Notes sur les apports écologiques d’œuvres allographiques

par Benjamin Arnault

 

Benjamin Arnault est artiste. Depuis plusieurs années, il mène une lecture critique de motifs écologiques contemporains. Privilégiant le format de la publication et la communication lors de colloques, ses travaux ont notamment été présentés à l’occasion de l’exposition Jardins au Grand Palais (2017), dans la revue Alauda du Muséum National d’Histoire Naturelle (2017). En 2021, il participe à l’exposition collective Les Écotones, Le musée des petits oiseaux au centre d’art Rurart. En 2023, il réalise une exposition personnelle au lycée où il fut lycéen (Lycée Camille Claudel, Blain, Loire-Atlantique), exposition intitulée Étude de ma relation au document naturaliste & à la chaleur.

 

« Le monde est plein d’objets, plus ou moins intéressants ; je n’ai pas envie d’en ajouter davantage. Je préfère simplement établir l’existence des choses en leur lieu et place », écrit Douglas Huebler en 1969[1]. Cette observation citée fréquemment dans les ouvrages actuels fait écho au projet de Charlotte Cosson : « Déterrer l’art conceptuel[2] ». La formule de Huebler agit tel un refrain en faveur d’une éthique de production. Selon Nicolas Bourriaud, les acteurs s’en sont emparés. « Désencombrer le monde, utiliser ce qui existe déjà, réhabiliter le déchet, recycler les rebuts, ce sont là des figures banales de l’économie de l’art contemporain, volontiers circulaire[3] », écrit-il en 2021. Son constat semble pourtant loin d’être partagé. En 2019, dans une série d’articles de presse, nombre de manquements sont pointés : course aux expositions, fret internationalisé d’objets d’art, mauvaise qualité et gaspillage des matériaux utilisés pour la scénographie, bâtiments mal isolés, budgets souvent limités, mise à l’écart des projets artistiques locaux[4]… Certains acteurs dénoncent une « hystérie[5] » d’activités. « Le secteur de l’art n’est plus dans un rôle de préfiguration du monde de demain, d’anticipation, ni d’accompagnement[6] », selon Alice Audouin, fondatrice de l’association Art of Change 21[7].

Dans un souci de valorisation des savoir-faire existants, je souhaite interroger quelles sont les dynamiques internes portées par les acteurs de l’art contemporain qui peuvent s’accorder aux nécessités écologiques. Je pense à cette tendance constatée par Nathalie Heinich, « l’allographisation[8] » des œuvres d’art contemporain. Plus particulièrement, je pense aux œuvres allographiques en elles-mêmes. L’œuvre allographique est une œuvre transmise, diffusée avec un énoncé écrit par l’artiste, afin d’être matérialisée ultérieurement par une tierce personne. Il s’agit d’une œuvre réactivable, expérimentée préalablement par l’artiste. Les énoncés des artistes conceptuels dont ceux parus dans le catalogue de Seth Siegelaub January 5-31[9] tenaient sur une feuille de papier. Sous forme d’imprimés, ils « remplaçaient » les objets. Néanmoins, au fur et à mesure de leurs diffusions, la plupart seraient devenus des « statements [écrits] sur un mur », « [rencontrant] le plus classique des arts : la peinture[10] ». Avec les prérogatives écologiques, comment les artistes s’emparent et critiquent l’héritage de l’art conceptuel ? Dans quelle mesure est-ce possible de manier autrement les outils allographiques ?

Plusieurs pratiques écologiques dont la performance, le jardinage, le livre d’artiste s’accordent a priori bien avec le « régime allographique[11] ». Heinich a pointé les accointances des pratiques artistiques contemporaines avec le régime allographique et avec le spectacle vivant[12]. Son observation se vérifie dans le choix des entrées de l’abécédaire Arts, écologies, transitions (Université de Paris 8, 2024) : « Architecture (esthétique de la transition écologique en) », « danses contemporaines », « jardin », « littérature(s) », « musique », « performance », « théâtre », telles sont quelques-unes des entrées[13]. Pour rappel, selon l’acception de Nelson Goodman, ces disciplines artistiques relèvent du régime allographique ; plusieurs d’entre elles fonctionnent avec des systèmes codifiés dont le plan, la coupe et la partition[14].

