Notes sur les apports écologiques d’œuvres allographiques

par Benjamin Arnault

 

Benjamin Arnault est artiste. Depuis plusieurs années, il mène une lecture critique de motifs écologiques contemporains. Privilégiant le format de la publication et la communication lors de colloques, ses travaux ont notamment été présentés à l’occasion de l’exposition Jardins au Grand Palais (2017), dans la revue Alauda du Muséum National d’Histoire Naturelle (2017). En 2021, il participe à l’exposition collective Les Écotones, Le musée des petits oiseaux au centre d’art Rurart. En 2023, il réalise une exposition personnelle au lycée où il fut lycéen (Lycée Camille Claudel, Blain, Loire-Atlantique), exposition intitulée Étude de ma relation au document naturaliste & à la chaleur.

 

« Le monde est plein d’objets, plus ou moins intéressants ; je n’ai pas envie d’en ajouter davantage. Je préfère simplement établir l’existence des choses en leur lieu et place », écrit Douglas Huebler en 1969[1]. Cette observation citée fréquemment dans les ouvrages actuels fait écho au projet de Charlotte Cosson : « Déterrer l’art conceptuel[2] ». La formule de Huebler agit tel un refrain en faveur d’une éthique de production. Selon Nicolas Bourriaud, les acteurs s’en sont emparés. « Désencombrer le monde, utiliser ce qui existe déjà, réhabiliter le déchet, recycler les rebuts, ce sont là des figures banales de l’économie de l’art contemporain, volontiers circulaire[3] », écrit-il en 2021. Son constat semble pourtant loin d’être partagé. En 2019, dans une série d’articles de presse, nombre de manquements sont pointés : course aux expositions, fret internationalisé d’objets d’art, mauvaise qualité et gaspillage des matériaux utilisés pour la scénographie, bâtiments mal isolés, budgets souvent limités, mise à l’écart des projets artistiques locaux[4]… Certains acteurs dénoncent une « hystérie[5] » d’activités. « Le secteur de l’art n’est plus dans un rôle de préfiguration du monde de demain, d’anticipation, ni d’accompagnement[6] », selon Alice Audouin, fondatrice de l’association Art of Change 21[7].

Dans un souci de valorisation des savoir-faire existants, je souhaite interroger quelles sont les dynamiques internes portées par les acteurs de l’art contemporain qui peuvent s’accorder aux nécessités écologiques. Je pense à cette tendance constatée par Nathalie Heinich, « l’allographisation[8] » des œuvres d’art contemporain. Plus particulièrement, je pense aux œuvres allographiques en elles-mêmes. L’œuvre allographique est une œuvre transmise, diffusée avec un énoncé écrit par l’artiste, afin d’être matérialisée ultérieurement par une tierce personne. Il s’agit d’une œuvre réactivable, expérimentée préalablement par l’artiste. Les énoncés des artistes conceptuels dont ceux parus dans le catalogue de Seth Siegelaub January 5-31[9] tenaient sur une feuille de papier. Sous forme d’imprimés, ils « remplaçaient » les objets. Néanmoins, au fur et à mesure de leurs diffusions, la plupart seraient devenus des « statements [écrits] sur un mur », « [rencontrant] le plus classique des arts : la peinture[10] ». Avec les prérogatives écologiques, comment les artistes s’emparent et critiquent l’héritage de l’art conceptuel ? Dans quelle mesure est-ce possible de manier autrement les outils allographiques ?

Plusieurs pratiques écologiques dont la performance, le jardinage, le livre d’artiste s’accordent a priori bien avec le « régime allographique[11] ». Heinich a pointé les accointances des pratiques artistiques contemporaines avec le régime allographique et avec le spectacle vivant[12]. Son observation se vérifie dans le choix des entrées de l’abécédaire Arts, écologies, transitions (Université de Paris 8, 2024) : « Architecture (esthétique de la transition écologique en) », « danses contemporaines », « jardin », « littérature(s) », « musique », « performance », « théâtre », telles sont quelques-unes des entrées[13]. Pour rappel, selon l’acception de Nelson Goodman, ces disciplines artistiques relèvent du régime allographique ; plusieurs d’entre elles fonctionnent avec des systèmes codifiés dont le plan, la coupe et la partition[14].

Au regard des attendus écologiques, quels sont les apports de l’énoncé[15] ? À quelles conditions peut-on parler de sauts qualitatifs avec cette catégorie d’œuvres ? À quelles échelles de production ? Les œuvres appartenant au régime allographique permettent-elles de relire voire d’enrichir les définitions des arts écologiques ?

L’énergie allographique

« Pour George Brecht, […] l’énoncé d’art permet de concentrer un maximum de vitalité dans un minimum de matière[16] ». De même, des artistes contemporains utilisent cette capacité de l’énoncé à encapsuler de l’énergie. À cette question de François Piron – « Tu vends […] des formules, des modes d’emploi, comme les artistes conceptuels ? » -, Michel Blazy lui répond par la métaphore : « Une graine peut rester un temps infini en état de dormance ; une graine de nénuphar peut rester dans cet état pendant mille ans par exemple, et j’aime cette forme d’existence minimum. Dans une bibliothèque, ma pièce tient sur une feuille mais elle peut aussi prendre un espace de 500 mètres carrés[17] », explique le sculpteur. L’énoncé, l’œuvre allographique témoignent « [de] modes de production et de diffusion destinés à des œuvres interprétables en cascade » où « tout devient fluctuant[18] ». Les énoncés sont principalement constitués de langage[19], et « le langage reste, du strict point de vue pratique, la seule matérialisation qui permette toutes les autres matérialisations[20] ». « La forme [des énoncés est] toujours commune et toujours accessible par l’utilisation du langage[21] », ce qui favorise leur appropriation et leur interprétation.

Fin 1968, Lawrence Weiner réunit tous ses statements en un seul et même livre[22], « le livre [étant l’]un des outils lui permettant de maintenir l’intégralité de son travail dans la société[23]. » En 2010, Jean-Baptiste Farkas réunit ses « services[24] » dans son ouvrage Des modes d’emploi et des passages à l’acte[25] (155 pages). Dans ce livre, les 60 services « en version longue » tiennent sur 117 pages, les 60 services « en version courte » tiennent sur 20 pages. Avec le service n° 45 intitulé Scripts : un avenir allographique !, Farkas propose de « convertir chaque œuvre d’art d’une collection en une description écrite grâce à laquelle il sera possible de la refaire sans qu’il soit nécessaire de l’avoir eue un jour sous les yeux. La collection originale devra être détruite à l’issue de quelques re-matérialisations réussies[26]. » Peu regardant quant à la préservation de la diversité des savoir-faire, cet énoncé a le mérite de nous interroger sur la légitimité des œuvres devenues objets d’art.

