Sans titre (les ripostes de Klaus Scherübel)

par Ariane Noël de Tilly

 

Ariane Noël de Tilly est professeure au Département d’histoire de l’art au Savannah College of Art and Design (SCAD). Elle détient un doctorat en histoire de l’art de l’Amsterdam School for Cultural Analysis (Université d’Amsterdam) et a complété des études postdoctorales à la University of British Columbia à Vancouver. Ses recherches portent sur l’exposition et la préservation de l’art contemporain, sur l’histoire des expositions, ainsi que sur l’art engagé. Elle a contribué, entre autres, aux ouvrages collectifs Preserving and Exhibiting Media Art: Challenges and Perspectives (dir. Julia Noordegraaf et al., 2013) et Authenticity in Transition: Changing Practices in Art Marking and Conservation (dir. Erma Hermens et Frances Robertson, 2016). Ses écrits récents ont paru dans les périodiques ASAP Journal et ArtMatters: International Journal for Technical Art History, ainsi que dans le magazine Ciel variable.

 

À l’été 2019, déployée dans plusieurs lieux de Montréal, dont le château Ramezay, le château Dufresne et l’oratoire St-Joseph du Mont-Royal, l’exposition Period rooms, organisée par Marie J. Jean, présentait des œuvres de Steve Bates, Thomas Bégin, Pierre Dorion, Frédérick Gravel, Jacqueline Hoàng Nguyễn, Jocelyn Robert, Claire Savoie et de Klaus Scherübel. Alors que sept des huit artistes avaient été invités à investir des demeures historiques, un site à vocation religieuse, ou encore la Fondation Molinari, la proposition de Klaus Scherübel, un artiste d’origine autrichienne vivant à Montréal, opérait de manière différente, entre autres, en raison de son point de départ : des photographies plutôt qu’une period room, ainsi que du lieu où elle était présentée, soit à VOX, centre de l’image contemporaine. Comme le précisait la commissaire dans la brochure accompagnant l’exposition, l’intervention de Scherübel était double : curatoriale et artistique[1]. Elle était composée de deux reconstitutions tridimensionnelles de photographies prises par Maurice Perron lors de la tenue de deux expositions organisées par les artistes automatistes québécois en 1947. Ces expositions du groupe automatiste sont bien connues en raison des lieux inusités où elles ont été présentées, soit deux appartements, mais aussi parce qu’elles étaient novatrices, autant dans la forme que dans le contenu. L’intervention curatoriale et artistique de Scherübel allait bien au-delà d’une réflexion formaliste des dispositifs expositionnels des artistes automatistes. Les réexpositions d’expositions de Klaus Scherübel, citationnelles et délibérément fragmentaires, réactivaient ces expositions automatistes à partir du présent, tout en invitant les visiteurs à réfléchir au rôle joué par les photographies de Perron sur notre compréhension de ces événements. Elles invitaient ainsi à repenser la valeur artistique de ces photographies qui ont surtout été analysées comme documents d’événements passés.

Dans cet article, nous explorons la démarche citationnelle et dialogique de Scherübel et nous nous penchons tout particulièrement sur la relation entre expositions, photographies et reconstitutions. Afin d’étayer notre analyse, nous ferons appel à la littérature sur la period room (Keeble, Poulot, Montpetit) et sur le reenactment comme pratique artistique en art contemporain (Arns, Fraser et Dubé-Moreau[2]). Qui plus est, nous nous référerons à la notion de riposte, telle que définie par Elitza Dulguerova dans son article « L’expérience et son double. Notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie[3] ». Ces balises théoriques vont guider notre étude de la portée des reconstitutions de Scherübel dans le cadre d’une exposition collective explorant et, dans une certaine mesure, défiant les period rooms à partir du présent.

Art contemporain et period rooms

Dans l’introduction de l’ouvrage collectif The Modern Period Room: The Construction of the Exhibited Interior 1870 to 1950, Trevor Keeble écrit que la period room « a émergé comme un dispositif de représentation clé de l’histoire sociale ainsi que de l’histoire de l’architecture, des beaux-arts et arts décoratifs[4] ». Ce dispositif de représentation est désormais présenté dans des contextes forts différents tels que des musées d’art, musées à vocation historique et anthropologique, villages historiques et lieux dédiés à l’histoire vivante. Ces espaces construits dans ces différents contextes soulèvent des questions des plus riches quant à leur authenticité, leur temporalité, l’espace dans lequel ils sont déployés et le lieu où ils présentés. Keeble indique aussi que « comme toute construction historique, la period room commente sur au moins deux périodes historiques différentes : celle de sa gestation chronologique et celle de sa présentation[5] ». Ces questions de temporalité se trouvent au cœur du projet de Scherübel conçu pour l’exposition Period rooms. De plus, il est important de mentionner que les reconstitutions d’expositions de Scherübel s’inscrivaient également à l’intérieur d’un projet de recherche entamé par le centre VOX en 2016 et intitulé « Créer à rebours vers l’exposition[6] ». Réfléchissant sur les différentes manières selon lesquelles l’art contemporain réinvestit les period rooms, Dominique Poulot écrit, entre autres, qu’ « elles déconstruisent sa prétention au vrai pour en démontrer l’artificialité et contester le convenu de sa représentation du passé et de l’étranger[7] ». Comme nous le verrons, les réexpositions d’expositions de Scherübel peuvent être partiellement associées à cette approche, surtout en ce qui a trait à l’artificialité, car l’artiste n’a pas produit des reconstitutions à l’identique. Néanmoins, elles soulèvent d’importantes questions quant à notre relation aux images représentant des événements passés.

Montréal, 1947 : les Automatistes exposent dans des intérieurs domestiques

Avant de traiter de la réexposition de deux événements phares de la modernité artistique québécoise, il faut d’abord revenir en arrière afin de rappeler la singularité des deux expositions automatistes sur lesquelles Scherübel a choisi de se pencher. C’est en 1941 que les activités du mouvement automatiste québécois débutent. Plusieurs artistes, dont les frères Gauvreau, Pierre et Claude, les sœurs Renaud, Thérèse et Louise, Fernand Leduc et Françoise Sullivan, qui signeront le manifeste du Refus global en 1948, commencent à fréquenter l’atelier de Paul-Émile Borduas, alors professeur à l’école du Meuble de Montréal[8]. C’est également en 1941 que Borduas peint Abstraction verte, sa première œuvre automatiste. La première exposition collective des Automatistes, pas encore connus sous ce nom, rassemblant des œuvres non figuratives, fut présentée dans un local de la rue Amherst en 1946[9]. Tout comme les deux expositions montréalaises qui ont suivi, cette première exposition, intitulée Exposition de peinture, fut photographiée par Maurice Perron, mais étant donné le lieu où elle s’est tenue, soit un local, et non pas un intérieur domestique, elle ne pouvait être l’objet d’étude de Klaus Scherübel dans le cadre de Period rooms. L’année suivante, du 15 février au 1er mars 1947, les Automatistes tenaient leur seconde exposition dans l’appartement de Madame Gauvreau, situé au 75, rue Sherbrooke Ouest. C’est à la suite de cette exposition et du compte rendu du critique Tancrède Marsil, paru dans le journal Le Quartier latin et intitulé « Les Automatistes : École de Borduas[10] », que les artistes seront dorénavant connus sous le nom « Automatistes ».

Fig. 1 : Maurice Perron, Seconde Exposition des automatistes au 75, rue Sherbrooke Ouest, chez les Gauvreau, 1947, tirage 1998. Épreuve à la gélatine argentique, 33,5 x 26 cm. Collection du Musée national des beaux-arts du Québec. Fonds Maurice Perron (1992.214) © Fonds Maurice Perron, reproduit avec l’aimable autorisation de Line-Sylvie Perron
Photographe : MNBAQ

Dans sa Chronique du mouvement automatiste québécois, 1941-1954, François-Marc Gagnon écrit que le contenu de cette exposition de février-mars 1947 « n’est pas facile à reconstituer » et qu’il peut l’être à partir de quatre sources :

« 1) le témoignage rétrospectif de Claude Gauvreau ; 2) les photographies prises sur place par Maurice Perron ; 3) des notes de Maurice Gagnon prises sur place et restées en partie inédites, et 4) le témoignage des journalistes qui visitèrent l’exposition[11] ».

Cette remarque met en lumière la différence cruciale entre le travail d’un historien de l’art qui désire tout savoir sur l’organisation, le déroulement et la réception critique d’une exposition, et celui d’un artiste ou d’un artiste-commissaire, comme Klaus Scherübel. De plus, alors que pour l’historien de l’art, les photographies servent d’abord et avant tout de référence documentaire, Scherübel, au moment de la création de Sans titre (Seconde exposition des automatistes, au 75 rue Sherbrooke Ouest, chez les Gauvreau, 1947) et de Sans titre (Exposition Mousseau-Riopelle chez Muriel Guilbault, 1947), propositions sur lesquelles nous nous attarderons davantage plus tard (Fig. 3-5), a utilisé les images de Perron (Fig. 1-2) comme un « outil conceptuel[12] ».

À propos de la seconde exposition des Automatistes, François-Marc Gagnon écrit que « l’examen des photographies de Perron permet de déceler la présence de certains tableaux célèbres comme Sous le vent de l’île de Borduas et Memphis de Pierre Gauvreau, mais en général les prises de vues sont trop sombres pour qu’on puisse arriver à identifier beaucoup d’autres tableaux ou sculptures[13] ». Dans ce passage, Gagnon signale la limite des informations que l’on peut soutirer de ces vues d’exposition, surtout si l’on tente de dresser la liste des œuvres exposées. En 2019, la commissaire Marie J. Jean écrivait, dans son texte accompagnant l’exposition Period rooms, « [a]u fil du temps, différentes photographies se sont progressivement superposées à notre conception de ces expositions jusqu’à devenir leur référence visuelle ultime[14] ». Dans le cadre du projet de recherche « Créer à rebours vers l’exposition », qui examine des expositions phares de l’art contemporain québécois, les vues d’expositions jouent un rôle très important en ce sens qu’elles donnent, notamment, accès à la scénographie de ces expositions, ainsi qu’à la liste des œuvres, bien que celle-ci peut s’avérer partielle[15]. Les images créées par Perron attirent notre attention sur les lieux où les expositions des Automatistes ont été organisées, ainsi que sur l’accrochage privilégié par les artistes, lesquels ont, à quelques reprises, choisi de recouvrir les murs et les portes de jute afin d’éliminer les détails architecturaux et décoratifs, ainsi que pour rappeler le support sur lequel les artistes ont réalisé leurs œuvres abstraites.