Au regard des attendus écologiques, quels sont les apports de l’énoncé[15] ? À quelles conditions peut-on parler de sauts qualitatifs avec cette catégorie d’œuvres ? À quelles échelles de production ? Les œuvres appartenant au régime allographique permettent-elles de relire voire d’enrichir les définitions des arts écologiques ?

L’énergie allographique

« Pour George Brecht, […] l’énoncé d’art permet de concentrer un maximum de vitalité dans un minimum de matière[16] ». De même, des artistes contemporains utilisent cette capacité de l’énoncé à encapsuler de l’énergie. À cette question de François Piron – « Tu vends […] des formules, des modes d’emploi, comme les artistes conceptuels ? » -, Michel Blazy lui répond par la métaphore : « Une graine peut rester un temps infini en état de dormance ; une graine de nénuphar peut rester dans cet état pendant mille ans par exemple, et j’aime cette forme d’existence minimum. Dans une bibliothèque, ma pièce tient sur une feuille mais elle peut aussi prendre un espace de 500 mètres carrés[17] », explique le sculpteur. L’énoncé, l’œuvre allographique témoignent « [de] modes de production et de diffusion destinés à des œuvres interprétables en cascade » où « tout devient fluctuant[18] ». Les énoncés sont principalement constitués de langage[19], et « le langage reste, du strict point de vue pratique, la seule matérialisation qui permette toutes les autres matérialisations[20] ». « La forme [des énoncés est] toujours commune et toujours accessible par l’utilisation du langage[21] », ce qui favorise leur appropriation et leur interprétation.

Fin 1968, Lawrence Weiner réunit tous ses statements en un seul et même livre[22], « le livre [étant l’]un des outils lui permettant de maintenir l’intégralité de son travail dans la société[23]. » En 2010, Jean-Baptiste Farkas réunit ses « services[24] » dans son ouvrage Des modes d’emploi et des passages à l’acte[25] (155 pages). Dans ce livre, les 60 services « en version longue » tiennent sur 117 pages, les 60 services « en version courte » tiennent sur 20 pages. Avec le service n° 45 intitulé Scripts : un avenir allographique !, Farkas propose de « convertir chaque œuvre d’art d’une collection en une description écrite grâce à laquelle il sera possible de la refaire sans qu’il soit nécessaire de l’avoir eue un jour sous les yeux. La collection originale devra être détruite à l’issue de quelques re-matérialisations réussies[26]. » Peu regardant quant à la préservation de la diversité des savoir-faire, cet énoncé a le mérite de nous interroger sur la légitimité des œuvres devenues objets d’art.

Quid de l’analyse du cycle de vie d’une œuvre allographique ?

Ces dernières années, quelques analyses du cycle de vie au sujet d’œuvres ont été diffusées auprès du grand public, dont celle d’Ice Watch (Ólafur Elíasson, environ 40 tonnes de CO2 généré) et celle de l’œuvre d’art numérique Far Away (studio Chevalvert, environ 3 tonnes), toutes deux consultables sur internet[27]. Procéder à l’analyse du cycle de vie d’une œuvre d’art n’est pas à la portée de tout un chacun. Cette opération nécessite l’appui d’un cabinet spécialisé ; elle ne peut être réalisée par des artistes opérant seuls (à moins de se former en tant qu’ingénieur), mais par des équipes disposant de moyens suffisants, ce qui n’est pas le cas de la majeure partie des artistes contemporains. L’association Art of Change 21, « organisation internationale en faveur de l’environnement et du développement durable » a été fondée en 2014 pour « [accompagner] la transformation écologique du secteur artistique », et notamment pour « accompagner les artistes contemporains dans la réduction de leur impact environnemental[28] ». En collaboration avec Solinnen, société experte en analyse du cycle de vie et en éco-conception, une partie des activités d’Art of Change 21 est consacrée aux enjeux de l’éco-conception. Le Prix Art Éco-Conception dont la première édition a eu lieu en 2023 permet aux acteurs du secteur de se focaliser sur cet objectif – secteur de l’art contemporain où il n’y a pour l’heure « pas d’exigences réglementaires[29] ».