Quid de l’analyse du cycle de vie d’une œuvre allographique ?

Ces dernières années, quelques analyses du cycle de vie au sujet d’œuvres ont été diffusées auprès du grand public, dont celle d’Ice Watch (Ólafur Elíasson, environ 40 tonnes de CO2 généré) et celle de l’œuvre d’art numérique Far Away (studio Chevalvert, environ 3 tonnes), toutes deux consultables sur internet[27]. Procéder à l’analyse du cycle de vie d’une œuvre d’art n’est pas à la portée de tout un chacun. Cette opération nécessite l’appui d’un cabinet spécialisé ; elle ne peut être réalisée par des artistes opérant seuls (à moins de se former en tant qu’ingénieur), mais par des équipes disposant de moyens suffisants, ce qui n’est pas le cas de la majeure partie des artistes contemporains. L’association Art of Change 21, « organisation internationale en faveur de l’environnement et du développement durable » a été fondée en 2014 pour « [accompagner] la transformation écologique du secteur artistique », et notamment pour « accompagner les artistes contemporains dans la réduction de leur impact environnemental[28] ». En collaboration avec Solinnen, société experte en analyse du cycle de vie et en éco-conception, une partie des activités d’Art of Change 21 est consacrée aux enjeux de l’éco-conception. Le Prix Art Éco-Conception dont la première édition a eu lieu en 2023 permet aux acteurs du secteur de se focaliser sur cet objectif – secteur de l’art contemporain où il n’y a pour l’heure « pas d’exigences réglementaires[29] ».

Dans ce contexte, la possibilité de l’œuvre allographique paraît bienvenue. Tandis qu’« une œuvre souvent exposée et transportée en camion ou avion, va engendrer du fait de son transport de l’effet de serre[30] », l’œuvre allographique permet a priori l’économie substantielle des coûts de transport et d’assurance. Un simple mail avec les instructions adressé à l’équipe, quelques échanges téléphoniques si nécessaire suffisent. En 1994, Mollet-Viéville l’expérimente avec sa proposition d’exposition Sans transport, sans assurance, sans frais, ensemble d’œuvres qu’il prête gracieusement[31]. Néanmoins, « au sein de nombreux cycles de vie de produits de consommation courante, [le transport] ne représente généralement que 10% de l’impact, nous précisent Philippe Osset, fondateur de Solinnen et Alice Audouin. Ce n’est donc que si l’on fait voyager souvent une œuvre, et loin, que son impact va significativement augmenter[32] ». Les autres volets de l’étude d’impact s’avèrent indispensables pour parvenir à un diagnostic fiable. Quid des moyens nécessaires à la fabrication de tel matériau, de l’écotoxicité ou non du matériau, etc. ?

Idée-temps-information n° 1 : « Après avoir mangé un fruit, gardez les pépins et plantez-les. Quand les pépins ont donné des fruits, cueillez-en un et mangez-le. Notez avec précision la durée entre les deux fois où vous les avez mangés[33]. »

Donald Burgy, 1969

Tournement d’une ligne (éplucher une pomme) : « Ce défi consiste à enlever la pelure en un seul morceau à l’aide d’un couteau. Un couteau très aiguisé est indispensable[34]. »

Alison Knowles, 1976

Ces deux énoncés historicisés, fruités, incitent à faire un régime allographique ! Surtout, ils sont la démonstration de la possible adéquation entre œuvre allographique et empreinte neutre (zéro carbone)[35]. Ne disposant pas des moyens, des outils pour le calcul requis, les artistes et les interprètes peuvent toutefois faire preuve de bon sens et opter pour l’activation des énoncés adéquats, ceux usant de matériaux biosourcés. Compte-tenu du coût inabordable pour beaucoup d’une analyse du cycle de vie, le maniement du procédé allographique est une solution possible pour la poursuite des projets artistiques. Dans le sillage de l’art conceptuel, un certain courant d’acteurs officie avec les formats allographiques, discrets, légers, furtifs, formats dont les créateurs peuvent s’inspirer[36].

Cependant, la légèreté de l’œuvre allographique est plus ou moins opérante. Par exemple, Éric Watier identifie « [la] logique d’instabilité de présentation[37] » chère à Weiner. Lors des expositions de statements, il y a une multiplication « [des] couleurs, [des] typographies ou [des] mises en scènes », soit « la volonté […] d’accumuler les formalisations de ses énoncés afin de prouver la faible importance formelle de ces mêmes formalisations[38] ». Et « le prêt d’un Weiner se fait seulement par la transmission du mot à produire […]. À la fin de l’exposition, il est nécessaire de s’assurer de la destruction physique de ces “traces”, afin qu’elles ne soient pas conservées. Le risque serait de leur conférer le statut de bien culturel[39] », témoigne la conservatrice-restauratrice Zoë Renaudie. Les principes de monstration de Weiner dénotent quelque peu avec la soi-disant légèreté de l’œuvre allographique. « [Le] double régime de pérennisation (la conservation d’un certain nombre de manifestations et les réitérations multiples) est courant dans les pratiques artistiques de tradition allographique[40] », constate l’historienne Anne Bénichou.

Une œuvre allographique peut également être monumentale et donc coûteuse. Des artistes parmi les plus fréquemment exposés défendent désormais un art de la partition. « Aujourd’hui je ne produis plus d’objets, explique Christian Boltanski. 90 % des choses que je fais sont détruites après l’endroit où je les ai montrées. Un peu comme des partitions musicales, on peut les refaire et les rejouer. La pièce [Personnes] a été jouée à Milan, à New York et au Japon. Naturellement, il n’y avait aucun transport, elle était refaite à chaque fois et différente à chaque fois. C’est en même temps la même œuvre et une autre œuvre. […] Tant que je suis vivant, je joue mon œuvre, mais un jour il faudra que d’autres gens jouent mon œuvre. On pourra dire “œuvre de Mr Boltanski interprétée par Mr Untel[41] ” ».

Un régime illimité !

La feuille de papier, le livre sont a priori les supports privilégiés de l’œuvre allographique, mais ils ne sont potentiellement pas les seuls.