Fig. 2 : Maurice Perron, Exposition « Mousseau-Riopelle » chez Muriel Guilbault, 1947, tirage 1998. Épreuve à la gélatine argentique, 25,5 x 25,5 cm. Collection du Musée national des beaux-arts du Québec. Fonds Maurice Perron (1992.230) © Fonds Maurice Perron, reproduit avec l’aimable autorisation de Line-Sylvie Perron. Photographe : MNBAQ

Avant de présenter une autre exposition à Montréal à la fin novembre 1947, les six artistes qui avaient participé à l’exposition tenue dans l’appartement de Madame Gauvreau, furent invités à montrer leur travail à Paris, à la galerie du Luxembourg, du 20 juin au 15 juillet. Automatisme ne fut pas bien couverte par la presse française, mais l’a été par les médias montréalais[16]. Quelques mois plus tard, du 29 novembre au 14 décembre, les Automatistes tinrent leur dernière exposition de l’année 1947 dans un autre appartement de Montréal, celui de la comédienne Muriel Guilbault[17]. L’exposition rassemblait des dessins de Jean-Paul Mousseau et des aquarelles de Jean-Paul Riopelle. En plus de recouvrir les murs de jute comme ils l’avaient fait dans l’appartement de Madame Gauvreau, les artistes poussèrent l’accrochage encore plus loin, afin d’employer la même composition que leurs œuvres, soit des formes libérées de la gravité et suspendues dans l’espace. Pour ce faire, ils firent appel à une muraille de broche, suspendue au plafond, à une bonne distance des murs (Fig. 2). Ainsi, les visiteurs pouvaient circuler librement des deux côtés : devant et derrière les œuvres.

Organisées dans des résidences privées, et non pas à la Art Association of Montreal ou dans des lieux à vocation commerciale ou communautaire, lesquels à l’époque n’étaient pas intéressés par le travail de ces artistes[18], les deux expositions collectives des Automatistes, tenues à Montréal en 1947, ont été des occasions pour les artistes de défier les conventions autant par l’intermédiaire de leurs œuvres que de leurs mises en vue. Ces lieux d’exposition improvisés ont donné beaucoup de liberté à des artistes qui étaient sur le point de signer le manifeste Refus global, rédigé par Paul-Émile Borduas quelques mois plus tard. Le refus des artistes de se conformer tant sur le plan social qu’artistique a mené à des expérimentations qui ont donné un nouveau souffle à toute une génération d’artistes, tout en définissant la modernité artistique québécoise. Il n’est donc pas surprenant que, quelques 70 ans plus tard, un autre artiste désire réactiver deux expositions qui ont marqué l’imaginaire collectif et qu’il l’ait fait, non pas en s’appuyant sur leur expérience directe, mais par l’entremise des photographies prises par Maurice Perron, lesquelles détiennent tout autant une dimension artistique que documentaire.

Pour étayer notre réflexion sur la double dimension des images de Perron, nous ferons appel à un entretien que ce dernier a accordé à Serge Allaire paru en 1998, ainsi qu’aux photographies qu’il a prises dans le cadre des expositions automatistes de 1947, reproduites dans l’ouvrage Maurice Perron. Photographies[19]. Au tout début de cet entretien, Allaire souligne que les photographies de Perron ont été abordées uniquement pour leur valeur documentaire, négligeant par conséquent leur valeur esthétique. Questionné sur ses préoccupations esthétiques de l’époque, le photographe répond d’emblée : « Mes préoccupations ont été surtout de photographier mon entourage et de m’amuser en photographiant[20] ». Dans ce même entretien, Perron mentionne avoir été préoccupé par le cadrage et avoir adopté régulièrement « des angles un peu curieux[21] ». L’examen des images des expositions automatistes de 1947, regroupées dans la publication Maurice Perron. Photographies, révèle que le photographe, par ses choix de cadrage, d’angles, et de sujets, ne les avait réalisées que pour documenter les œuvres exposées[22]. Un bon nombre des images produites lors de l’accrochage de la dernière exposition automatiste de l’année 1947 peut être davantage interprété comme des portraits individuels ou de groupe plutôt que des vues documentant une exposition. À titre d’exemple, le photographe a réalisé un portrait saisissant de Muriel Guilbault tenant dans ses mains une œuvre, mais dont la vue est partiellement obstruée par le bras droit de la comédienne et dont une partie se trouve hors cadre. La photographie de Perron de cette dernière exposition automatiste de 1947, reconstituée en trois dimensions par Klaus Scherübel, a été prise en plongée et offre une vue d’ensemble d’une des pièces de l’exposition (Fig. 2). Toutefois, cette image ne peut être interprétée comme une vue d’exposition en tant que telle puisque les sept personnes présentes entravent partiellement l’accès aux œuvres accrochées et l’éclairage théâtral créé par les artistes fait en sorte que certaines des œuvres, depuis l’angle choisi par Perron pour photographier la scène, sont plongées dans l’ombre. Impossible donc, de dresser un inventaire exhaustif des œuvres exposées. La caractéristique fragmentaire de cette image est certainement un aspect qui a été retenu dans l’intervention de Scherübel en 2019 et qui offrait aux visiteurs des pistes de réflexion fort stimulantes.

Montréal, été 2019 : les period rooms de Klaus Scherübel

À l’été 2019, les visiteurs de VOX, centre de l’image contemporaine, étaient accueillis par une reconstitution en trois dimensions d’une des photographies de Perron de la Seconde exposition automatiste. À première vue, pour le public familier avec les photographies de Maurice Perron, cette reconstitution pouvait paraître fidèle à l’image dont elle était tirée : après tout, les murs étaient recouverts de jute, des reproductions des œuvres étaient suspendues sur les murs et la porte ouverte, et un fauteuil était placé près de cette porte donnant sur un corridor. Cette reconstitution était accompagnée d’un panneau descriptif détaillé, rapprochant ici la démarche de l’artiste des intérieurs d’époque que l’on peut visiter dans de nombreux musées, lesquels sont régulièrement assortis de panneaux didactiques situant l’origine et la fonction des détails architecturaux, des meubles et des objets exposés. En termes de déploiement spatial, Sans titre (Seconde exposition des automatistes, au 75 rue Sherbrooke Ouest, chez les Gauvreau, 1947) opérait une distanciation puisqu’elle devait être examinée à travers une vitrine (Fig. 3). Les visiteurs ne pouvaient donc pas déambuler dans l’espace recréé. Le panneau sur pied, situé à gauche de la scène placée derrière la vitrine, incluait une reproduction de la photographie de Maurice Perron sur laquelle Scherübel s’était appuyé pour sa reconstitution, ainsi qu’une liste des œuvres exposées dans l’espace photographié par Perron en 1947. Le panneau indiquait également que certaines toiles avaient été identifiées avec certitude alors que d’autres avaient été attribuées à un artiste sans toutefois pouvoir être nommées, révélant que malgré toute la recherche effectuée au cours des dernières décennies, des renseignements nous échappent encore.

Fig. 3 : Klaus Scherübel, Sans titre (Seconde exposition des automatistes, au 75 rue Sherbrooke Ouest, chez les Gauvreau, 1947), 2019. Vue de l’installation à Vox, Centre de l’image contemporaine, Montréal, 15 mai – 13 juillet 2019. Photographie de Michel Brunelle. Courtesy Klaus Scherübel et Vox, centre de l’image contemporaine

Pour cette première reconstitution, Scherübel a conservé la même palette de couleurs (noir, blanc, gris) que la photographie de Maurice Perron. Cette manière de faire peut être interprétée comme une invitation à considérer l’importance jouée par les vues d’expositions, mais incite aussi à réfléchir au savoir fragmentaire que l’on peut en tirer.  À cet égard, Patrice Loubier écrit :

« Ce n’est donc pas tant l’espace où s’est tenue l’exposition que Scherübel vise à reproduire, mais la façon dont les photos de Perron nous le montre, avec les limites obligées qui amènent les tableaux – pourtant vedettes de l’événement – à se dérober à nos regards scrutateurs[23] ».

De plus, comme Loubier l’indique, le projet souligne « l’importance des angles morts qu’il reste à faire parler[24] ».

Fig. 4 : Klaus Scherübel, Sans titre (Exposition Mousseau-Riopelle chez Muriel Guilbault, 1947), 2019. Vue de l’installation à Vox, Centre de l’image contemporaine, Montréal, 15 mai – 13 juillet 2019. Photographie de Michel Brunelle. Courtesy Klaus Scherübel et Vox, centre de l’image contemporaine

Pour faire parler ces angles morts, Scherübel a fait appel à une stratégie artistique qui connaît un important engouement depuis le début du XXIe siècle, soit le reenactment. Dans le catalogue de l’exposition History Will Repeat Itself, la commissaire Inke Arns rappelle que les reenactments artistiques « ne sont pas une confirmation affirmative du passé ; plutôt, ils sont des interrogations posées sur le présent en revenant sur des événements historiques qui se sont gravés de manière indélébile dans la mémoire collective[25] ». De plus, Arns stipule que les reenactments « confrontent le sentiment général d’insécurité par rapport à la signification des images en employant une approche paradoxale : en effaçant la distance avec les images et en même temps en se distançant des images[26] ». C’est par ses reconstructions tridimensionnelles que Scherübel efface la distance avec les images de Perron, car il ne procède pas à une réplique à l’identique. Ainsi, il nous aide à nous distancier de ces photographies et à reconsidérer leur statut, tant comme documents que comme œuvres d’art.