Dans ce contexte, la possibilité de l’œuvre allographique paraît bienvenue. Tandis qu’« une œuvre souvent exposée et transportée en camion ou avion, va engendrer du fait de son transport de l’effet de serre[30] », l’œuvre allographique permet a priori l’économie substantielle des coûts de transport et d’assurance. Un simple mail avec les instructions adressé à l’équipe, quelques échanges téléphoniques si nécessaire suffisent. En 1994, Mollet-Viéville l’expérimente avec sa proposition d’exposition Sans transport, sans assurance, sans frais, ensemble d’œuvres qu’il prête gracieusement[31]. Néanmoins, « au sein de nombreux cycles de vie de produits de consommation courante, [le transport] ne représente généralement que 10% de l’impact, nous précisent Philippe Osset, fondateur de Solinnen et Alice Audouin. Ce n’est donc que si l’on fait voyager souvent une œuvre, et loin, que son impact va significativement augmenter[32] ». Les autres volets de l’étude d’impact s’avèrent indispensables pour parvenir à un diagnostic fiable. Quid des moyens nécessaires à la fabrication de tel matériau, de l’écotoxicité ou non du matériau, etc. ?

Idée-temps-information n° 1 : « Après avoir mangé un fruit, gardez les pépins et plantez-les. Quand les pépins ont donné des fruits, cueillez-en un et mangez-le. Notez avec précision la durée entre les deux fois où vous les avez mangés[33]. »

Donald Burgy, 1969

Tournement d’une ligne (éplucher une pomme) : « Ce défi consiste à enlever la pelure en un seul morceau à l’aide d’un couteau. Un couteau très aiguisé est indispensable[34]. »

Alison Knowles, 1976

Ces deux énoncés historicisés, fruités, incitent à faire un régime allographique ! Surtout, ils sont la démonstration de la possible adéquation entre œuvre allographique et empreinte neutre (zéro carbone)[35]. Ne disposant pas des moyens, des outils pour le calcul requis, les artistes et les interprètes peuvent toutefois faire preuve de bon sens et opter pour l’activation des énoncés adéquats, ceux usant de matériaux biosourcés. Compte-tenu du coût inabordable pour beaucoup d’une analyse du cycle de vie, le maniement du procédé allographique est une solution possible pour la poursuite des projets artistiques. Dans le sillage de l’art conceptuel, un certain courant d’acteurs officie avec les formats allographiques, discrets, légers, furtifs, formats dont les créateurs peuvent s’inspirer[36].

Cependant, la légèreté de l’œuvre allographique est plus ou moins opérante. Par exemple, Éric Watier identifie « [la] logique d’instabilité de présentation[37] » chère à Weiner. Lors des expositions de statements, il y a une multiplication « [des] couleurs, [des] typographies ou [des] mises en scènes », soit « la volonté […] d’accumuler les formalisations de ses énoncés afin de prouver la faible importance formelle de ces mêmes formalisations[38] ». Et « le prêt d’un Weiner se fait seulement par la transmission du mot à produire […]. À la fin de l’exposition, il est nécessaire de s’assurer de la destruction physique de ces “traces”, afin qu’elles ne soient pas conservées. Le risque serait de leur conférer le statut de bien culturel[39] », témoigne la conservatrice-restauratrice Zoë Renaudie. Les principes de monstration de Weiner dénotent quelque peu avec la soi-disant légèreté de l’œuvre allographique. « [Le] double régime de pérennisation (la conservation d’un certain nombre de manifestations et les réitérations multiples) est courant dans les pratiques artistiques de tradition allographique[40] », constate l’historienne Anne Bénichou.

Une œuvre allographique peut également être monumentale et donc coûteuse. Des artistes parmi les plus fréquemment exposés défendent désormais un art de la partition. « Aujourd’hui je ne produis plus d’objets, explique Christian Boltanski. 90 % des choses que je fais sont détruites après l’endroit où je les ai montrées. Un peu comme des partitions musicales, on peut les refaire et les rejouer. La pièce [Personnes] a été jouée à Milan, à New York et au Japon. Naturellement, il n’y avait aucun transport, elle était refaite à chaque fois et différente à chaque fois. C’est en même temps la même œuvre et une autre œuvre. […] Tant que je suis vivant, je joue mon œuvre, mais un jour il faudra que d’autres gens jouent mon œuvre. On pourra dire “œuvre de Mr Boltanski interprétée par Mr Untel[41] ” ».

Un régime illimité !

La feuille de papier, le livre sont a priori les supports privilégiés de l’œuvre allographique, mais ils ne sont potentiellement pas les seuls.

« Le support en tant que tel est indifférent […], c’est-à-dire que l’information qu’il contient est transférable sur un autre support sans que l’information et la signification en soient affectées (si, bien évidemment son identité d’épellation est conservée intacte[42]). »

« [Le script] peut être indéfiniment redéployé ».