« Le support en tant que tel est indifférent […], c’est-à-dire que l’information qu’il contient est transférable sur un autre support sans que l’information et la signification en soient affectées (si, bien évidemment son identité d’épellation est conservée intacte[42]). »

« [Le script] peut être indéfiniment redéployé ».

« [Le script] confère à l’œuvre le pouvoir d’habiter successivement (ou simultanément) plusieurs corps[43] ».

La diversification des supports, rendue possible par le régime allographique, laisse imaginer une reconduction ininterrompue des énoncés, les renaissances de l’œuvre. L’activation allographique à partir de l’énoncé-source induit également une animation des matériaux quelque peu analogue au recyclage. Cette contemporanéité interpelle : les recycleurs font revivre des matériaux et les interprètes font revivre une partition… « [Les matières premières] ont déjà eu une première vie, elles ont déjà eu une histoire […], explique Louisane Roy. Les artistes vont pouvoir sublimer cette matière première, lui donner une deuxième, une troisième, une quatrième vie, etc[44]. » Les deux activités – mise en œuvre allographique, recyclage – peuvent se rencontrer et être mutualisées à l’occasion de créations. L’extension de la durée de vie des matériaux propre au recyclage est l’occasion d’actualiser les conditions de production de l’œuvre allographique, voire de codifier l’emploi de matériaux recyclables, biodégradables, locaux, etc., et de rendre à la terre l’œuvre activée une fois l’exposition terminée. Tandis que les centres d’art font face à des difficultés de stockage d’œuvres, il devient envisageable d’engager une circularité des matériaux, recyclés au fil des activations puis destinés à d’autres usages. L’œuvre allographique demeure peu encombrante pour le centre d’art : notices de montage, fichiers numériques et précisions de l’artiste imprimés et rassemblés dans un unique classeur…

Les pratiques allographiques s’inscrivent dans une tradition depuis « l’art d’avant-garde des années soixante[45] ». Elles seraient devenues « un genre de l’art contemporain[46] ». Celles-ci incarnent la liberté pour l’auteur de l’énoncé puis les interprètes d’opérer hors-les-murs, dimension chère aux arts écologiques. Cette invitation au mouvement se déploie à plusieurs échelles, spatiales, temporelles et collectives. Les amateurs d’art peuvent s’emparer à leur tour des énoncés et participer activement à leur diffusion. L’argument de la prise de conscience des urgences écologiques par un maximum de personnes dans le cas d’Ice Watch – argument utilisé par Audouin pour défendre les choix de production d’Elíasson[47] – paraît difficilement recevable. En revanche, le mode de diffusion d’une œuvre allographique, réinterprétée, refabriquée, démultipliée, procure chez les personnes investies un contact direct avec l’œuvre.

« L’art conceptuel cristallise dans ses œuvres cette époque où le capitalisme devient libéralisme : société de services, valorisation du travail intellectuel sur les savoir-faire, sous-traitement à un tiers, délocalisation[48] », observe Cosson. Puissent les valeurs de coopération, d’entraide, de présence, de frugalité (?) suppléer les valeurs rattachées à l’art conceptuel.

Terrains allographiques et écologiques

« Récolter du pollen de noisetier et le saupoudrer soigneusement au sol pour faire un grand carré jaune de quatre mètres de côté, c’est facile. Wolfgang Laib l’a fait et tout le monde peut le refaire. »

« Dessiner une ligne droite dans de la pelouse en la piétinant, c’est facile. Richard Long l’a fait et tout le monde peut le refaire[49]. »

Éric Watier, 2015

La compatibilité renouvelée d’œuvres d’art contemporain avec le régime allographique est manifeste à la lecture du recueil de Watier Plus c’est facile, plus c’est beau : prolégomènes à la plus belle exposition du monde. Bien que ce ne soit pas son propos, plusieurs dimensions écologiques apparaissent au sein de cet ouvrage. Le lecteur est notamment invité à investir les espaces extérieurs, la campagne (Laib, Long), l’espace urbain (Holzer, Kawamata) afin de réaliser les énoncés. L’axe thématique du déchet traverse également le livre avec des œuvres d’Allan Kaprow, Genpei Akasegawa et Tony Cragg. Proposons un projet d’actualisation de ce livre : focalisé sur les dimensions écologiques, celui-ci pourrait s’intituler Plus c’est facile & léger, plus c’est beau : prolégomènes à la plus belle exposition du monde. Sur ce même principe, la nouvelle version fonctionnerait également avec des énoncés de quelques mots, ceux nécessaires à la bonne compréhension de l’œuvre. Par exemple, la plantation Noël en août/Dégustation rouge de Blazy consiste en la récupération et l’utilisation de sapins de Noël morts comme tuteurs pour des pieds de tomates[50]. Selon une diversité d’axes thématiques, nous pourrons constituer un corpus d’énoncés.

Les pratiques « arts & sciences » s’affirmant à l’heure actuelle, les activités contextuelles s’affinant, les arts écologiques s’immisçant, sans doute est-il temps de manier autrement les outils allographiques ? Les œuvres d’art écologique historiques ont été reconnues pour « [leur] position […] localiste et écocentrée », « [leur] activité écosystémique », « [leur] action de réforme au plan local[51] ». Or l’œuvre allographique est conçue pour être adaptée par l’(les) interprète(s), selon les conditions de production. « [Elle] inclut des marges d’interprétation[52] ». Elle engage « un aller-retour entre une hypothèse formulée préalablement […] et des mises en forme successives de cette hypothèse[53] ». En étant incorporée tout en faisant sienne le milieu d’accueil, l’œuvre allographique concourrait à dynamiser les activités locales et à décentraliser la diffusion des œuvres. Ses qualités hétéronomes, son devenir in situ et in socius seraient valorisés. Et la formulation même de l’énoncé évoluerait possiblement in fieri, en un texte en cours de coécriture.

Œuvres allographiques en main, il revient aux interprètes, aux acteurs institutionnels de « jouer avec l’existant », de « [sortir] du consumérisme » – au même titre que les projets conceptuels initiaux -, de se réapproprier des savoir-faire artisanaux ou technologiques, et peut-être « [d’aspirer] à une forme de décroissance[54] ». « En valorisant la pensée plus que le travail de la main, en détachant la valeur de l’œuvre de son temps de façonnage, […] en déléguant la production à un tiers, les conceptuels ont inconsciemment favorisé un système de séparation typique du capitalisme[55] », rappelle Cosson. Au contraire, en situations écologiques, il est légitime de considérer les bénéfices relationnels et physiologiques des processus allographiques pour les interprètes-activateurs.