La comparaison de la reproduction de la photographie de Perron, sur le panneau placé à côté de la vitrine, et de la reconstitution de Scherübel menait au constat que l’artiste s’était permis des écarts. À titre d’exemple, l’artiste-commissaire a omis d’inclure l’imposant bureau qui se trouvait dans la première pièce et sur lequel étaient disposées quelques sculptures. Ce que ce retrait génère est une transformation de l’espace qui ressemble de moins en moins à un espace domestique et de plus en plus à une galerie. Par conséquent, ce choix peut potentiellement être interprété comme une manière de projeter les œuvres dans le temps et les présenter dans une situation davantage similaire à celle dans laquelle nous les voyons aujourd’hui, soit dans les institutions artistiques. Quant au retrait des gens, il s’agit d’une approche fréquente des reconstitutions, des dioramas ainsi que des period rooms. Comme Raymond Montpetit l’indique dans une étude se penchant sur la muséographie analogique, l’absence de mannequins peut favoriser « l’identification des visiteurs avec ce qu’ils voient et leur projection imaginaire dans cet espace ouvert, à la place des personnages du temps maintenant absents[27] ».

La proposition de Scherübel s’inscrit également dans une foulée de réexpositions d’expositions. Reesa Greenberg a proposé de nommer ce type d’expositions remembering exhibition, soit « l’exposition qui se souvient, » tout en insistant sur différentes manières dont les institutions procèdent pour reconstituer ces expositions passées[28]. Ailleurs, Elitza Dulguerova rapporte que cette approche a pris son essor dans les années 1980[29]. Dans un article publié en 2010, Dulguerova a analysé, entre autres, des exemples de reconstitutions d’expositions avant-gardistes russes, tenues pré- et post-révolution, confiées à des artistes ou architectes contemporains. Parmi les études de cas sur lesquelles la chercheure se penche, on compte une reconstruction présentée dans le cadre de The Avant-Garde in Russia: New Perspectives (1910-1930) organisée par le Los Angeles County Museum of Art (LACMA) en 1980 et une reconstruction d’une exposition de la société des Jeunes Artistes (Obmokhou) qui a eu lieu à Moscou en 1921, réalisée pour la galerie nationale de Tretiakov en 2006. Dulguerova entrevoit ces reconstructions comme des répliques qu’elle décline en deux sous-catégories, soit la reprise et la riposte. Elle définit la première comme « la répétition plus ou moins fidèle et historiquement exhaustive d’une situation d’exposition antérieure[30] ». Pour sa part, « la riposte insiste sur l’écart entre présent et passé, sur l’impossibilité de revivre aujourd’hui l’expérience passée de l’œuvre[31] ». Les reconstitutions de Scherübel peuvent être associées à cette seconde sous-catégorie puisque l’artiste n’a pas tenté par ses reconstitutions de répliquer des expériences passées. Par l’entremise de ses ripostes, Scherübel a insisté sur les écarts, mais aussi sur la dimension fragmentaire de toute documentation d’événements passés.

Fig. 5 : Klaus Scherübel, Sans titre (Exposition Mousseau-Riopelle chez Muriel Guilbault, 1947), 2019. Vue de l’installation à Vox, Centre de l’image contemporaine, Montréal, 15 mai – 13 juillet 2019. Photographie de Michel Brunelle. Courtesy Klaus Scherübel et Vox, centre de l’image contemporaine

Alors que dans le cas des exemples analysés par Dulguerova, les conservateurs, artistes et architectes désiraient reconstruire des situations d’expositions données, les reconstitutions de Klaus Scherübel créées pour Period rooms étaient différentes car l’artiste-commissaire était en premier lieu intéressé par les photographies de Maurice Perron des expositions automatistes, auxquelles la littérature sur le mouvement automatiste a essentiellement donné une valeur documentaire. De plus, la démarche de Scherübel se distingue, entre autres, de celles étudiées par Dulguerova par le choix de citer explicitement la photographie dont la reconstitution était tirée, en maintenant la même palette de couleurs (noir, blanc, gris) dans le cas Sans titre (Seconde exposition des automatistes, au 75 rue Sherbrooke Ouest, chez les Gauvreau, 1947), ou, encore, par l’absence des œuvres originales ou encore de reproductions des œuvres, dont l’existence n’est évoquée qu’à l’aide de panneaux de bois, dans le cas de Sans titre (Exposition Mousseau-Riopelle chez Muriel Guilbault, 1947). De plus, dans ses deux reconstitutions, Scherübel a travaillé différemment la juxtaposition photographie-reconstitution. Pour l’exposition de février-mars 1947, la première juxtaposition était directe et didactique – la photographie de Perron était reproduite sur le panneau descriptif directement adjacent à la reconstitution. Pour la deuxième reconstitution, la vue captée par Perron en 1947 était reproduite à grande échelle sur le mur de la salle menant à Sans titre (Exposition Mousseau-Riopelle chez Muriel Guilbault, 1947). Cette manière de procéder ne permettait pas de juxtaposition directe (Fig. 5). Effectivement, si les visiteurs désiraient procéder à un examen des similarités et différences entre le référent et la reconstitution, ils devaient faire un aller-retour d’une salle à l’autre. Ces juxtapositions permettaient, entre autres, de rappeler aux visiteurs qu’ils étaient confrontés à des espaces non authentiques mais construits et qui, comme toute period room, ne peuvent offrir l’expérience originale de ces moments et lieux passés.

Contrastant avec la reconstitution de l’exposition de février-mars 1947, laquelle était présentée sous vitrine, la reconstitution de l’exposition de novembre-décembre 1947 était d’abord et avant tout immersive, une caractéristique fort importante pour les period rooms. De plus, l’éclairage de l’exposition Mousseau-Riopelle tenue à la fin de 1947, tel qu’en témoignent les clichés de Perron, était théâtral et avait donné lieu à d’intéressants jeux d’ombres. Afin de recréer cet éclairage, Scherübel a fait appel à un spot de théâtre. L’ambiance de cette deuxième reconstitution était nécessairement plus dramatique que la première, prenant même une allure fantomatique. En effet, dans sa riposte, Scherübel a choisi de ne pas reproduire les œuvres de Mousseau et Riopelle. Les dessins du premier et les aquarelles du second ont été remplacés par des panneaux de bois lisse. Ces derniers évoquaient donc les supports des œuvres des Automatistes, sans en imiter la facture. L’absence de reproductions peut s’expliquer par la difficulté d’identifier quelles œuvres avaient été exposées dans le logis de Muriel Guilbault. Dans sa riposte Scherübel insiste ici sur l’impossibilité, malgré le souci d’exhaustivité de toute recherche, de recréer l’exposition originale. Par conséquent, en schématisant la mise en vue, en la rendant fantomatique, Scherübel se réfère au travail de la photographie et surtout rappelle la dimension artistique des photographies de Perron qui ne peuvent être réduites au simple statut de document.

Dans son texte accompagnant l’exposition, Marie J. Jean rappelait le type de support qui a permis aux photographies de Perron de circuler, soit dans les livres consacrés au mouvement[32]. Le texte de la commissaire était d’ailleurs accompagné d’une photographie d’un détail d’une page de la version française du livre de Ray Ellenwood sur le mouvement automatiste : Égrégore : une histoire du mouvement automatiste de Montréal (Fig. 6). Ce détail, marqué à l’aide d’un marque-page vert vif[33], attirait l’attention du lecteur sur la reproduction de la photographie de Perron que Scherübel a choisi de reconstruire en trois dimensions pour son installation Sans titre (Seconde exposition des automatistes, au 75 rue Sherbrooke Ouest, chez les Gauvreau, 1947). À cet égard, Marie J. Jean écrit : « l’image, qui était d’abord reproduite dans l’“espace du livre”, s’insinue dans l’espace de la galerie et acquiert, à travers cet effet de basculement, la forme d’une exposition[34] ».

Fig. 6 : Klaus Scherübel, Sans titre (VOL. 26), 2019. Carton d’invitation. Courtesy Klaus Scherübel

Pour conclure, nous aimerions d’abord revenir sur le potentiel du reenactment. Comme le soutiennent Marie Fraser et Florence-Agathe Dubé-Moreau, « [l]orsque le reenactment implique une intermédialité […], son potentiel semble plus incisif puisqu’il invite à penser les coexistences : de temporalités, de discours et de savoirs[35] ». La sélection de photographies de Scherübel est particulièrement révélatrice de son intérêt à traiter de différentes temporalités dans ce projet : celle des expositions automatistes de 1947 ; celle des images captées par Perron, qui ont figé, en quelque sorte, ces moments dans le temps ; celle de la circulation des images de Perron dans de nombreuses publications ; par exemple, celle des reconstitutions de 2019 ; et finalement, celle de ceux qui entendront parler de ces reconstitutions une fois qu’elles auront été démantelées. Un tel projet offrait aussi de très belles pistes de réflexion sur la manière dont ces expositions passées ont marqué, et sous quelles formes, l’imaginaire collectif. De la sorte, il insistait sur l’importance de considérer différents discours et les savoirs que l’on peut soutirer de ces expositions, images, et reconstitutions. Ultimement, par sa conceptualisation, le projet de Scherübel fait écho aux photographies de Perron en ce sens que, tout comme ces images de 1947, les reconstitutions de 2019 peuvent être analysées pour leur valeur documentaire et pour leur valeur esthétique. À l’instar des Automatistes qui ont refusé de se conformer aux pratiques sociales et artistiques de l’époque, Scherübel, dans le cadre de Period rooms, a proposé d’élargir le répertoire de ce qui peut être interprété comme des intérieurs d’époque, en proposant ici des réexpositions d’expositions tenues dans des appartements, tout en réactivant des photographies d’expositions passées à partir du présent. En tant qu’artiste contemporain, il vient insuffler une autre manière de diversifier la pratique des period rooms.

 

Notes

[1] Jean M. J., « Klaus Scherübel », Period rooms, brochure accompagnant l’exposition, Montréal, Château Ramezay, Château Dufresne, Oratoire St-Joseph du Mont-Royal, 2019, n. p.

[2] Comme le fait valoir Anne Bénichou, le terme anglais reenactment n’a pas d’équivalent satisfaisant en français. C’est pour cette raison que nous emploierons le terme dans sa langue originale dans cet article. Bénichou A., « Introduction. Le reenactment ou le répertoire en régime intermédial », Intermédialités, n° 28-29, automne 2016-printemps 2017, § 1.

[3] Dulguerova E., « L’expérience et son double. Notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie », Intermédialités, n° 15, printemps 2010, p. 53-71.

[4] Keeble T., « Introduction », Keeble T., Martin B., Sparke P. (dir.), The Modern Period Room: The Constructions of the Exhibited Interior 1870 to 1950, New York, Routledge, 2006, p. 1. Citation originale en anglais : « The period room has emerged as a key representational device of social history, and of the history of architecture and the fine and decorative arts ».