« [Le script] confère à l’œuvre le pouvoir d’habiter successivement (ou simultanément) plusieurs corps[43] ».

La diversification des supports, rendue possible par le régime allographique, laisse imaginer une reconduction ininterrompue des énoncés, les renaissances de l’œuvre. L’activation allographique à partir de l’énoncé-source induit également une animation des matériaux quelque peu analogue au recyclage. Cette contemporanéité interpelle : les recycleurs font revivre des matériaux et les interprètes font revivre une partition… « [Les matières premières] ont déjà eu une première vie, elles ont déjà eu une histoire […], explique Louisane Roy. Les artistes vont pouvoir sublimer cette matière première, lui donner une deuxième, une troisième, une quatrième vie, etc[44]. » Les deux activités – mise en œuvre allographique, recyclage – peuvent se rencontrer et être mutualisées à l’occasion de créations. L’extension de la durée de vie des matériaux propre au recyclage est l’occasion d’actualiser les conditions de production de l’œuvre allographique, voire de codifier l’emploi de matériaux recyclables, biodégradables, locaux, etc., et de rendre à la terre l’œuvre activée une fois l’exposition terminée. Tandis que les centres d’art font face à des difficultés de stockage d’œuvres, il devient envisageable d’engager une circularité des matériaux, recyclés au fil des activations puis destinés à d’autres usages. L’œuvre allographique demeure peu encombrante pour le centre d’art : notices de montage, fichiers numériques et précisions de l’artiste imprimés et rassemblés dans un unique classeur…

Les pratiques allographiques s’inscrivent dans une tradition depuis « l’art d’avant-garde des années soixante[45] ». Elles seraient devenues « un genre de l’art contemporain[46] ». Celles-ci incarnent la liberté pour l’auteur de l’énoncé puis les interprètes d’opérer hors-les-murs, dimension chère aux arts écologiques. Cette invitation au mouvement se déploie à plusieurs échelles, spatiales, temporelles et collectives. Les amateurs d’art peuvent s’emparer à leur tour des énoncés et participer activement à leur diffusion. L’argument de la prise de conscience des urgences écologiques par un maximum de personnes dans le cas d’Ice Watch – argument utilisé par Audouin pour défendre les choix de production d’Elíasson[47] – paraît difficilement recevable. En revanche, le mode de diffusion d’une œuvre allographique, réinterprétée, refabriquée, démultipliée, procure chez les personnes investies un contact direct avec l’œuvre.

« L’art conceptuel cristallise dans ses œuvres cette époque où le capitalisme devient libéralisme : société de services, valorisation du travail intellectuel sur les savoir-faire, sous-traitement à un tiers, délocalisation[48] », observe Cosson. Puissent les valeurs de coopération, d’entraide, de présence, de frugalité (?) suppléer les valeurs rattachées à l’art conceptuel.

Terrains allographiques et écologiques

« Récolter du pollen de noisetier et le saupoudrer soigneusement au sol pour faire un grand carré jaune de quatre mètres de côté, c’est facile. Wolfgang Laib l’a fait et tout le monde peut le refaire. »

« Dessiner une ligne droite dans de la pelouse en la piétinant, c’est facile. Richard Long l’a fait et tout le monde peut le refaire[49]. »

Éric Watier, 2015

La compatibilité renouvelée d’œuvres d’art contemporain avec le régime allographique est manifeste à la lecture du recueil de Watier Plus c’est facile, plus c’est beau : prolégomènes à la plus belle exposition du monde. Bien que ce ne soit pas son propos, plusieurs dimensions écologiques apparaissent au sein de cet ouvrage. Le lecteur est notamment invité à investir les espaces extérieurs, la campagne (Laib, Long), l’espace urbain (Holzer, Kawamata) afin de réaliser les énoncés. L’axe thématique du déchet traverse également le livre avec des œuvres d’Allan Kaprow, Genpei Akasegawa et Tony Cragg. Proposons un projet d’actualisation de ce livre : focalisé sur les dimensions écologiques, celui-ci pourrait s’intituler Plus c’est facile & léger, plus c’est beau : prolégomènes à la plus belle exposition du monde. Sur ce même principe, la nouvelle version fonctionnerait également avec des énoncés de quelques mots, ceux nécessaires à la bonne compréhension de l’œuvre. Par exemple, la plantation Noël en août/Dégustation rouge de Blazy consiste en la récupération et l’utilisation de sapins de Noël morts comme tuteurs pour des pieds de tomates[50]. Selon une diversité d’axes thématiques, nous pourrons constituer un corpus d’énoncés.