 

Notes

* Toutes les URL ont été consultées en décembre 2024.

  1.  « Alors que les équipements industriels et socio-économiques polluent l’environnement et que les artistes se sentent obligés d’en rajouter, mieux vaut arrêter de faire de l’art », écrit également Lawrence Weiner en 1969. Voir Weiner L., « Déclaration d’intention », January 5-31, cat. exp., New York, [s. l.], 1969, [n. p.].
  2. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 28-37.
  3. Bourriaud N., Inclusions. Esthétique du capitalocène, Paris, Presses universitaires de France, 2021, p. 73.
  4. Gasparina J., « Le lourd bilan carbone de l’art contemporain », Le Temps, 6-8 janvier 2019 ; Bourgine X., « Le milieu de l’art en quête d’écoresponsabilité », Le Monde, 23 janvier 2019 ; Manca I., « Les expos sont-elles compatibles avec l’écologie ? », L’œil, n° 726, 1er septembre 2019 ; Lévy A., « Le désastreux bilan carbone de… l’art contemporain », Marianne, n° 1186, 5 décembre 2019.
  5. « L’hystérie dans laquelle on a vécu depuis un certain nombre d’années, qui consistait à aller d’une foire à l’autre, de faire des expositions les plus rapprochées possible, faisait qu’il y avait un rythme qui devenait pratiquement insupportable », constate Bertrand Lavier. Voir Laporte A., « Bertrand Lavier : “Le confinement comme source d’inspiration, non merci !” », Imagine la culture demain, France Culture, 26 juin 2020, 3’50’’-4’10’’.
  6. Alice Audouin citée par Jill Gasparina (voir note 4).
  7. Voir infra.
  8. Heinich N., Le paradigme de l’art contemporain. Structure d’une révolution artistique, Paris, Gallimard, 2014, p. 107 : « Voilà en quoi consiste, tendanciellement, le destin de l’art contemporain : une “allographisation” de l’autographique, les œuvres étant de moins en moins réductibles à un objet unique et de plus en plus équivalentes à l’ensemble ouvert de leurs actualisations ».
  9. January 5-31, cat. exp., New York, [s.l.], 1969, [n. p.].
  10. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 32.
  11. Le terme “régime” est employé par Gérard Genette. Voir Genette G., L’œuvre de l’art, Paris, Seuil, 1994-2010, p. 30-31, note 30, p. 115.
  12. Heinich N., Le paradigme de l’art contemporain. Structure d’une révolution artistique, Paris, Gallimard, 2014, p. 105 : « Dispositifs actualisés à chaque nouvelle exposition […] ; installations accompagnées de “scripts” ou “partitions” indiquant la façon dont elles doivent être rejouées : en intégrant dans leur existence non seulement le récit mais aussi la durée et, avec elle, la possibilité de variations dans l’exécution, les différents genres propres à l’art contemporain s’éloignent des arts plastiques pour se rapprocher des arts du spectacle vivant (théâtre, musique), de la littérature ou du cinéma ».
  13. Barbanti R., Ginot I., Salomos M., Sorin C. (éd.), Arts, écologies, transitions. Un abécédaire, Dijon, Les Presses du réel, 2024.
  14. Les arts allographiques sont caractérisés par un système de notation codifié et partagé, des termes et usages en vigueur dits “traits pertinents” : lexique et caractères d’imprimerie d’un texte, notes sur une partition, plans et coupes cotés d’un bâtiment etc. Voir Goodman N., Langages de l’art. Une approche de la théorie des symboles, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2011 (1990).
  15. Dans cet article, je préfère le terme “énoncé” au terme “protocole”, de même que Ghislain Mollet-Viéville et Jean-Baptiste Farkas. Voir Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 719. Ce dernier est souvent employé par les acteurs institutionnels en contexte muséal. Mais le terme “énoncé” désigne plus explicitement la dimension écrite, spécifique et non exclusive des œuvres allographiques. “Énoncé” exprime également, me semble-t-il, une tonalité plus neutre – moins réglementaire vis-à-vis de “protocole” -, témoignant au contraire d’une certaine liberté de création et d’interprétation. En régime allographique, il peut également être question de “mode d’emploi”, de “notation”, de “script”, de “statement” (voir Lawrence Weiner dans l’article de Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., p. 722), d’“event score” (voir George Brecht, Event Scores (c. 1960-61), New York, Museum of Modern Art, en ligne : https://www.moma.org/collection/works/135401) etc.
  16. Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 721.
  17. Piron F., Blazy M., « Lignes de travail et points de mire », Michel Blazy, cat. exp. Albi, Centre départemental d’Art contemporain etc., 2003, p. 7.
  18. Mollet-Viéville G., « L’art conceptuel entre les lignes et au-delà des mots », Hermann G., Reymond F., Vallos F. (dir.), Art conceptuel, une entologie, Paris, Éd. Mix, 2008, p. 464-465.
  19. Des œuvres, conçues pour être réactivées, fonctionnent avec des modes d’emploi dessinés, voire des modes d’emploi photographiques, vidéographiques. Ceux-ci excèdent le régime allographique et relèvent tout autant du régime autographique.
  20. Watier É., L’œuvre d’art à l’époque de sa discrétion technique, thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Leszek Brogowsky, Université de Rennes 2, 2014, 1 vol., p. 319.
  21. Ibid., p. 314.
  22. Weiner L., Statements, New York, The Louis Kellner Foundation, 1968, [n. p.].
  23. Watier É., L’œuvre d’art à l’époque de sa discrétion technique, thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Leszek Brogowsky, Université de Rennes 2, 2014, 1 vol., p. 303 ; p. 100 : dès 1969, L. Weiner « donne certains de ses travaux au domaine public ([ceux-ci] sont accompagnés de la mention ‘Collection Public Freehold’) » (sachant qu’il garde un droit de reproduction de tous ses énoncés) ; p. 304 : pour Weiner, « le livre [est] dans ce contexte un outil social empêchant toute réquisition » ; p. 304, note 27, p. 316 : Weiner s’est défini en tant qu’artiste « socialiste » ou « marxiste », précise Watier.
  24. Nous reprenons ici la terminologie de Farkas.
  25. Farkas J.-B., Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Paris, Éd. Mix, 2010. En 2024 paraît l’ouvrage Manuel, Des modes d’emploi et des passages à l’acte, édition revue et augmentée de l’ouvrage Des modes d’emploi et des passages à l’acte, avec 32 nouveaux énoncés et 21 variantes de ces mêmes énoncés, plus 50 nouvelles variantes des énoncés parus en 2010. Voir Farkas J.-B., Manuel, Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Saint-Étienne, Riot Éd., 2024.
  26. Ibid., p. 125.
  27. L’analyse du cycle de vie d’Ice Watch a été réalisée par l’organisation à but non lucratif Julie’s Bicycle, celle de Far Away par le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux et le studio Chevalvert. Voir en ligne : https://olafureliasson-net.fra1.cdn.digitaloceanspaces.com/static_press/icewatchlondon/Ice_Watch_London_Carbon_Footprint.pdf ; https://stereolux.org/magazine/impacts-environnementaux-dune-oeuvre-dart-numerique-avec-le-studio-chevalvert-etude.
  28. Art of Change 21 : https://artofchange21.com.
  29. Audouin A., Osset P., « Qu’est-ce que l’éco-conception ? », Impact Art News, septembre 2020. La rubrique “Éco-conception” est consultable en ligne depuis mai 2020 au sein d’Impact Art News, média créé par Art of Change 21 en 2018. Voir : https://artofchange21.com/fr/impact-art-news/ ; « Alors que les établissements sont astreints à des normes strictes pour les nouvelles constructions (haute qualité environnementale, performance énergétique etc.), le cadre est nettement plus souple pour les projets temporaires », observe Manca (voir Manca I., « Les expos sont-elles compatibles avec l’écologie ? », L’œil, n° 726, 1er septembre 2019). Cela dit, des initiatives émergentes sont à souligner. Entre 2021 et 2022, à la suite d’une analyse du cycle de vie de la foire Art Paris, l’équipe de production a pu réduire l’empreinte carbone, la production de déchets, la consommation électrique de l’événement.
