralement, une sélection de vidéos est exposée en lien avec le thème du nouvel accrochage des collections permanentes du musée national d’Art moderne comme Big Bang (2005-2006), elles@centrepompidou (2009-2010). « L’espace nouveaux médias », situé au quatrième étage du musée, permet également de consulter librement les vidéos à partir d’un écran d’ordinateur. Mais cet espace en couloir, avec des chaises de bureau, est peu engageant, il reste peu fréquenté par le public.

[3] Le dépliant/livret de l’exposition est édité par la direction des publics, service de l’information des publics et de la médiation du Centre Pompidou, n. p.

[4] Vidéo Vintage, 1963-1983. Une sélection de vidéos fondatrices des collections nouveaux médias du musée national d’Art moderne, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, 2012, p. 5. Il est indiqué dans une note la source des définitions : portail CNRTL, centre national des Ressources textuelles et lexicales www.cnrtl.fr.

[5] Ibid., p. 8.

[6] « Scénographie de Vidéo Vintage », document non daté, non paginé, archives du MNAM. Les archives de cette exposition étant en cours de traitement, il n’y pas de numéro de boîte ou d’inventaire.

[7] Voir : Vidéo Vintage : 8 février – 7 mai 2012, Centre Pompidou, revue de presse, Paris, Centre Pompidou, Direction de la communication, 2012.

[8] Parmi les artistes : Marina Abramovič, Vito Acconci, Chris Burden, Jean Dupuy, Valie Export, Esther Ferrer, Dan Graham, Mona Hatoum, Sanja Ivekovič, Joan Jonas, Alla Kaprow, Paul McCarthy, Bruce Nauman, Nam June Paik, Letícia Parente, Martha Rosler, William Wegman et Nil Yalter.

[9] Le réseau des télévisions publiques, appelé Public Broadcasting Service (P.B.S.), regroupe des stations de télévision locales, à but non lucratif, le plus souvent éducatives. Il est à différencier des chaînes câblées ou des chaînes commerciales historiques (television networks).

[10] Un producteur comme Fred Barzyk est très rapidement présenté dans le catalogue de l’exposition Vidéo Vintage, alors qu’il a conçu des émissions consacrées à l’art vidéo, comme The Medium is the Medium (1969, 27 min 50, couleur, son). Notons que l’image de l’enfant tenant une caméra qui a servi au visuel de l’affiche et de la communication de l’exposition Vidéo Vintage est précisément extraite de Video: The New Wave (1973, 58 min 27, n&b et couleur, son) un programme produit par Fred Barzyk sur la chaîne WGBH de Boston en 1973. Pour plus de précisions sur le producteur, voir : Fred Barzyk: the Search for a Personal Vision in Broadcast TV, cat. exp., Milwaukee, Patrick and Beatrice Haggerty Museum of Art, 2001.

[11] Les raisons évoquées dans les archives pour justifier l’éviction des travaux de Jean-Christophe Averty restent floues, mais on peut mettre en avant le prix coûteux des restaurations des bandes et de leur transfert numérique, utiles pour un visionnement en boucle dans le cadre d’une exposition courant sur plusieurs mois. Ainsi toutes les vidéos diffusées dans l’exposition Vidéo Vintage ont été dupliquées sur support numérique.

[12] Il s’agit de pièces spécifiquement écrites par Samuel Beckett pour la British Broadcasting Corporation (BBC), au Royaume-Uni, à partir des années 1960 ou pour la télévision allemande (Süddeutscher Rundfunk, SDR), comme Quad I+II (1981, 15 min, couleur, son). Dans cette pièce, Samuel Beckett conçoit la mise en scène à partir d’un plan carré. La caméra, fixe, enregistre les déplacements répétitifs et rythmés par les percussions des quatre acteurs vêtus de longues tuniques colorées.