Les pratiques « arts & sciences » s’affirmant à l’heure actuelle, les activités contextuelles s’affinant, les arts écologiques s’immisçant, sans doute est-il temps de manier autrement les outils allographiques ? Les œuvres d’art écologique historiques ont été reconnues pour « [leur] position […] localiste et écocentrée », « [leur] activité écosystémique », « [leur] action de réforme au plan local[51] ». Or l’œuvre allographique est conçue pour être adaptée par l’(les) interprète(s), selon les conditions de production. « [Elle] inclut des marges d’interprétation[52] ». Elle engage « un aller-retour entre une hypothèse formulée préalablement […] et des mises en forme successives de cette hypothèse[53] ». En étant incorporée tout en faisant sienne le milieu d’accueil, l’œuvre allographique concourrait à dynamiser les activités locales et à décentraliser la diffusion des œuvres. Ses qualités hétéronomes, son devenir in situ et in socius seraient valorisés. Et la formulation même de l’énoncé évoluerait possiblement in fieri, en un texte en cours de coécriture.

Œuvres allographiques en main, il revient aux interprètes, aux acteurs institutionnels de « jouer avec l’existant », de « [sortir] du consumérisme » – au même titre que les projets conceptuels initiaux -, de se réapproprier des savoir-faire artisanaux ou technologiques, et peut-être « [d’aspirer] à une forme de décroissance[54] ». « En valorisant la pensée plus que le travail de la main, en détachant la valeur de l’œuvre de son temps de façonnage, […] en déléguant la production à un tiers, les conceptuels ont inconsciemment favorisé un système de séparation typique du capitalisme[55] », rappelle Cosson. Au contraire, en situations écologiques, il est légitime de considérer les bénéfices relationnels et physiologiques des processus allographiques pour les interprètes-activateurs.

 

Notes

* Toutes les URL ont été consultées en décembre 2024.