  30. Art of Change 21, « Quels sont les principaux impacts environnementaux d’une œuvre d’art contemporain ? », Impact Art News, juin 2020, en ligne : https://artofchange21.com/fr/impact-environnementaux-oeuvre-art-contemporain/.
  31. Sans transport, sans assurance, sans frais, invitation à actualiser des œuvres de Robert Barry, Sol LeWitt, Claude Rutault, Lawrence Weiner, Tania Mouraud, janvier 1994. « On voit ici comment l’œuvre existe indépendamment des institutions ou des galeries, où les contraintes de fonctionnement permettent difficilement le mode de relation qu’elle implique… De fait, le propos premier de [Ghislain Mollet-Viéville] […] [est] de dynamiser [les œuvres], ainsi que de faire rentrer ceux qui les prendront en charge dans une relation plus juste – en ce qu’elle dépasse une consommation passive – avec elles », observe Sabrina Grassi. Voir Grassi S., GMV, Is There Any Ghislain Mollet-Viéville ? (Information ou Fiction), Dijon, Les Presses du réel, 2011, [n. p.].
  32. Ibid.
  33. Donald Burgy, Idée-temps-information n° 1 (1969), dans Hermann G., Reymond F., Vallos F. (dir.), Art conceptuel, une entologie, Paris, Éd. Mix, 2008, p. 167.
  34. Knowles A., More, New York, Unpublished Editions, 1976, [n. p.]. Traduction de l’auteur.
  35. D’autant plus si la pomme a été cultivée localement, selon une agriculture biologique.
  36. Lire à ce sujet les travaux de Jean-Baptiste Farkas, Quentin Jouret (voir Jouret Q., L’art de la discrétion (l’infranuance et le petit usage), thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Dominique Clévenot et Isabelle Alzieu, Université de Toulouse 2, 2015, 1 vol.), Sophie Lapalu (voir Lapalu S., Le paradoxe de l’action furtive, thèse de doctorat d’esthétique, sciences et technologies des arts sous la dir. de Jean-Philippe Antoine, Université de Paris 8, 2017, 1 vol.), Ghislain Mollet-Viéville, Éric Watier, etc.
  37. Watier É., L’œuvre d’art à l’époque de sa discrétion technique, thèse de doctorat d’arts plastiques sous la dir. de Leszek Brogowsky, Université de Rennes 2, 2014, 1 vol., p. 312.
  38. Ibid., p. 311.
  39. Renaudie Z., « Conservation du concept, restauration contre l’oubli », Marges, n° 27 : Ce que fait le concept à l’œuvre, 2018, p. 112, également en ligne : https://journals.openedition.org/marges/1559.
  40. Bénichou A., « La transmission des œuvres d’art : du monument à l’art de l’interprétation. Les ruses de Christian Boltanski », Intermédialités, n° 5 : Transmettre, 2005, p. 159, également en ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/im/2005-n5-im1814660/1005496ar/.
  41. Boltanski C., Laporte A., Les masterclasses, France Culture, 5 mars 2017, 22’30’’-23’05’’. Pour ce qui est de l’événement Personnes (Monumenta), le chiffre de fréquentation communiqué par le ministère de la Culture témoigne d’une empreinte carbone non négligeable – « 149 717 visiteurs sur 36 jours d’ouverture », Communiqué de presse, Ministère de la Culture, 22 février 2010 -, quand bien même les vêtements utilisés pour cette œuvre étaient récupérés (chez Emmaüs pour la mise en scène au Grand Palais) puis redonnés une fois l’exposition terminée, quand bien même Boltanski opta pour la coupure générale du chauffage tout au long de l’exposition.
  42. Dondero M. G., « La sémiotique visuelle entre principes généraux et spécificités. À partir du Groupe µ », Actes sémiotiques, 2010, § 2 « Autographie et allographie : le rôle du support », en ligne : https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/3084 (actes du colloque international Le Groupe µ : quarante ans de rhétorique, trente-trois ans de sémiotique visuelle (Liège, 11-12 avril 2008) sous la dir. de Dondero M. G., Sonesson G., Badir S.).
  43. Farkas J.-B., Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Paris, Éd. Mix, 2010, p. 125.
  44. Roy L., dans Le bilan carbone de la culture, débat animé par animé par Bernard Hasquenoph, Centre Pompidou, 28 novembre 2018, 41’10’’-41’30’’, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=e5OaA7YHH8Y.
  45. « Dans une grande part de l’art d’avant-garde des années soixante, l’œuvre se donnait moins comme une réalité autonome que comme un programme à effectuer, un modèle à reproduire […], une incitation à créer soi-même […] ou à agir […] », observe Nicolas Bourriaud. Voir Bourriaud N., Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel, 1998, p. 72.
  46. Voir Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 733.
  47. « Ice Watch [a touché] des centaines de milliers de personnes en ligne (via les médias et les publications du studio qui a partagé des informations du GIEC durant l’installation – le compte Instagram du studio compte 500 000 followers) et hors ligne (visites sur place). Cette installation […] a optimisé chaque étape et a réparti ses impacts sur un grand nombre de visiteurs locaux », explique Alice Audouin. Voir Audouin A., Osset P., « Qu’est-ce que l’éco-conception ? », Impact Art News, septembre 2020, en ligne : https://artofchange21.com/fr/quest-que-leco-conception/. Or, d’après la note de synthèse du studio, l’empreinte carbone de l’installation, à réception de l’œuvre, n’a pas été calculée. Quid du coût du déplacement du public, des relais médiatiques, des consultations en ligne, etc. ?
  48. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 34.
  49. Plus c’est facile, plus c’est beau : prolégomènes à la plus belle exposition du monde, cat. exp., Montpellier, FRAC Languedoc-Roussillon, 2017, [n. p.].
  50. Blazy M., Noël en août/Dégustation rouge (Parco Arte Vivente, Turin, 2009), Michel Blazy, cat. exp., Paris, Le Plateau, Manuella Éd., 2015, p. 214 ; voici la description du projet p. 213 : « Plants de tomates récoltées en août sur sapins de Noël morts » ; en 2022 à Montpeyroux, Noël en septembre a été activée à la suite de son acquisition par le centre national des Arts plastiques en 2021 parmi 14 autres « œuvres temporaires et réactivables pour l’espace public ». Cette variante est réalisée avec des graines de haricots rouges d’Espagne (voir en ligne : https://www.cnap.fr/inauguration-de-noel-en-septembre-par-michel-blazy-montpeyroux).
  51. Ramade B., Infortunes de l’art écologique américain depuis les années 1960 : proposition d’une réhabilitation critique, thèse de doctorat en esthétique sous la dir. de Jacinto Lageira, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2013, 1 vol., p. 260, 176, 259.
  52. Blazy M., « Lignes de travail et points de mire », Michel Blazy, cat. exp., Albi, Centre départemental d’Art contemporain etc., 2003, p. 7.
  53. Farkas J.-B., Mollet-Viéville G., « À propos des “énoncés d’art” ? », Critique, n° 759-760 : À quoi pense l’art contemporain ?, août-septembre 2010, p. 721.
  54. Cosson C., Férale. Réensauvager l’art pour mieux cultiver la terre, Arles, Actes Sud, 2023, p. 35.
  55. Ibid., p. 33.
Pour citer cet article : Benjamin Arnault, "Notes sur les apports écologiques d’œuvres allographiques", exPosition, 15 décembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/arnault-notes-apports-ecologiques-oeuvres-allographiques/%20. Consulté le 22 décembre 2024.