[5] Keeble T., « Introduction », Keeble T., Martin B., Sparke P. (dir.), The Modern Period Room: The Constructions of the Exhibited Interior 1870 to 1950, New York, Routledge, 2006, p. 2. Citation originale en anglais : « Like all historical constructions, the period room comments on at least two different periods: that of its chronological gestation and that of its presentation ».

[6] À propos de ce projet, voir le descriptif sur le site de Vox, centre de l’image contemporaine, en ligne : http://centrevox.ca/exposition/creer-a-rebours-vers-lexposition-expose-densemble/ (consulté en février 2020).

[7] Poulot D., « Asmodée au musée : exposer les décors de l’intimité », Costa S., Poulot D., Volait M. (dir.), The Period Rooms. Allestimenti storici tra arte, collezionismo e museologia, Bologna, Bononia University Press, 2016, p. 25.

[8] À ce propos, voir Gagnon F.-M., Chronique du mouvement automatiste québécois (1941-1954), Outremont, Lanctôt, 1998 ; Ellenwood R., Égrégore : une histoire du mouvement automatiste québécois, trad. J.-A. Billard, Montréal, Kétoupa Éd. ; Outremont, Éd. du passage, 2014 ; Nasgaard R., Ellenwood R. (dir.), The Automatiste Revolution: Montreal (1941-1960), Vancouver ; Toronto ; Berkeley, Douglas & McIntyre, 2009.

[9] Gagnon F.-M., Chronique du mouvement automatiste québécois (1941-1954), Outremont, Lanctôt, 1998, p. 263.

[10] Marsil T., « Les Automatistes : École de Borduas », Le Quartier Latin, 28 février 1947, p. 4.

[11] Gagnon F.-M., Chronique du mouvement automatiste québécois (1941-1954), Outremont, Lanctôt, 1998, p. 306.

[12] Jean M. J., « Créer à rebours vers l’exposition : le cas de la seconde exposition des automatistes », Vox, mai 2019, en ligne : http://centrevox.ca/wp-content/uploads/2019/05/Exposition-automatiste-Scherubel_essai-fr.pdf (consulté en février 2021).

[13] Ibid., p. 307.

[14] Jean M. J., « Klaus Scherübel », Period rooms, brochure accompagnant l’exposition, Montréal, Château Ramezay, Château Dufresne, Oratoire St-Joseph du Mont-Royal, 2019, n. p.

[15] De manière générale dans la littérature consacrée à l’histoire des expositions, une place de premier plan est accordée aux vues d’exposition. À titre d’exemple, voir : L’art de l’exposition. Une documentation sur trente expositions exemplaires du XXe siècle, Paris, Éd. du Regard, 1998 ; les deux volumes Salon to Biennial: Exhibitions That Made Art History dirigé par Bruce Altshuler pour Phaidon (2008, 2013) ; et la collection Exhibition Histories inaugurée en 2010 et publiée par la maison d’éditions Afterall.

[16] Nasgaard R., « The Automatiste Revolution in Painting », Nasgaard R., Ellenwood R. (dir.), The Automatiste Revolution. Montreal (1941-1960), Vancouver ; Toronto ; Berkeley, Douglas & McIntyre, 2009, p. 50.

[17] Guilbault est également une des signataires du Refus global.

[18] François-Marc Gagnon indique également que les artistes ont dû aussi organiser leurs expositions dans des espaces alternatifs parce que le Musée des beaux-arts de Montréal et les galeries commerciales n’étaient pas intéressés, à cette époque, par le travail des Automatistes. Gagnon F.-M., « Paul-Émile Borduas and les Automatistes », Whitelaw A., Foss B., Paikowsky S. (dir.), The Visual Arts in Canada: The Twentieth Century, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 146.

[19] Allaire S., « Un photographe chez les automatistes. Entretien avec Maurice Perron », Études françaises, vol. 34, n° 2-3, automne-hiver 1998, p. 141-155 ; Maurice Perron. Photographies, Québec, Musée du Québec, 1998, p. 62-83.

[20] Allaire S., « Un photographe chez les automatistes. Entretien avec Maurice Perron », Études françaises, vol. 34, n° 2-3, automne-hiver 1998, p. 141.

[21] Ibid., p. 145.

[22] Maurice Perron. Photographies, Québec, Musée du Québec, 1998, p. 62-83.

[23] Loubier P., « Remonter l’image, descendre le temps. La reconstitution comme savoir chez Klaus Scherübel », ESSE, n° 98, hiver 2020, p. 48.

[24] Ibid.

[25] Arns I., « History Will Repeat Itself: Strategies of Re-Enactment in Contemporary (Media) Art and Performance », Arns I., Horn G. (dir.), History Will Repeat Itself: Strategies of Re-Enactment in Contemporary (Media) Art and Performance, Dortmund, Hartware Medien Kunst Verein ; Berlin, KW Institute for Contemporary Art, 2007, p. 43. Original en anglais : « artistic re-enactments are not an affirmative confirmation of the past; rather, they are questionings of the present through reaching back to historical events that have etched themselves indelibly into the collective memory. » [Italiques de Arns.]

[26] Ibid.

[27] Montpetit R., « Une logique d’exposition populaire : les images de la muséographie analogique », Publics et Musées, n° 9, 1996, p. 75.

[28] Greenberg R., « Remembering Exhibitions: From Point to Line to Web », Tate Papers, n° 12, automne 2009, en ligne : https://www.tate.org.uk/research/publications/tate-papers/12/remembering-exhibitions-from-point-to-line-to-web (consulté en février 2020).

[29] Dulguerova E., « L’expérience et son double. Notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie », Intermédialités, n° 15, printemps 2010, p. 54.

[30] Ibid., p. 56. Il faut noter que Reesa Greenberg, parallèlement à Elitza Dulguerova, a défini trois catégories pour analyser les réexpositions d’exposition, soit replica, riff et reprise. Voir Greenberg R., « Remembering Exhibitions: From Point to Line to Web », Tate Papers, n° 12, automne 2009, en ligne : https://www.tate.org.uk/research/publications/tate-papers/12/remembering-exhibitions-from-point-to-line-to-web (consulté en  février 2020). Dans le cadre de cette analyse, nous nous en tiendrons aux catégories développées par E. Dulguerova en raison des parallèles et différences qui peuvent être tirés des études de cas examinées dans son article.

[31] Dulguerova E., « L’expérience et son double. Notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie », Intermédialités, n° 15, printemps 2010, p. 62.

[32] Jean M. J., « Créer à rebours vers l’exposition : le cas de la seconde exposition des automatistes », Vox, mai 2019, en ligne : http://centrevox.ca/wp-content/uploads/2019/05/Exposition-automatiste-Scherubel_essai-fr.pdf (consulté en février 2021).

[33] Nous pouvons citer ici, à titre d’exemple, la couleur du livre conçu dans le cadre du projet VOL. 13 de Scherübel. Voir le site de l’artiste : http://klausscheruebel.com/index.php?/projets/13/ (consulté en février 2021).

[34] Jean M. J., « Créer à rebours vers l’exposition : le cas de la seconde exposition des automatistes », Vox, mai 2019, en ligne : http://centrevox.ca/wp-content/uploads/2019/05/Exposition-automatiste-Scherubel_essai-fr.pdf (consulté en février 2021).

[35] Fraser M., Dubé-Moreau F.-A., « Performer la collection. Comment le reenactment performe-t-il ce qu’il recrée ? », Intermédialités, n° 28-29, automne 2016-printemps 2017, § 7.

 

Pour citer cet article : Ariane Noël de Tilly, "Sans titre (les ripostes de Klaus Scherübel)", exPosition, 22 septembre 2021, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles6-2/noel-de-tilly-ripostes-scheruebel/%20. Consulté le 31 octobre 2024.

Reprendre en écho(s). Effets et enjeux de la reconstitution d’exposition sur le champ muséologique

par Florence-Agathe Dubé-Moreau

 

Florence-Agathe Dubé-Moreau est autrice et commissaire indépendante en art contemporain. Elle détient une maîtrise en histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal, intitulée « Reprendre en écho(s). Effets et enjeux de la reconstitution d’exposition en art contemporain » (2018). Ses plus récents projets de commissariat ont été montrés à Montréal, Québec et Toronto. Elle était également assistante-commissaire pour la délégation canadienne à la 56e Biennale de Venise (2015). Ses textes ont été publiés dans les revues Esse et Intermédialités, ainsi que dans des ouvrages parus aux éditions d’art Le Sabord, Plein sud et Critical Distance. Elle est lauréate du Prix jeunes critiques Esse (2013) et de la Bourse Jean-Claude Rochefort (2018) : deux distinctions canadiennes en critique d’art contemporain. —

 

L’intérêt pour les reconstitutions d’œuvres, de performances, de chorégraphies et d’expositions ayant marqué les histoires s’est rapidement érigé en tendance généralisée à l’aube du nouveau millénaire et a inspiré plusieurs manifestations expographiques, conférences, parutions et événements. Certaines œuvres en sont même venues à être fréquemment présentées d’une exposition à l’autre ou citées de manière récurrente dans les textes scientifiques en tant qu’index du phénomène, mentionnons Third Memory (2000) de Pierre Huygue, The Battle of Orgreave (2001) de Jeremy Deller et Art Must Hang (2001) d’Andrea Fraser. Du côté de la performance, Seven Easy Pieces (2005) de l’artiste Marina Abramović et, du côté des expositions, When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 (2013) du commissaire Germano Celant sont, quant à elles, communément considérées comme des pierres de touche pour illustrer l’ampleur de cet engouement récent pour les réactualisations des points de vue théoriques, artistiques, pratiques et médiatiques.

De manière plus spécifique, c’est l’intensification du nombre de reconstitutions d’exposition sur la scène artistique occidentale entre 2009 et 2014 qui sert de préambule à cet article. Pourquoi ramener dans le présent une exposition passée sous une forme entière ou partielle ? Quoi reconstruire ? Comment en restituer la mémoire ? Et, pour ce qui m’intéresse ici, quels impacts et potentiels pour le travail en musée et le « faire » exposition ? Je souhaite précisément m’enquérir des répercussions de cette forme expographique à l’endroit du champ muséologique – qui étudie le musée dans ses fonctions d’exposition et de conservation et génère du savoir à partir des expositions[1] – pour sonder de quelles façons ces occurrences de (re)mise en espace révèlent les discours qui forment et informent l’exposition, tout en portant le pouvoir de les transformer.