  1.  « Alors que les équipements industriels et socio-économiques polluent l’environnement et que les artistes se sentent obligés d’en rajouter, mieux vaut arrêter de faire de l’art », écrit également Lawrence Weiner en 1969. Voir Weiner L., « Déclaration d’intention », January 5-31, cat. exp., New York, [s. l.], 1969, [n. p.].
  2. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 28-37.
  3. Bourriaud N., Inclusions. Esthétique du capitalocène, Paris, Presses universitaires de France, 2021, p. 73.
  4. Gasparina J., « Le lourd bilan carbone de l’art contemporain », Le Temps, 6-8 janvier 2019 ; Bourgine X., « Le milieu de l’art en quête d’écoresponsabilité », Le Monde, 23 janvier 2019 ; Manca I., « Les expos sont-elles compatibles avec l’écologie ? », L’œil, n° 726, 1er septembre 2019 ; Lévy A., « Le désastreux bilan carbone de… l’art contemporain », Marianne, n° 1186, 5 décembre 2019.
  5. « L’hystérie dans laquelle on a vécu depuis un certain nombre d’années, qui consistait à aller d’une foire à l’autre, de faire des expositions les plus rapprochées possible, faisait qu’il y avait un rythme qui devenait pratiquement insupportable », constate Bertrand Lavier. Voir Laporte A., « Bertrand Lavier : “Le confinement comme source d’inspiration, non merci !” », Imagine la culture demain, France Culture, 26 juin 2020, 3’50’’-4’10’’.
  6. Alice Audouin citée par Jill Gasparina (voir note 4).
  7. Voir infra.
  8. Heinich N., Le paradigme de l’art contemporain. Structure d’une révolution artistique, Paris, Gallimard, 2014, p. 107 : « Voilà en quoi consiste, tendanciellement, le destin de l’art contemporain : une “allographisation” de l’autographique, les œuvres étant de moins en moins réductibles à un objet unique et de plus en plus équivalentes à l’ensemble ouvert de leurs actualisations ».
  9. January 5-31, cat. exp., New York, [s.l.], 1969, [n. p.].
  10. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 32.
  11. Le terme “régime” est employé par Gérard Genette. Voir Genette G., L’œuvre de l’art, Paris, Seuil, 1994-2010, p. 30-31, note 30, p. 115.
  12. Heinich N., Le paradigme de l’art contemporain. Structure d’une révolution artistique, Paris, Gallimard, 2014, p. 105 : « Dispositifs actualisés à chaque nouvelle exposition […] ; installations accompagnées de “scripts” ou “partitions” indiquant la façon dont elles doivent être rejouées : en intégrant dans leur existence non seulement le récit mais aussi la durée et, avec elle, la possibilité de variations dans l’exécution, les différents genres propres à l’art contemporain s’éloignent des arts plastiques pour se rapprocher des arts du spectacle vivant (théâtre, musique), de la littérature ou du cinéma ».
  13. Barbanti R., Ginot I., Salomos M., Sorin C. (éd.), Arts, écologies, transitions. Un abécédaire, Dijon, Les Presses du réel, 2024.
  14. Les arts allographiques sont caractérisés par un système de notation codifié et partagé, des termes et usages en vigueur dits “traits pertinents” : lexique et caractères d’imprimerie d’un texte, notes sur une partition, plans et coupes cotés d’un bâtiment etc. Voir Goodman N., Langages de l’art. Une approche de la théorie des symboles, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2011 (1990).
  15. Dans cet article, je préfère le terme “énoncé” au terme “protocole”, de même que Ghislain Mollet-Viéville et Jean-Baptiste Farkas. Voir Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 719. Ce dernier est souvent employé par les acteurs institutionnels en contexte muséal. Mais le terme “énoncé” désigne plus explicitement la dimension écrite, spécifique et non exclusive des œuvres allographiques. “Énoncé” exprime également, me semble-t-il, une tonalité plus neutre – moins réglementaire vis-à-vis de “protocole” -, témoignant au contraire d’une certaine liberté de création et d’interprétation. En régime allographique, il peut également être question de “mode d’emploi”, de “notation”, de “script”, de “statement” (voir Lawrence Weiner dans l’article de Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., p. 722), d’“event score” (voir George Brecht, Event Scores (c. 1960-61), New York, Museum of Modern Art, en ligne : https://www.moma.org/collection/works/135401) etc.
  16. Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 721.
  17. Piron F., Blazy M., « Lignes de travail et points de mire », Michel Blazy, cat. exp. Albi, Centre départemental d’Art contemporain etc., 2003, p. 7.
  18. Mollet-Viéville G., « L’art conceptuel entre les lignes et au-delà des mots », Hermann G., Reymond F., Vallos F. (dir.), Art conceptuel, une entologie, Paris, Éd. Mix, 2008, p. 464-465.
  19. Des œuvres, conçues pour être réactivées, fonctionnent avec des modes d’emploi dessinés, voire des modes d’emploi photographiques, vidéographiques. Ceux-ci excèdent le régime allographique et relèvent tout autant du régime autographique.