Introduction

par Pierre-Vincent Fortunier et Sophie Montel

 

Pierre-Vincent Fortunier est muséographe et scénographe au sein de l’agence stéphanoise Le Muséophone. Il conçoit des expositions sur des thématiques historiques et sociétales. Il s’intéresse plus particulièrement aux nouvelles formes de médiation et d’écritures muséographiques. Il réalise des missions de conception, conseil et maîtrise d’œuvre dans le cadre de création ou modernisation de musées. Il conçoit également des scénographies, comme récemment celle de l’exposition EPIDEMIES au Musée des Confluences, à Lyon.

Sophie Montel est maîtresse de conférences à l’université de Franche-Comté, où elle enseigne l’art et l’archéologie du monde grec à Besançon. Spécialiste de la sculpture grecque et de ses modalités d’exposition, elle étudie également les collections de moulages ou tirages en plâtre, éléments du patrimoine scientifique comme de l’histoire de l’enseignement des arts et de l’archéologie. Ses champs de recherche l’ont amenée à questionner l’exposition sur le temps long ; elle assure par ailleurs le commissariat d’expositions lui permettant de valoriser les résultats de ses recherches.

 

Comme bien d’autres, les structures culturelles s’emparent de la question écologique et revoient leur mode de fonctionnement à l’aune des enjeux du développement durable. Ce numéro de la revue exPosition vous propose plusieurs points de vue sur cette question qui n’a pas encore de véritable vitrine.

Outre-Atlantique, après une première édition sur l’éco-responsabilité en 2012, la Société des musées du Québec a récemment publié un guide de bonnes pratiques (Musées et transition écologique. Bonnes pratiques muséales, 2024) que l’ICOM propose sur son site Internet.

L’ICOM a également mis en place SUSTAIN, un comité international sur les musées et le développement durable, qui prend la suite d’un Groupe de travail sur la durabilité (WGS) actif de 2018 à 2023 : « L’objectif de SUSTAIN est d’offrir aux membres de l’ICOM une tribune et une plateforme accessible où ils peuvent influencer l’orientation future de l’organisation dans tous les domaines liés à la durabilité et à la lutte contre le changement climatique. »

En France, le numéro 146 de la revue Culture et recherche du Ministère de la Culture (printemps-été 2024) a proposé au printemps un dossier d’une douzaine de pages sur la nécessité d’inscrire l’écologie comme politique publique de la recherche culturelle.

Le musée de Lille, présent dans ce numéro à travers l’article « Écoconcevoir au Palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration », est engagé depuis longtemps en faveur du développement durable ; il a également édité un Guide pratique d’écoconception construit autour deExpérience Goya, exposition présentée du 15 octobre 2021 au 14 février 2022.

L’édition 2023 des Rencontres des musées de France, organisée le 5 décembre 2023 au musée d’Orsay par le service des musées de France du ministère de la Culture, avait précisément pour thématique la transition écologique ; à cette occasion, le Ministère a présenté son Guide d’orientation et d’inspiration pour la transition écologique de la culture. On peut également signaler, sur un autre registre, la parution de l’ouvrage de Grégory Quenet (historien de l’environnement, professeur en histoire moderne à l’Université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines), L’écologie des musées. Un après-midi au Louvre (Éditions Macula, 2024), une lecture inspirante qui fait résonner autrement les enjeux communs de l’écologie.