Le moteur à l’origine de cette recherche est d’engager une réflexion sur la reconstitution d’exposition envisagée non pas comme un objectif ou une finalité, mais comme un « processus de transfert » vaste et complexe qui agirait dans le temps et l’espace selon un enchaînement d’opérations survenant avant, pendant et après l’événement. L’exposition se caractérise elle-même par un feuilletage spatio-temporel, en plus d’être un portail entre différents domaines d’activité et de pensée en art. Par opposition à une œuvre prise isolément par exemple, l’examen des processus de la reconstitution reporté spécifiquement à l’exposition offre un accès privilégié aux contextes institutionnels de présentation de l’art et aux approches discursives déployées pour l’y accompagner – ce que la philosophe Anne Cauquelin appelle « l’environnement de l’art » dans ses qualités matérielles et conceptuelles, et qui comprend « tout ce qui a trait à l’exposition et la déborde aussi[2] ».

L’historienne de l’art Elitza Dulguerova fixe autour des années 1980 les débuts d’un intérêt plus répandu pour les « expositions d’expositions » qui reproduisent des manifestations révolues, faisant de la reconstitution d’exposition un terrain d’étude relativement jeune et pourtant prolifique dans les dernières années[3]. Comme le chercheur Jérôme Glicenstein le fait remarquer, à partir des années 1970-1980, les reconstitutions d’exposition semblent progressivement changer de fonction pour « revisiter de manière critique la manière dont [les] avant-gardes ont intégré l’espace des institutions[4] » plutôt que de servir à une légitimation de l’art moderne, par exemple. Pour se rapprocher davantage des pratiques actuelles, les analyses de la théoricienne Claire Bishop sur les programmations du Van Abbemuseum (en particulier Play Van Abbemuseum [2009-2011] qui a initié plusieurs reconstitutions au sein du musée) permettent de décloisonner les possibilités qu’offrirait la reconstitution d’exposition en sondant des motivations muséologiques plus radicales à reconstituer et en exacerbant les propriétés anachroniques, performatives et politiques de son processus[5].

Ces mutations rendent alors nécessaire une définition plus élaborée de la reconstitution d’exposition afin d’y admettre une dimension critique, voire autocritique. Des cas récents comme Other Primary Structures (2014), au Jewish Museum de New York, et When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 (2013), de Celant, pointeraient vers cette utilisation différente de la reconstitution d’exposition. Cette dernière ne servirait plus uniquement à légitimer des mouvements artistiques ou à redonner accès au passé de façon passive, mais plutôt à créer des espaces où est problématisée la rencontre du passé et du présent et où, simultanément, il est possible de faire ressortir certains récits historiques ou codes muséaux. Dès lors, envisager la reconstitution d’exposition non seulement en tant que « processus de transfert », mais aussi (et surtout) en tant que « processus critique » la porterait en héritière de courants réflexifs en art contemporain, comme la critique institutionnelle des années 1960 à 1990 et le nouvel institutionnalisme (New Institutionalism) des années 1990 à 2000. Ensemble, ces deux éléments de situation historique font déjà poindre certains potentiels à caractère performatifs de la reconstitution à « agir sur » les objets, les personnes et les contextes que son processus critique implique.

Other Primary Structures et When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 sont rapidement devenues des cas exemplaires dans l’examen de la tendance ou des méthodologies en « re- » (reenactment, remake, reprise, etc.) dans les productions artistiques des dernières années. Elles incarnent, entre autres, deux postures diamétralement opposées : la critique du passé, pour la première, et l’hommage aux canons, pour la seconde. De façon à complexifier les analyses existantes[6] du résultat physique de leurs entreprises de reconstitution (dissemblable/semblable, critique/hommage), et surtout à dégager l’influence qu’elles exerceraient sur la muséologie, je propose de les étudier de manière comparative en fonction de « qui » reconstitue : l’institution ou le commissaire. Cette approche de la reconstitution par l’entremise des postures qui la performent permet d’isoler certaines variables de ces deux expositions afin de les inspecter sous un angle plus direct et plus fouillé avec une volonté de transversalité entre institution et commissaire.

Je cherche ainsi à cerner ce qui, dans la reconstitution d’exposition, serait actif [7]. En d’autres mots, je tente de localiser les différents sièges de son agentivité, c’est-à-dire sa capacité à « agir sur », voire à transformer non seulement les objets et leur historicisation dans l’histoire de l’art, mais aussi les contextes de monstration et les disciplines, comme la muséologie ou l’histoire des expositions, dont elle reconduit les codes et les idéologies.

Other Primary Structures : lorsque le musée reconstitue

Other Primary Structures, tenue en 2014 au Jewish Museum de New York en deux volets consécutifs, s’impose à l’étude pour deux raisons antithétiques : d’une part, le statut canonique qu’a acquis sa source – Primary Structures: Younger American and British Sculptors conçue par Kynaston McShine et présentée au même musée en 1966 –, étant généralement considérée comme l’une des premières expositions occidentales à rendre compte de la nouvelle sculpture d’après-guerre et comme la première exposition institutionnelle américaine sur l’art minimaliste ; d’autre part, la décision du musée, par l’entremise de son directeur adjoint responsable du projet, Jens Hoffmann[8], de ni réactiver la scénographie de 1966 ni remontrer les œuvres d’origine (Fig. 1). Cette reconstitution paradoxale fait voir qu’une institution, particulièrement lorsqu’elle « re-présente » une de ses anciennes expositions, porterait un regard « autoréflexif » sur l’enchâssement de son propre discours dans l’histoire des expositions et le champ muséal.

Fig. 1 : Other Primary Structures, 14 mars – 18 mai 2014, Jewish Museum, vue de l’exposition. Photographie : David Heald.
Courtesy The Jewish Museum, New York / Art Resource, NY

En avant-propos du catalogue, on découvre l’avis : « Cette exposition a été modifiée de sa version originale. Elle a été formatée pour inclure l’Autre[9] ». Bien qu’une vision similaire à celle de McShine soit appliquée pour chercher des artistes qui auraient semblablement participé à un moment minimaliste dans les années 1960 et 1970, la méthodologie privilégiée est plutôt informée par le contexte globalisé de l’art actuel et par les théories postcoloniales. Résultat : la sélection répond à des critères esthétiques comparables, mais comprend exclusivement des artistes de l’extérieur de l’Occident, absentes et absents de la première itération. Vingt-deux hommes et six femmes (soit trois fois plus qu’au départ) sont rassemblés ; elles et ils proviennent d’Asie, de l’Europe de l’Est, d’Amérique du Sud, d’Afrique et du Moyen-Orient, des parties du monde longtemps, voire encore, considérées comme périphériques ou sous-développées, en regard du canon occidental[10].

Pour chacun de ses deux volets, l’exposition investit cinq salles du Jewish Museum qui ne sont pas exactement les mêmes que celles de Primary Structures puisque l’aile Albert A. List, où elle s’était tenue au départ, a été entièrement réaménagée au cours des années 1990. Les sculptures, de grande taille et colorées pour la majorité, sont posées directement au sol ou suspendues dans une expographie caractérisée par l’emploi de larges reproductions en noir et blanc, documentant la mise en espace de 1966, qui habillent des murs entiers dans chacune des galeries (Fig. 2). L’exposition est également accompagnée d’un catalogue qui comprend la réédition du catalogue d’origine, depuis écoulé.

 

Pour analyser Other Primary Structures, les typologies de reconstitutions d’exposition proposées par Dulguerova et Reesa Greenberg, parues respectivement en 2009 et 2010 – soit au cœur d’une prolifération de cas en Occident autour des années 2010 –, sont particulièrement éclairantes[11]. Admettre qu’Other Primary Structures « réplique à » Primary Structures bien plus qu’elle ne « réplique » son original, ou ne le répète plus ou moins fidèlement, motive l’opposition que Dulguerova établit entre les types « riposte » et « reprise[12] ». Le fait qu’une distance temporelle entre les versions de 1966 et de 2014 soit annoncée d’emblée dans le texte de présentation de l’exposition et rendue visible dans les galeries tout au long de la visite – en opposition à la reprise où les publics auraient l’impression de plonger dans le passé de manière immersive – fonderait la capacité de la riposte à actualiser le passé à partir du présent. Dulguerova avance que le jeu temporel mis en œuvre par ce type de reconstitution pourrait être rapproché d’une compréhension benjaminienne de l’histoire où le passé aurait le pouvoir d’agir sur le présent[13].

Le concept de riposte chez Dulguerova est similaire à celui de « riff » chez Greenberg[14]. La riff est une exposition à propos d’une autre ; la réitération d’une exposition passée dont la mémoire est manipulée pour explorer son sujet en improvisant sur celui-ci ou en produisant des variations sur lui – ce à quoi la proposition du Jewish Museum répond tout à fait. L’interaction entre le passé et le présent qui en résulte est associée par Greenberg à la conception dynamique et rhizomatique de la notion d’histoire chez Aby Warburg, où l’archéologie et le présent sont mis en relation et s’augmentent mutuellement sous le modèle de la constellation. Que Dulguerova invoque Walter Benjamin et que Greenberg fasse appel à Warburg place la reconstitution d’exposition en dialogue avec la réévaluation méthodologique de la linéarité de l’histoire de l’art qui s’opère dans les développements récents de la discipline, en simultanéité avec la revalorisation des théories de ces deux historiens du XXe siècle. La reconstitution d’exposition s’inscrirait parmi des recherches qui, ces dernières années, soutiennent des modèles temporels anachroniques pour écrire l’histoire de l’art ou pour réfléchir son déploiement et sa production au sein du musée[15]. Dans une étude de l’agentivité de la reconstitution, Dulguerova et Greenberg nous lancent donc semblablement sur la piste des dimensions temporelles, historiques et historiographiques comme agents actifs de ce processus à l’endroit de la muséologie.