  20. Watier É., L’œuvre d’art à l’époque de sa discrétion technique, thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Leszek Brogowsky, Université de Rennes 2, 2014, 1 vol., p. 319.
  21. Ibid., p. 314.
  22. Weiner L., Statements, New York, The Louis Kellner Foundation, 1968, [n. p.].
  23. Watier É., L’œuvre d’art à l’époque de sa discrétion technique, thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Leszek Brogowsky, Université de Rennes 2, 2014, 1 vol., p. 303 ; p. 100 : dès 1969, L. Weiner « donne certains de ses travaux au domaine public ([ceux-ci] sont accompagnés de la mention ‘Collection Public Freehold’) » (sachant qu’il garde un droit de reproduction de tous ses énoncés) ; p. 304 : pour Weiner, « le livre [est] dans ce contexte un outil social empêchant toute réquisition » ; p. 304, note 27, p. 316 : Weiner s’est défini en tant qu’artiste « socialiste » ou « marxiste », précise Watier.
  24. Nous reprenons ici la terminologie de Farkas.
  25. Farkas J.-B., Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Paris, Éd. Mix, 2010. En 2024 paraît l’ouvrage Manuel, Des modes d’emploi et des passages à l’acte, édition revue et augmentée de l’ouvrage Des modes d’emploi et des passages à l’acte, avec 32 nouveaux énoncés et 21 variantes de ces mêmes énoncés, plus 50 nouvelles variantes des énoncés parus en 2010. Voir Farkas J.-B., Manuel, Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Saint-Étienne, Riot Éd., 2024.
  26. Ibid., p. 125.
  27. L’analyse du cycle de vie d’Ice Watch a été réalisée par l’organisation à but non lucratif Julie’s Bicycle, celle de Far Away par le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux et le studio Chevalvert. Voir en ligne : https://olafureliasson-net.fra1.cdn.digitaloceanspaces.com/static_press/icewatchlondon/Ice_Watch_London_Carbon_Footprint.pdf ; https://stereolux.org/magazine/impacts-environnementaux-dune-oeuvre-dart-numerique-avec-le-studio-chevalvert-etude.
  28. Art of Change 21 : https://artofchange21.com.
  29. Audouin A., Osset P., « Qu’est-ce que l’éco-conception ? », Impact Art News, septembre 2020. La rubrique “Éco-conception” est consultable en ligne depuis mai 2020 au sein d’Impact Art News, média créé par Art of Change 21 en 2018. Voir : https://artofchange21.com/fr/impact-art-news/ ; « Alors que les établissements sont astreints à des normes strictes pour les nouvelles constructions (haute qualité environnementale, performance énergétique etc.), le cadre est nettement plus souple pour les projets temporaires », observe Manca (voir Manca I., « Les expos sont-elles compatibles avec l’écologie ? », L’œil, n° 726, 1er septembre 2019). Cela dit, des initiatives émergentes sont à souligner. Entre 2021 et 2022, à la suite d’une analyse du cycle de vie de la foire Art Paris, l’équipe de production a pu réduire l’empreinte carbone, la production de déchets, la consommation électrique de l’événement.
  30. Art of Change 21, « Quels sont les principaux impacts environnementaux d’une œuvre d’art contemporain ? », Impact Art News, juin 2020, en ligne : https://artofchange21.com/fr/impact-environnementaux-oeuvre-art-contemporain/.
  31. Sans transport, sans assurance, sans frais, invitation à actualiser des œuvres de Robert Barry, Sol LeWitt, Claude Rutault, Lawrence Weiner, Tania Mouraud, janvier 1994. « On voit ici comment l’œuvre existe indépendamment des institutions ou des galeries, où les contraintes de fonctionnement permettent difficilement le mode de relation qu’elle implique… De fait, le propos premier de [Ghislain Mollet-Viéville] […] [est] de dynamiser [les œuvres], ainsi que de faire rentrer ceux qui les prendront en charge dans une relation plus juste – en ce qu’elle dépasse une consommation passive – avec elles », observe Sabrina Grassi. Voir Grassi S., GMV, Is There Any Ghislain Mollet-Viéville ? (Information ou Fiction), Dijon, Les Presses du réel, 2011, [n. p.].
  32. Ibid.
  33. Donald Burgy, Idée-temps-information n° 1 (1969), dans Hermann G., Reymond F., Vallos F. (dir.), Art conceptuel, une entologie, Paris, Éd. Mix, 2008, p. 167.
  34. Knowles A., More, New York, Unpublished Editions, 1976, [n. p.]. Traduction de l’auteur.
  35. D’autant plus si la pomme a été cultivée localement, selon une agriculture biologique.
  36. Lire à ce sujet les travaux de Jean-Baptiste Farkas, Quentin Jouret (voir Jouret Q., L’art de la discrétion (l’infranuance et le petit usage), thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Dominique Clévenot et Isabelle Alzieu, Université de Toulouse 2, 2015, 1 vol.), Sophie Lapalu (voir Lapalu S., Le paradoxe de l’action furtive, thèse de doctorat d’esthétique, sciences et technologies des arts sous la dir. de Jean-Philippe Antoine, Université de Paris 8, 2017, 1 vol.), Ghislain Mollet-Viéville, Éric Watier, etc.
  37. Watier É., L’œuvre d’art à l’époque de sa discrétion technique, thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Leszek Brogowsky, Université de Rennes 2, 2014, 1 vol., p. 312.