En avril 2024, la fédération des Concepteurs d’Expositions XPO, regroupant l’ensemble des acteurs de l’écosystème, qu’ils soient muséographes, scénographes, manipeurs, agenceurs, concepteurs lumière, audiovisuels, multimédias… publie un « manifeste de l’écoconception des expositions permanentes et temporaires ». Ce manifeste regroupe une cinquantaine de propositions qui sont autant de pistes de réflexions et d’actions pour agir vers une exposition, plus propre, plus respectueuse, plus engagée aussi. Il montre la multiplicité des champs d’intervention possibles pour une exposition plus écoresponsable, tout en prévenant que cette énumération de propositions n’est pas exhaustive. Le champ de l’éco-responsabilité est un domaine à inventer, collectivement, en permanence, dont les actions sont à tester, à éprouver, à re-questionner, à faire évoluer. Les articles du présent numéro témoignent de cette diversité et de possibles à expérimenter.

Nous ne sommes pas les premiers, comme le montre ce rapide état de l’art, mais nous avions à cœur d’ouvrir les lignes de notre revue à ces enjeux.

Présentation des articles du numéro

Dans sa contribution que nous avons choisi de placer en tête du sommaire de ce numéro, Céline Schall (« L’écoresponsabilité des expositions : au-delà des mesures techniques, une révolution axiologique ») recense les domaines d’ajustements possibles et les changements structurels qu’il nous faut sans doute envisager pour des expositions plus conformes aux enjeux socio-écologiques. Anaïs Raynaud et Marjolaine Schuch (« Quitter la neutralité pour mieux l’atteindre ? ») présentent le travail réalisé par les équipes du musée national des Arts et Métiers pour préparer l’exposition Empreinte carbone, l’expo ! qui a ouvert ses portes le 16 octobre dernier. Des mesures concrètes sont présentées par Tony Fouyer qui traite dans un premier article (« L’exposition en réseau. Une solution éco-responsable à développer ? ») des possibilités permises par les expositions qui circulent d’un lieu à l’autre et sont conçues pour être partagées, un modèle expérimenté depuis longtemps par certains musées engagés ; on pense par exemple au Musée royal de Mariemont. Mélanie Esteves et Christelle Faure (« Écoconcevoir au Palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration ») reviennent sur les manifestations qui leur ont permis d’expérimenter l’écoconception des expositions et sur les leçons que l’on peut en tirer. C’est également un retour d’expérience que nous proposent Isabelle Lainé et Tony Fouyer (« Réemployer les matériaux et le mobilier scénographique. Du musée du quai Branly – Jacques Chirac au musée municipal de Bourbonne-les-Bains »). Enfin, le dernier texte, de Benjamin Arnault (« Notes sur les apports écologiques d’œuvres allographiques ») aborde la manière dont les artistes et les historiens de l’art traitent de l’éco-conception et de la neutralité des œuvres allographiques, qu’il faut sans doute nuancer si on considère l’empreinte carbone du stockage des données numériques.

Les questions de scénographie et de réemplois sont au cœur de notre numéro ; le souhait de Caroline Schall, qui appelle les structures à envisager la coprogrammation, trouve un écho intéressant dans le retour d’expérience de Tony Fouyer. Il reste encore beaucoup à dire sur quelques-uns des freins subis par les institutions culturelles : par exemple sur le vieillissement du parc immobilier qui les abrite, faisant des lieux culturels de véritables passoires thermiques ou sur la question des conditions de transport des œuvres qui nécessitent parfois des caisses faites ad-hoc pour une œuvre, conditionnement non réemployable et non stocké pour un éventuel nouveau déplacement de la même œuvre ; sur cette thématique, nous renvoyons au Guide de l’écoconditionnement des œuvres, un document élaboré entre mai 2023 et juin 2024 par le groupe de recherche-action dédié au sein de l’Augures Lab Scénogrrrraphie. Des ressources précieuses, à partager.

Nous espérons que vous sortirez grandis après la lecture de ces articles !

Pour citer cet article : Pierre-Vincent Fortunier et Sophie Montel, "Introduction", exPosition, 9 décembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/fortunier-montel-introduction/%20. Consulté le 22 décembre 2024.

9/2024 – L’éco-responsabilité dans les pratiques d’exposition – Varia

 

L’éco-responsabilité dans les pratiques d’exposition (dossier dirigé par Pierre-Vincent Fortunier et Sophie Montel)

– Pierre-Vincent Fortunier et Sophie Montel, Introduction

– Céline Schall, L’écoresponsabilité des expositions : au-delà des mesures techniques, une révolution axiologique

– Anaïs Raynaud et Marjolaine Schuch, Quitter la neutralité pour mieux l’atteindre ? L’exemple de l’exposition Empreinte carbone, l’expo ! au musée des Arts et Métiers (Paris, 2024-2025)

– Tony Fouyer, L’exposition en réseau. Une solution éco-responsable à développer ?

– Mélanie Esteves et Christelle Faure, Écoconcevoir au palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration d’une démarche opérationnelle

– Tony Fouyer et Isabelle Lainé, Réemployer les matériaux et le mobilier scénographique. Du musée du quai Branly – Jacques Chirac au musée municipal de Bourbonne-les-Bains

– Benjamin Arnault, Notes sur les apports écologiques d’œuvres allographiques

 

Varia

– Yoshiko Suto et Frédéric Weigel, L’histoire mouvementée du Palais des paris (Gunma, Japon). Un entretien mené par Caroline Tron-Carroz

 

Réemployer les matériaux et le mobilier scénographique. Du musée du quai Branly – Jacques Chirac au musée municipal de Bourbonne-les-Bains

par Tony Fouyer et Isabelle Lainé

 

— Docteur en archéologie et chercheur associé à l’UMR 6298 ARTEHIS, Tony Fouyer dirige actuellement le musée et parc Buffon de Montbard. Déjà auteur de plusieurs articles portant sur l’archéologie classique et sur l’histoire des collections, il porte un intérêt particulier pour les nouveaux dispositifs qui permettent aux institutions patrimoniales de réduire leur impact écologique.

Depuis 2019, Isabelle Lainé est Responsable des expositions au musée du quai Branly – Jacques Chirac. À la tête d’une équipe de 12 personnes, elle dirige la production des expositions temporaires du musée, alliant expertise muséographique et gestion d’équipe. Auparavant, elle a travaillé à la Réunion des musées nationaux, au Musée des Monuments Français (aujourd’hui la Cité de l’architecture et du patrimoine), puis à la Cité de la musique – Philharmonie de Paris. Elle a piloté la réalisation d’une trentaine d’expositions dans les espaces du musée de la Musique et contribué à la définition du programme muséographique de la nouvelle salle d’exposition inaugurée en 2015 au sein de la Philharmonie de Paris. Elle y a supervisé la conception et la mise en œuvre des expositions jusqu’en 2018.