La mémoire des expositions

Le caractère site specific[16] d’Other Primary Structures, en prenant place dans le même musée qu’en 1966, amène plus loin la réflexion. Comment se rappelle-t-on des conditions architecturales de présentation qui, nécessairement, influent sur la réception et la pérennité d’une exposition ? L’exercice de spatialisation de la mémoire que la reconstitution sous-tend forcerait ici à reconnaître l’importance du lieu comme partie intégrante de l’histoire d’une exposition, et de son souvenir. Greenberg propose que cette « spécificité spatiale » fonctionne à l’image d’une « carte de mémoire[17] ». La relation spatiale va, selon elle, jusqu’à influencer la manière avec laquelle le sens se construit dans la structuration interne (conceptuelle et physique) d’une exposition. Reportée à la reconstitution d’exposition, le transfert de contexte se présenterait alors comme une particularité cruciale.

L’historien de l’art James Meyer rappelle qu’en 1966, les galeries du pavillon « contemporain » Albert A. List (bâti en 1963) exemplifiaient l’idéologie montante du White Cube : plafonds hauts, planchers neutres, vastes murs blancs dépourvus d’entrelacs, éclairage sur rails ajustable[18]. La taille et l’abondance des blow-ups en noir et blanc d’Other Primary Structures soulignent l’adéquation aiguë que les formes de Primary Structures entretenaient avec leur environnement de présentation, s’inscrivant en ligne directe avec cette actualité architecturale. Simultanément, ces photographies d’archives participent à créer cet effet de carte de mémoire pour les témoins de 1966, et on pourrait dire « d’index de mémoire » pour les nouveaux publics, en forçant l’apposition des vues d’exposition d’origine à l’architecture des salles contemporaines, comme autant d’indices du passé.

Pourtant en 2014, ce qu’on découvre est un contraste, une déconnexion. Alors que la cohérence de l’arrimage en 1966 entre les principes minimalistes et le cube blanc muséal est indissociable du caractère site specific de la première exposition ; à l’inverse, le « style Château » des rénovations de 1990 se dresseraient contre sa source en désynchronisant les recherches esthétiques des années 1960 avec leur lieu de monstration. L’adjonction de documents d’archives, et d’autres témoins du passé (comme la réédition du premier catalogue de même qu’une maquette de l’apparence du musée et de l’exposition en 1966), aux salles rénovées signaleraient sans équivoque les différences entre les deux contextes et empêcheraient d’évaluer la relation entre les œuvres et leur espace d’exposition de manière équivalente à 1966 (Fig. 3). Ainsi, on pourrait avancer que la relation entre le « contenu » et le « contenant » d’une exposition serait exacerbée dans le cas d’une institution qui rejoue une de ses propres expositions passées parce qu’elle ferait « doublement » voir le contenant : ses ruines et sa transformation.

Fig. 3 : Other Primary Structures, 14 mars – 18 mai 2014, Jewish Museum, vue de l’exposition (maquette de l’exposition Primary Structures [1966]). Photographie : David Heald. Courtesy The Jewish Museum, New York / Art Resource, NY

Revendiquer sa voix 

Lorsque Glicenstein se penche sur les motivations de l’écriture et de la mise en scène des histoires des expositions, l’une de celles qu’il dégage est la valorisation par les institutions artistiques de leurs principales productions[19]. Selon lui, « il est souvent question, […], pour des acteurs institutionnels, de démontrer l’importance d’une exposition par son évocation, par la citation de certains de ses éléments, voire par son reenactment[20] ». Allons plus loin : lorsque le musée initie et dirige lui-même la reconstitution d’une de ses propres expositions, il aurait logiquement un pouvoir plus grand, du moins différent, sur l’appareil discursif qui entoure la manifestation – en opposition à une réitération dirigée par une ou un commissaire indépendant-e ou une ou un artiste invité-e à revisiter l’histoire des expositions d’une institution par exemple –, car il se retrouve tant en amont qu’en aval de la reconstitution.

La reconstitution d’exposition confèrerait ici une forte agentivité (empowerment) au musée. Le Jewish Museum se porterait en position de gonfler la valeur symbolique de Primary Structures dans l’histoire de l’art et des expositions en l’inscrivant à nouveau dans un récit historique au moyen de la reconstitution et sur le mode de la canonisation. Automatiquement, le musée s’octroie le rôle d’en augmenter la fortune critique, médiatique et scientifique ; rôle non négligeable puisque sa posture de narrateur lui permettrait de contextualiser en ses mots et selon son idéologie l’ascendant de l’exposition source par rapport à l’art minimal, à l’art contemporain américain et aux enjeux esthétiques des années 1960 à New York.

Nous nous retrouvons devant un musée conservateur et producteur de sa trace historique, pour reprendre l’expression de la conservatrice Nathalie Leleu qui suggère que les copies et reconstitutions, « en tant qu’événements historiques en soi […] renseignent dans leur hic et nunc sans doute moins leurs référents que les motivations et les desseins de leurs promoteurs[21] ». Dans cette logique, la reconstitution d’exposition deviendrait une stratégie utilisée par le musée pour accéder à la sacralisation de l’histoire de même qu’à un positionnement privilégié dans le champ ou paysage muséal : maintenant que l’histoire a consacré Primary Structures et ses artistes, le Jewish Museum userait d’un redéploiement de cette exposition pour non seulement réinscrire l’exposition d’origine dans le cours de l’histoire de l’art, mais pour s’assurer que l’importance historique du musée, en tant que producteur de l’événement, ne soit ni évacuée ni oubliée. Et précisément parce qu’elle agit sur l’histoire des expositions du Jewish Museum, Other Primary Structures exposerait d’abord le musée, son audace artistique en 1966 et théorique en 2014 alors qu’il révise, voire rétroagit, sur son canon institutionnel. Hoffmann tourne un miroir vers Primary Structures, et le reflet contemporain qu’il nous renvoie est celui du Jewish Museum.

La validation convoitée par le Jewish Museum semble être transhistorique, c’est-à-dire qu’elle paraît se situer autant dans le passé, que dans le présent et le futur. En choisissant l’exposition la plus célébrée de son histoire et une période faste d’expérimentations en ses murs, le Jewish Museum ouvrirait finalement sur son futur[22]. Ce musée dont la mission est centrée sur l’exploration de la culture et de l’identité juives, livre ainsi un discours assez clair sur sa volonté à interroger sa propre contemporanéité et, ce faisant, il laisse imaginer son futur institutionnel – un futur qu’on peut concevoir, dans la filiation d’Other Primary Structures, informé par l’état du monde globalisé et les enjeux humains et économiques que cela sous-tend  ; un futur (conditionnel ?) forgé par des idéaux culturels plus inclusifs et intersectionnels, comme si la reconstitution critique faisait espérer des actions à venir.

When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 : lorsque la ou le commissaire reconstitue

À l’opposé de l’initiative du Jewish Museum, l’exposition When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 présentée en 2013 à la Fondation Prada, à Venise, par Germano Celant propose une reconstitution se voulant la plus fidèle possible de Live in your head. When Attitudes Become Form: Works — Concepts — Processes — Situations — Information, tenue en 1969 à la Kunsthalle de Berne et organisée par Harald Szeemann (Fig. 4-6). Live in your head. When Attitudes Become Form est un moment saillant de l’histoire de l’art contemporain et de l’histoire des expositions en étant communément reconnue comme une des premières expositions internationales de l’art conceptuel, entre autres, et comme un bloc de départ pour étudier le commissariat d’exposition.

 

Fig. 4 : When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, 1er juin – 3 novembre 2013, Fondazione Prada, Ca’ Corner della Regina, Venise, vue de l’exposition. De gauche à droite : les œuvres de Gary B. Kuehn, Eva Hesse, Alan Saret, Reiner Ruthenbeck, Richard Tuttle. Photographie : Attilio Maranzano. Courtesy Fondazione Prada
Fig. 5 : When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, 1er juin – 3 novembre 2013, Fondazione Prada, Ca’ Corner della Regina, Venise, vue de l’exposition. De gauche à droite : les œuvres d’Eva Hesse, Reiner Ruthenbeck, Gary B. Kuehn, Keith Sonnier, Bill Bollinger. Photographie : Attilio Maranzano. Courtesy Fondazione Prada

 

Fig. 6 : When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, 1er juin – 3 novembre 2013, Fondazione Prada, Ca’ Corner della Regina, Venise, vue de l’exposition. De gauche à droite : les œuvres de Mario Merz, Barry Flanagan, Richard Artschwager, Robert Morris, Bruce Nauman. Photographie : Attilio Maranzano. Courtesy Fondazione Prada

Son statut privilégié dans l’histoire des expositions lui a d’ailleurs déjà valu quelques autres reconstitutions, mais jamais à l’identique (plutôt des riffs très libres) et surtout jamais de l’ampleur de celle de Celant[23]. L’angle mimétique est particulièrement fécond pour observer les effets matériels et commissariaux[24] de la reconstitution en ce qui a trait à la fabrication concrète de l’exposition alors que le passé y est préservé « tel qu’il était[25] ». Cette approche peut être associée à une « réplique à l’identique » chez Dulguerova ou à la structure de la replica dans la typologie de Greenberg, sous lesquelles la reconstitution se rapproche de la célébration, de l’hommage, voire du fétichisme[26]. Le commissaire explique qu’il considère l’exposition originale comme un tout autonome, comme un « readymade[27] » qu’il qualifie d’historique, car plus qu’un objet, l’exposition aurait le pouvoir d’évoquer un contexte passé dans ses dimensions culturelles et sociales. Il cherche à réanimer la vivacité tout comme la radicalité de l’initiative de Szeemann afin de la rendre visible et perceptible aux nouveaux publics en mettant sur un pied d’égalité le contenu de l’exposition et son contexte de présentation.