[13] Le concept de galerie télévisuelle (Fernsehgalerie) a pour objectif d’exploiter la télévision à des fins artistiques et de rendre l’art vidéo accessible à un large public, à travers des films d’abord conçus pour la télévision, puis transférés sur bande-vidéo, à l’image du programme IDENTIFICATIONS (1970, 18 min, 16 mm, n&b, son) qui rassemble des artistes comme Giovanni Anselmo, Joseph Beuys, Daniel Buren, Gilbert & George, Mario Merz, Richard Serra, Keith Sonnier ou Lawrence Weiner.

[14] En référence au titre de l’ouvrage manifeste de Shamberg M., Raindance, Guerrilla Television, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1971.

[15] Bovier F., Mey A. (éd.), René Berger. L’art vidéo et autres essais (1971-1997), Zurich, JRP/RingierDijon, Les presses du réel, 2014, p. 112.

[16] L’installation est également mentionnée dans le catalogue de l’exposition, visuel à l’appui, notamment dans la partie « Histoire des représentations “vintage” », Vidéo Vintage…, cat. exp., 2012, p. 18.

[17] California Video: Artists and Histories, cat. exp., Los Angeles, Getty Research Institute, J. Paul Getty Museum, 2008.

[18] Ibid., p. 234-237.

[19] Pour plus de précisions sur cette reconstitution, voir : Kino C., « A Moment in History, Recaptured for a Second Time », The New York Times, 12 mai 2008, en ligne : http://www.nytimes.com/2008/03/12/arts/artsspecial/12GETTY.html?_r=0 (consulté en février 2015).

[20] Vidéo Vintage…, cat. exp., 2012, p. 8.

[21] Parmi les artistes exposés dans la section « Attitudes, formes, concepts », on peut citer Joseph Beuys, Peter Campus, Daniel Buren ou Lawrence Weiner.

[22] Schneider I., Korot B. (éd.), Video Art, an Anthology, New York, Hartcourt Brace Jovanovich, 1976, p. 248.

[23] Le travail de Theresa Hak Kuyng Cha a été réalisé dans le cadre de son diplôme (Master of Fine Arts à l’Université de Californie, Berkeley). Une vidéo de l’artiste (Permutations, 1976, 12 min, n&b, silencieux) était également présentée dans la section « Attitudes, formes, concepts ».

[24] Une forme qui se développera surtout à partir des années 1980, notamment avec la vidéo sculpture, comme le précise Christine Van Assche. Voir : Van Assche C. (dir.), « Aspects historiques et muséologiques des œuvres nouveaux médias », Collection Nouveaux médias, Installations, Paris, Centre Pompidou, 2006, p. 23 : « Vito Acconci, en 1971, dans Remote Control, pose sur deux socles se faisant face deux moniteurs sur lesquels sont diffusées des vidéos dialoguant l’une avec l’autre […] Les artistes ont poursuivi dans les années 1980 à 2000 le détournement de téléviseurs, en donnant toutefois une autonomie à l’image, qui est désormais réalisée directement pour la diffusion muséale. Les nouvelles configurations empruntent plusieurs formes : moniteur simple, sur socle ou étagère ».

[25] Les travaux de Steina et Woody Vasulka comme Heraldic View (1974, 4 min 20, couleur, son) ou Soundsize (1974, 5 min, couleur, son) explorent de manière expérimentale la nature ductile du son et des images électroniques abstraites (ondes, formes géométriques spécifiques) produites par des modulateurs et des synthétiseurs vidéo. Très impliqué dans la recherche sur l’art électronique, le couple Vasulka ouvre, en 1971 à New York, « The Kitchen », un lieu consacré à la production et la diffusion de créations vidéo, mais aussi de performances.

[26] Illouz A., « Vidéo Vintage 1963-1983 », art press, n° 390, juin 2012, p. 32.