  38. Ibid., p. 311.
  39. Renaudie Z., « Conservation du concept, restauration contre l’oubli », Marges, n° 27 : Ce que fait le concept à l’œuvre, 2018, p. 112, également en ligne : https://journals.openedition.org/marges/1559.
  40. Bénichou A., « La transmission des œuvres d’art : du monument à l’art de l’interprétation. Les ruses de Christian Boltanski », Intermédialités, n° 5 : Transmettre, 2005, p. 159, également en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/im/2005-n5-im1814660/1005496ar/.
  41. Boltanski C., Laporte A., Les masterclasses, France Culture, 5 mars 2017, 22’30’’-23’05’’. Pour ce qui est de l’événement Personnes (Monumenta), le chiffre de fréquentation communiqué par le ministère de la Culture témoigne d’une empreinte carbone non négligeable – « 149 717 visiteurs sur 36 jours d’ouverture », Communiqué de presse, Ministère de la Culture, 22 février 2010 -, quand bien même les vêtements utilisés pour cette œuvre étaient récupérés (chez Emmaüs pour la mise en scène au Grand Palais) puis redonnés une fois l’exposition terminée, quand bien même Boltanski opta pour la coupure générale du chauffage tout au long de l’exposition.
  42. Dondero M. G., « La sémiotique visuelle entre principes généraux et spécificités. À partir du Groupe µ », Actes sémiotiques, 2010, § 2 « Autographie et allographie : le rôle du support », en ligne : https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/3084 (actes du colloque international Le Groupe µ : quarante ans de rhétorique, trente-trois ans de sémiotique visuelle (Liège, 11-12 avril 2008) sous la dir. de Dondero M. G., Sonesson G., Badir S.).
  43. Farkas J.-B., Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Paris, Éd. Mix, 2010, p. 125.
  44. Roy L., dans Le bilan carbone de la culture, débat animé par animé par Bernard Hasquenoph, Centre Pompidou, 28 novembre 2018, 41’10’’-41’30’’, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=e5OaA7YHH8Y.
  45. « Dans une grande part de l’art d’avant-garde des années soixante, l’œuvre se donnait moins comme une réalité autonome que comme un programme à effectuer, un modèle à reproduire […], une incitation à créer soi-même […] ou à agir […] », observe Nicolas Bourriaud. Voir Bourriaud N., Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel, 1998, p. 72.
  46. Voir Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 733.
  47. « Ice Watch [a touché] des centaines de milliers de personnes en ligne (via les médias et les publications du studio qui a partagé des informations du GIEC durant l’installation – le compte Instagram du studio compte 500 000 followers) et hors ligne (visites sur place). Cette installation […] a optimisé chaque étape et a réparti ses impacts sur un grand nombre de visiteurs locaux », explique Alice Audouin. Voir Audouin A., Osset P., « Qu’est-ce que l’éco-conception ? », Impact Art News, septembre 2020, en ligne : https://artofchange21.com/fr/quest-que-leco-conception/. Or, d’après la note de synthèse du studio, l’empreinte carbone de l’installation, à réception de l’œuvre, n’a pas été calculée. Quid du coût du déplacement du public, des relais médiatiques, des consultations en ligne, etc. ?
  48. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 34.
  49. Plus c’est facile, plus c’est beau : prolégomènes à la plus belle exposition du monde, cat. exp., Montpellier, FRAC Languedoc-Roussillon, 2017, [n. p.].
  50. Blazy M., Noël en août/Dégustation rouge (Parco Arte Vivente, Turin, 2009), Michel Blazy, cat. exp., Paris, Le Plateau, Manuella Éd., 2015, p. 214 ; voici la description du projet p. 213 : « Plants de tomates récoltées en août sur sapins de Noël morts » ; en 2022 à Montpeyroux, Noël en septembre a été activée à la suite de son acquisition par le centre national des Arts plastiques en 2021 parmi 14 autres « œuvres temporaires et réactivables pour l’espace public ». Cette variante est réalisée avec des graines de haricots rouges d’Espagne (voir en ligne : https://www.cnap.fr/inauguration-de-noel-en-septembre-par-michel-blazy-montpeyroux).
  51. Ramade B., Infortunes de l’art écologique américain depuis les années 1960 : proposition d’une réhabilitation critique, thèse de doctorat en esthétique sous la dir. de Jacinto Lageira, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2013, 1 vol., p. 260, 176, 259.
  52. Blazy M., « Lignes de travail et points de mire », Michel Blazy, cat. exp., Albi, Centre départemental d’Art contemporain etc., 2003, p. 7.
  53. Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” ? », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 721.
  54. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 35.
  55. Ibid., p. 33.
Pour citer cet article : Benjamin Arnault, "Notes sur les apports écologiques d’œuvres allographiques", exPosition, 15 décembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/arnault-notes-apports-ecologiques-oeuvres-allographiques/%20. Consulté le 22 décembre 2024.