La reconstitution prenait place durant la 55e Biennale de Venise à la Ca’ Corner della Regina, palais historique abritant la Fondation Prada sur les berges du Grand Canal. Celant est assisté par l’artiste contemporain Thomas Demand, ainsi que par l’architecte Rem Koolhaas. Cette tête tripartite renvoie par symétrie à la triple nature des enjeux qu’implique le transfert spatiotemporel : commissariale, artistique et architecturale. À travers une enquête archivistique extensive, ils s’affairent à retracer : chacune des œuvres (90 % des œuvres sont réexposées via des prêts, des reconstructions ou des réactivations de performances[28]) ; leur emplacement entre les différents sites de l’exposition, incluant les interventions extérieures in situ ; et celles non réalisées et non exposées, dans une volonté, revendiquée par Celant, de perfectionner le passé. Le défi de l’extraction et de l’implantation de l’exposition à échelle 1 : 1 dans un bâtiment complètement différent implique en outre d’innombrables questions techniques incluant : l’accrochage et la disposition spatiale, la dimension et la division des salles, les structures architecturales relatives aux planchers, aux murs et aux plafonds, mais aussi aux éléments périphériques, comme les plinthes, les moulures, les fenêtres, les portes et les calorifères (Fig. 7). S’il y a révision ou correction, pour reprendre des motifs croisés dans l’étude d’Other Primary Structures, c’est moins sur les plans critiques ou politiques, qu’en fonction d’une rectification du souvenir de l’exposition de manière à exprimer plus fidèlement son intention commissariale de départ.

 

Fig. 7 : When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, 1er juin – 3 novembre 2013, Fondazione Prada, Ca’ Corner della Regina, Venise, vue de l’exposition. De gauche à droite : les œuvres de Barry Flanagan, Richard Artschwager, Alighiero Boetti, Mario Merz. Photographie : Attilio Maranzano. Courtesy Fondazione Prada

Reconstruire le passé

Fig. 8 : When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, 1er juin – 3 novembre 2013, Fondazione Prada, Ca’ Corner della Regina, Venise, vue de l’exposition. De gauche à droite : les œuvres de Bill Bollinger, Gary B. Kuehn, Keith Sonnier, Walter De Maria, Bill Bollinger. Photographie : Attilio Maranzano. Courtesy Fondazione Prada

L’angle mimétique du « readymade historique » de Celant permet de se pencher plus particulièrement sur les conditions techniques de présentation afin de les révéler en tant qu’éléments signifiants dans la perception d’une exposition et de ses œuvres. Parmi ces conditions, diverses stratégies entourant l’identité architecturale et graphique de When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 servent à illustrer sans détour les points de contact entre 1969 et 2013, comme s’il s’agissait de « coutures temporelles » laissées par l’action de la reconstitution. De l’expographie, à la campagne publicitaire, en passant par la jaquette du catalogue, le traitement qui est privilégié est d’exhiber franchement la juxtaposition des décors. Servent entre autres cet argument les découpages grossiers et légèrement exagérés des faux murs blancs imitant ceux de la Kunsthalle posés par-dessus les fresques anciennes ou le long des pilastres d’inspiration corinthienne qui ornent l’intérieur de la Ca’ Corner (Fig. 8). Un réseau de renvois temporels complexe s’installe ainsi entre l’exposition de 1969, reportée dans le présent, mais où le présent est aussi le passé, puisque son cadre est un palais vénitien du XVIIIe siècle…

Dans un entretien retranscrit dans le catalogue, Demand part de l’hypothèse que Celant parviendrait à montrer plus d’aspects de Live in your head. When Attitudes Become Form que Szeemann à l’époque, et suggère que la reconstitution irait jusqu’à faire en sorte que « les conditions de l’exposition sont aussi signifiantes que l’exposition elle-même[29] ». Le fait, par exemple, que la version de 2013 mette en évidence l’absence de socle, la faible participation féminine, la radicalité du White Cube et la liberté de circulation des publics dans l’espace, malgré l’extrême proximité des œuvres, incarnerait une augmentation (more aspects) de la proposition initiale. Il y aurait donc deux effets à considérer d’un point de vue muséologique ici : le processus de reconstitution serait potentiellement à même d’attirer l’attention de manière plus sensible qu’une exposition conventionnelle (non reconstituée) sur les techniques et les dispositifs de présentation de l’art ; et le passage du temps qu’il matérialise nous renseignerait sur le développement des façons d’organiser les expositions. À cet égard, l’engouement pour les reconstitutions d’exposition participerait non seulement de la professionnalisation des commissaires au cours des trois dernières décennies, mais en achèverait en quelque sorte l’accomplissement en les dotant d’une base de jalons historiques commune[30].

Le « fait commissarial »

L’attention se déplacerait alors des œuvres et des artistes d’origine vers le travail commissarial en ce qui a trait à son processus intellectuel, à sa méthodologie et à ses implications critiques. Mon acception du « commissarial » reprend ici la distinction qu’emploie Glicenstein, dans son plus récent ouvrage, entre l’adjectif « curatorial », qui renvoie à la pratique professionnelle des commissaires, et le nom « curatorial » (qu’il écrit en italique), qui se réfère au champ des réflexions actuelles sur la réalisation d’exposition[31]. Glicenstein traite d’un « monde du curatorial[32] » qu’il rapproche de l’expression « culture of curating » chez le commissaire Paul O’Neill[33] – et qu’on peut aussi associer au titre de la collection Cultures of the Curatorial, co-dirigée par la chercheure Beatrice von Bismarck[34]. Le commissarial opèrerait à un niveau différent de celui du commissariat, en ce sens où il dépasserait les aspects administratifs, logistiques ou techniques en amont de la présentation d’une exposition pour englober une conception transdisciplinaire, transhistorique et transculturelle de son projet théorique dans une temporalité de l’événement beaucoup plus fluide.

Fig. 9 : When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, 1er juin – 3 novembre 2013, Fondazione Prada, Ca’ Corner della Regina, Venise, jaquette du catalogue d’exposition. Courtesy Fondazione Prada

L’approche commissariale personnelle de Celant – malgré le mimétisme de la reconstitution – est entre autres appréciable à travers les altérations du titre de l’exposition d’origine. Celant en retranche une partie pour ne conserver que la portion centrale et la plus connue, à laquelle il ajoute les données descriptives Bern 1969/Venice 2013. Ce changement fonctionne de manière performative dans le temps et l’espace en rendant visible graphiquement les processus d’extraction et de transfert de la reconstitution, et incidemment l’écart entre les deux. Le nouveau titre avertit également que les lieux ultérieurs de la tournée en 1969 (le Museum Haus Lange à Krefeld, et l’Institute of Contemporary Arts (ICA) à Londres) sont évacués. On peut imaginer la complexité temporelle et spatiale qu’ajouterait la reconstitution d’une exposition approchée tout autant dans son identité conceptuelle d’origine que dans sa « re-présentation » au fil de sa tournée. Non seulement cela contribuerait à valoriser la relation étroite entre exposition et espaces de présentation, mais cela entourerait ces déploiements subséquents d’une substance historique et critique capable d’enrichir la mémoire et le legs de l’exposition source[35]. Enfin, la police du titre de la reconstitution calque, à s’y méprendre, celle de la couverture du célèbre ouvrage Arte Povera, publié par Celant en 1969, qui cristallise une génération d’artistes autour du mouvement éponyme, celui-là déterminant dans le positionnement de Celant en art contemporain (Fig. 9). C’est d’ailleurs pendant la préparation de ce livre qu’il fait la connaissance de Szeemann, en 1968, et qu’il en vient à jouer un rôle dans l’inclusion d’une délégation italienne à Live in your head. When Attitudes Become Form ainsi qu’à prononcer le discours d’ouverture le soir du vernissage. Alors que le Jewish Museum entrait en dialogue avec sa propre histoire institutionnelle avec Other Primary Structures, on constate ici que Celant emploierait la reconstitution pour s’inscrire (voire se « ré-inscrire ») dans l’histoire stellaire de Szeemann et de la première exposition – tout en parvenant à faire briller la subjectivité et l’agentivité de sa propre voix.

Un dernier intérêt disciplinaire à reconstituer serait décelable dans la relecture des méthodologies commissariales et des outils discursifs qu’elle permet. Dans la Ca’ Corner, tout se passe comme si la reconstitution appuyait sur l’ensemble et le « chaos » d’origine : l’absence de parcours de visite précis, l’absence d’accompagnement textuel (médiation) et surtout l’absence d’une définition concise de ces « attitudes ». Notre regard se pose d’abord sur l’exposition de Szeemann puis sur celle de Celant bien avant de découvrir les œuvres individuellement… La fenêtre sur le passé qu’ouvre la reconstitution, malgré ses imperfections anachroniques, est une occasion de prendre la mesure, dans un rapport physique et conceptuel, des disparités avec les pratiques contemporaines en commissariat et l’approche radicale du médium exposition par Szeemann. Elle se présenterait dès lors comme un processus capable de montrer le « faire » exposition, et ce, dans une valorisation équivalente des commissaires, de la théorisation du commissarial et de l’histoire des expositions au sein de la discipline muséologique.

Cette étude comparative nous invite au final à envisager la reconstitution comme un outil de réflexion sur le « devenir public[36] » de l’art à travers les discours institutionnel et commissarial, en permettant de passer par métonymie de l’exposition au musée ou de l’exposition aux commissaires. C’est parce qu’elle engage des contextes, des méthodes, des stratégies de diffusion, des expôts et des actrices et acteurs variés que la reconstitution d’exposition se révèle être un processus critique riche.

Ce point de mire particulier donne à voir la reconstitution moins comme une répétition que comme un moyen d’insister sur la différence – ou comme un moyen de générer cette différence. La reconstitution serait-elle en fait « résistance » bien plus que « répétition » ? Il n’est pas uniquement question de montrer le passé, mais bien de le « re-montrer » dans une contemporanéité où le préfixe « re- » en est un qui transforme le passé, qui résiste à son achèvement et le garde actif, mobile. La reconstitution en viendrait ainsi à ouvrir un espace d’actualisation pour le champ muséologique en ce qui a trait aux approches théoriques et pratiques qui régulent l’espace d’exposition et la production de savoirs à partir des expositions. Il ne s’agirait non pas d’un processus réactif, mais bien d’un processus productif de potentialités positives tendues vers le futur.

 

 Notes

[1] J’aborde la muséologie actuelle comme un « moyen dynamique » d’approfondir simultanément les connaissances sur l’histoire des musées et d’examiner leur organisation interne ainsi que leurs fonctions de recherche, de conservation, d’exposition et de diffusion, mais surtout, comme un « devoir réflexif » sur l’institution muséale et ses responsabilités intellectuelles et sociales.

[2] Cauquelin A., Les machines dans la tête, Paris, Presses universitaires de France, 2015, p. 178. Voir aussi : Cauquelin A., L’art contemporain, Paris, Presses universitaires de France, 2013.