[27] Le site Internet www.newmedia-art.org (Encyclopédie nouveaux médias) a été réalisé en partenariat avec le Centre Pompidou, le Centre national des arts plastiques, l’association bruxelloise Constant VZM, le Museum Ludwig de Cologne, le Centre pour l’image contemporaine de Saint-Gervais Genève. Rédigé en français, en anglais et en allemand, l’encyclopédie propose en libre accès un glossaire des artistes vidéo (notices des œuvres et biographies), des repères historiques sur l’histoire de l’art vidéo, ainsi qu’une bibliographie générale. Ce site ne présente que des extraits de vidéo, il faut se rendre à « l’espace nouveaux médias » au quatrième étage du Centre Pompidou pour regarder les vidéos dans leur intégralité.

[28] Loret E., « L’art vidéo joue sur du velours », Libération, 24 février 2012, en ligne : http://next.liberation.fr/culture/2012/02/24/l-art-video-joue-sur-du-velours_798327 (consulté en février 2015).

[29] Vidéo Vintage…, cat. exp., 2012, p. 14.

[30] Ibid. En effet, la vidéo performance Centers (1971, 22 min 28, n&b, son) n’expose pas directement le spectateur mais elle le désigne, hors-cadre, par l’intermédiaire de l’artiste qui, immobile, cadrage resserré, pointe son doigt vers la caméra (donc vers l’écran), en essayant de garder la même position pendant toute la durée de l’action.

[31] La vidéo Facing a Family (4 min 44, n&b, son) de Valie Export, diffusée le 2 février 1971 sur les écrans autrichiens (Österreichischer Rundfunk, ORF), met en scène une famille à table, qui regarde la télévision. Reverse Television-Portraits of Viewers (1983-1984, 15 min, couleur, son) est un projet vidéo de Bill Viola mené en partenariat la chaîne WGBH de Boston qui a autorisé la transmission durant quinze jours consécutifs, en novembre 1983, de 44 portraits de téléspectateurs filmés devant leur écran, en plan fixe.

[32] Le « salon témoin » présentait le travail de Jean-Luc Godard et d’Anne-Marie Miéville, Six fois deux / Sur et sous la communication (1975-1976, 610 min, couleur, son), une série d’émissions diffusée sur la troisième chaîne de la télévision française en 1976.

[33] Le Maître B., Verraes J. (dir.), Cinéma muséum. Le musée d’après le cinéma, Vincennes, Presses universitaires de Vincennes, 2013, p. 8.

[34] Jean-Luc Godard, entretien avec Gavin Smith, 1996, cité et traduit dans Cassagnau P., Un pays supplémentaire. La création contemporaine dans l’architecture des médias, Paris, Les éditions Beaux-arts de Paris, 2010, p. 226.

[35] Document tapuscrit, versé aux archives du MNAM, non daté.

[36] Vidéo Vintage 1963-1983, exp., Paris, Centre Pompidou ; Karlsruhe, ZKM, 2012-2013 ; Beyrouth,  Beirut Art Center, 2013 ; Gwacheon (Corée du Sud), Museum of Modern and Contemporary Art, 2013.

[37] Prends garde ! À jouer au fantôme, on le devient : une vidéothèque conçue par Herman Asselberghs et Johan Grimonprez, exp., Paris, Centre Pompidou, 1997. L’exposition était coproduite par le musée national d’Art moderne et la Documenta X de Kassel. Citée dans Vidéo Vintage…, cat. exp., 2012, p. 17.

[38] Changing Channels: Art and Television, 1963-1987, cat. exp., Vienne, Mumok, 2010. L’exposition autrichienne est assortie d’un catalogue d’exposition de près de 300 pages, avec des œuvres largement illustrées et commentées, nourri de textes et d’interviews de penseurs de la télévision et de l’art vidéo, comme Kathy Rae Hauffman, Wulf Herzogenrath, Christian Höller, David Joselit, Pamela M. Lee ou Matthias Michalka.

Pour citer cet article : Caroline Tron-Carroz, "L’exposition Vidéo Vintage (Centre Pompidou, Paris, 2012) : un parti pris scénographique au détriment des vidéos", exPosition, 20 mai 2016, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles2/tron-carroz-exposition-video-vintage-centre-pompidou-paris-2012/%20. Consulté le 21 novembre 2024.