[3] Dulguerova E., « L’expérience et son double : notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie », Intermédialités, n° 15, 2010, p. 53-71.

[4] Glicenstein J., L’invention du Curateur. Mutations dans l’art contemporain, Paris, Presses universitaires de France, 2015, p. 156.

[5] Bishop C., Radical Museology: or, What’s “Contemporary” in Museums of Contemporary Art?, Londres, Kœnig Books, 2013 ; Bishop C., « Reconstruction Era: The Anachronic Time(s) of Installation », When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, cat. exp., Milan, Progetto Prada Arte, 2013, p. 429-436.

[6] Par exemple dans : Buskirk M., Jones A., Jones C. A., « The Year in “Re” », Artforum International, n° 52 (4), décembre 2013, p. 127-130 ; Nicolao F., « The Sweet Surprise of Thinking Back », Domus, n° 971, juillet 2013, p. 10-11 ; Ramade B., « L’audace par procuration : lorsque l’exposition est reproduite », Ciel variable, n° 97, printemps-été 2014, p. 46-53 ; Mallonee L. C., « Why Are There So Many Art Exhibitions Revivals? », Hyperallergic, 11 août 2014, en ligne : hyperallergic.com/138834/why-are-there-so-many-art-exhibition-revivals/ (consulté en mars 2020) ; Glicenstein J., « En quête d’un canon des expositions », Esse arts+opinions, n° 84, printemps-été 2015, p. 14-21 ; Spencer C., « Making it New. Why do museums recreate landmark exhibitions, installations and performances, and what can we learn from these restagings? », Apollo, mai 2015, p. 24-26.

[7] Dans une certaine mesure, cette perspective est inspirée des études de genres ; en particulier des écrits de la philosophe Judith Butler qui, partant des théories sur la performativité développées par les philosophes John Langshaw Austin et Jacques Derrida, associent performativité et agentivité. En art, les travaux de la théoricienne Dorothea von Hantelmann, qui cherchent à montrer comment l’art peut avoir un impact social au moyen du concept de performativité – compris comme postulat temporel, matériel et sociétal –, me permettent d’envisager l’agentivité et la productivité de la reconstitution d’exposition. Voir : Butler J., Excitable Speech: A Politics of the Performative, New York, Routledge, 1997 ; Hantelmann D. (von), How to Do Things with Art: The Meaning of Art’s Performativity, Dijon, Les presses du réel, 2010.

[8] Jens Hoffmann a été destitué de ses fonctions en décembre 2017 à la suite d’allégations de harcèlement sexuel faites à son endroit au Jewish Museum. Le cas a été conservé à l’étude, car c’est véritablement la posture du musée qui apparaît riche à problématiser ici plutôt que l’apport de Hoffmann.

[9] Other Primary Structures, cat. exp., New York, The Jewish Museum, 2014, vol. 1, n. p. : « This exhibition has been modified from its original version. It has been formatted to include Others ».

[10] Hoffmann J., « Another Introduction », Other Primary Structures, cat. exp., New York, The Jewish Museum, 2014, vol. 1, n. p.

[11] Dulguerova E., « L’expérience et son double : notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie », Intermédialités, n° 15, 2010, p. 53-71 ; Greenberg R., « Remembering Exhibition: From Point to Line to Web », Tate Papers, n° 12, automne 2009, en ligne : tate.org.uk/research/publications/tate-papers/12/remembering-exhibitions-from-point-to-line-to-web (consulté en mars 2020).

[12] Dulguerova E., « L’expérience et son double : notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie », Intermédialités, n° 15, 2010, p. 58.

[13] Ibid., p. 62.

[14] Greenberg R., « Remembering Exhibition: From Point to Line to Web », Tate Papers, n° 12, automne 2009, en ligne : tate.org.uk/research/publications/tate-papers/12/remembering-exhibitions-from-point-to-line-to-web (consulté en mars 2020).

[15] À cet égard, soulignons les écrits de l’historien de l’art Georges Didi-Huberman, qui a aussi travaillé à partir de Warburg et de Benjamin. Voir, entre autres : Didi-Huberman G., Devant le temps : histoire de l’art et anachronisme des images, Paris, Éd. de Minuit, 2000 ; Didi-Huberman G., L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Éd. de Minuit, 2002 ; Careri G., Didi-Huberman G., L’histoire de l’art depuis Walter Benjamin, Paris, Éd. Mimésis, 2015.

[16] J’utilise ce concept comme l’emploie Greenberg dans son travail pour traiter de la corrélation entre les conditions physiques de présentation d’une exposition et la signification de cette dernière. Voir : Greenberg R., « The Exhibited Redistributed: A Case for Reassessing Space », Thinking about Exhibitions, Londres, Routledge, 1996, p. 349-367.

[17] En référence aux notions « site specificity » et « memory map » : Greenberg R., « Remembering Exhibition: From Point to Line to Web », Tate Papers, n° 12, automne 2009, en ligne : tate.org.uk/research/publications/tate-papers/12/remembering-exhibitions-from-point-to-line-to-web (consulté en mars 2020).

[18] Meyer J., Minimalism: Art and Polemics in the Sixties, New Haven ; Londres, Yale University Press, 2001, p. 18.

[19] Glicenstein J., « Quelques questions posées par l’histoire de l’exposition », art press 2, n° 36, février-avril 2015, p. 10.

[20] Ibid.

[21] Leleu N., « “Mettre le regard sous le contrôle du toucher”. Répliques, copies et reconstitutions au XXe siècle : les tentations de l’historien de l’art », Les cahiers du musée national d’Art moderne, n° 93, automne 2005, p. 87.

[22] Balzer D., « Jens Hoffmann on Structures, Primary and Otherwise », Canadian Art, 13 mars 2014, en ligne : canadianart.ca/features/jens-hoffmann-on-structures-primary-and-otherwise/ (consulté en mars 2020) : « It’s also an introduction to the Jewish Museum and the future of the Jewish Museum and is aware of its past and a very particular period–one we’d want to continue with ».

[23] Nommons les reconstitutions à la Whitechapel Gallery, Londres, en 2000 (qui se concentrait sur le contexte britannique des années 1965 à 1975) et au California College for the Arts (CCA) Wattis, San Francisco, en 2012 (dont seulement la maquette était une reconstitution à l’identique) qui était d’ailleurs organisée par Hoffmann.

[24] Dans la francophonie globalisée, l’emploi du néologisme « commissarial » est courant, surtout au Québec. Il est équivalent à la francisation du mot curatorial et s’arrime au fait qu’en art, le titre professionnel de « commissaire » y est aussi préféré aux termes « curateur » (populaire en France) ou « curator » (populaire en Belgique).

[25] La posture de Celant vis-à-vis du passé pourrait être rapprochée de celle d’un auteur souvent cité dans les écrits sur le phénomène, soit Robin George Collingwood, un philosophe du XXe siècle, généralement identifié comme le premier à avoir utilisé le terme « re-enactment ». Dans son ouvrage The Idea of History (1946), il signe un passage sur la connaissance de l’histoire précisément à travers le re-enactment de l’expérience passée. Pour Collingwood, la reconstitution est un fait de l’esprit (act of thought) grâce auquel l’historien (non féminisé dans le texte d’origine) serait capable de remettre en acte le passé. Le re-enactment serait une action performative au moyen de laquelle l’historien peut se projeter dans le passé pour le « re-penser » ou le « ré-expérimenter » à partir du présent. Il s’agirait de la seule méthode à légitimer l’écriture du récit historique selon une quête ou un souci d’objectivité et de véracité. Cette démarche mentale, répondant d’une histoire positiviste, permettrait ainsi d’extraire une vérité du passé. Voir : Collingwood R. G., The Idea of History, Oxford, Oxford University Press, 2005 (1946).

[26] Dulguerova E., « L’expérience et son double : notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie », Intermédialités, n° 15, 2010, p. 53-71 ; Greenberg R., « Remembering Exhibition: From Point to Line to Web », Tate Papers, n° 12, automne 2009, en ligne : tate.org.uk/research/publications/tate-papers/12/remembering-exhibitions-from-point-to-line-to-web (consulté en mars 2020).

[27] Celant G., « A Readymade: When Attitudes Become Form », When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, cat. exp., Milan, Progetto Prada Arte, 2013, p. 389-392.

[28] Verhagen E., « Germano Celant. Quand les attitudes deviennent forme : Berne 1969/Venise 2013 », art press, n° 401, juin 2013, p. 35.

[29] Celant G., « Why and How. A Conversation with Germano Celant », When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, cat. exp., Milan, Progetto Prada Arte, 2013, p. 396-397 : « the conditions of the show are as telling as the show itself ».

[30] Voir entre autres : Glicenstein J., « En quête d’un canon des expositions », esse arts+opinions, n° 84, printemps-été 2015, p. 14-21.

[31] Glicenstein J., L’invention du Curateur. Mutations dans l’art contemporain, Paris, Presses universitaires de France, 2015.

[32] Ibid., p. 105.

[33] O’Neill P., The Culture of Curating and the Curating of Cultures(s), Cambridge, The MIT Press, 2012.

[34] Le premier titre de la collection : Schafaff J., Bismarck, B. (von), Weski T., Cultures of the Curatorial, Berlin, Sternberg Press, 2012.

[35] L’enjeu des tournées, voire les co-productions entre différentes institutions, en regard de la reconstitution d’exposition est un vaste sujet en soi qui mériterait une étude plus approfondie.

[36] L’expression « becoming public » est empruntée aux travaux de Bismarck, dont : Bismarck B. (von), « Out of Sync, or Curatorial Heterochronicity. “Anti-Illusion: Procedures/Materials” (1969) », Frank R., Meyer-Kramher B., Schafaff J., Bismarck B. (von), Weski T. (dir.), Timing: On the Temporal Dimension of Exhibiting, Berlin, Sternberg Press, 2014, p. 301-318.

Pour citer cet article : Florence-Agathe Dubé-Moreau, "Reprendre en écho(s). Effets et enjeux de la reconstitution d’exposition sur le champ muséologique", exPosition, 9 février 2021, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles6-1/dube-moreau-reprendre-en-echos/%20. Consulté le 31 octobre 2024.