 

Échange effectué en juin 2023

L’entretien que nous vous proposons a pour objectif de mettre en lumière les efforts réalisés par les musées pour réduire leur empreinte carbone – en même temps que leurs dépenses. Notre rencontre avec madame Lainé, responsable de production des expositions temporaires au musée du quai Branly – Jacques Chirac, dans le cadre d’un atelier commun, a déclenché une série de questions et lancé des démarches qui pourraient s’avérer fructueuses. Nos volontés autour de l’éco-conception des expositions étaient semblables, mais nos difficultés littéralement opposées.

Le musée du quai Branly – Jacques Chirac met en œuvre, chaque année, entre huit et dix expositions temporaires. Le rythme est intense, mais la demande ne l’est pas moins. De son côté, le musée municipal de Bourbonne-les-Bains tentait, avant l’arrivée de T. Fouyer en décembre 2022, de mettre en œuvre deux expositions temporaires, tout en sachant que les objectifs et le contenu scientifique et pédagogique étaient assez loin des prérogatives d’un musée labellisé « Musée de France ». Deux cas s’observent : d’un côté, le musée du quai Branly dispose d’un mobilier scénographique dont le stockage s’avère de plus en plus complexe – malgré les efforts faits pour mettre en place du 100% réemploi – et de l’autre le musée municipal de Bourbonne-les-Bains manque de moyens et accuse un retard dû au manque de personnel scientifique ces 30 dernières années.

Ce constat fait, nous avons décidé d’entreprendre un partenariat dans lequel tout le monde serait gagnant. Comment limiter les pertes de matières premières et d’outils scénographiques ? C’est sur cette question du réemploi des matériaux et du mobilier que s’est focalisée notre attention et c’est sur cet aspect que nous aimerions pouvoir apporter notre témoignage. Nos démarches – toujours en cours – sont jalonnées de difficultés et celles-ci seront également abordées.

Tony Fouyer : Le musée de Bourbonne-les-Bains est un musée municipal de petites dimensions. Sans personnel scientifique à sa tête pendant presque 30 ans, il retrouve un attaché de conservation en 2019. Après trois ans à la tête de cette structure et une année marquée par la COVID-19, le poste, vacant en 2022, m’est confié en catégorie C[1]. Le musée en question ne dispose pas de PSC (Projet Scientifique et Culturel) et ses collections, liées à l’histoire de la ville, concentrent des collections archéologiques, beaux-arts et naturalistes des XIXe et XXe siècles. L’ensemble est présenté au public dans un bâtiment ancien – non inscrit et/ou classé au titre des Monuments historiques – divisé en deux ailes et formant une entité de type « pôle culturel ». D’un côté, se trouve une médiathèque/ludothèque ainsi que le fonds ancien de bibliothèque, et de l’autre le musée avec un bureau, les espaces d’exposition et une réserve interne. Cette seconde partie du bâtiment, qui abrite à proprement parler le musée, mesure près de 300 m2. Le passé de la ville thermale est plutôt flatteur, mais la ville est en perte de vitesse et peine à se renouveler. De mon côté, j’exerce presque toutes les fonctions dans le musée et je dois présenter, tous les ans, deux expositions temporaires. La situation est certainement bien différente de votre côté.

Pourriez-vous nous dire s’il vous plaît, madame Lainé, comment fonctionne votre service, consacré aux expositions temporaires du musée du quai Branly – Jacques Chirac ?

Isabelle Lainé : Le musée du quai Branly – Jacques Chirac organise, chaque année, huit à dix expositions temporaires. Chacune d’entre elles prend place sur trois mezzanines réparties dans le bâtiment, proposant des espaces plus ou moins modulables allant de 150 à 650 m2. Les contraintes architecturales de la structure sont assez importantes, notamment en matière de hauteur sous plafond et d’organisation de l’espace puisque les murs forment des lignes courbes. Pour les mezzanines, ce sont essentiellement les différences de hauteurs sous plafond et les systèmes d’éclairage qui peuvent poser des problèmes. À ces espaces, s’ajoute la galerie jardin, d’environ 2000 m2. Cette fois-ci, c’est la grandeur des lieux qu’il faut pouvoir casser et la hauteur sous plafond qui est particulièrement importante.

Le service des expositions comporte quatre chargés de production. Ils gèrent la scénographie, le contenu éditorial, s’occupent du suivi de production et de l’iconographie. Ils sont associés, aussi, aux commissaires d’exposition et quatre régisseurs d’exposition qui prennent en charge les relations avec les organismes prêteurs, participent activement aux convoiements des œuvres, à leur installation, et s’assurent de la conservation préventive de celles-ci.

Récemment, le musée s’est doté d’un Responsable Social et Environnemental (RSE). Il essaie de mettre en place des groupes de travail et participe à des lancements de projets, tels qu’Alternatives vertes, en lien avec le ministère[2]. Il y a aussi, dans mon service, une chargée des opérations scénographiques qui offre un regard technique sur les plans fournis par les scénographes. Elle s’assure de la faisabilité des projets en tenant compte des éléments propres au lieu, comme la sécurité, l’éclairage et la maintenance des structures, tout en respectant les principes d’éco-responsabilité.

Enfin, l’équipe est complétée par deux adjoints qui prennent en charge les aspects budgétaires et juridiques, le co-pilotage avec la responsable des deux pôles production et régie, et qui assurent un rôle transversal avec les autres départements du musée.

T. F. : Lors du réaménagement des salles d’exposition et afin de fournir un contenu plus cohérent et une expérience de visite plus fluide, je me suis tourné vers l’éco-conception du mobilier scénographique. Pour cela, j’ai dû m’inspirer du travail de scénographes tout en sachant que les matières premières disponibles ne me permettraient pas d’effectuer le même type de réalisations. La question me touche, mais la ville n’était pas toujours en mesure de répondre à la fois aux attentes des publics et de fournir du mobilier scénographique. Le volet économique a donc également joué un rôle dans ce choix.

Depuis quand l’éco-conception des expositions temporaires est-elle au centre de vos préoccupations au musée du Quai Branly – Jacques Chirac ?

I. L. : La raison économique, bien qu’intéressante, n’est pas ce qui nous a animés. En 2006, pour l’inauguration du musée du quai Branly – Jacques Chirac, il y avait déjà une préconisation allant dans le sens d’un développement durable. Il n’y avait, pour autant, ni attente particulière ni obligation. Cela reposait en grande partie sur les équipes et l’engagement personnel des agents du musée. Les équipes en charge de la production des expositions temporaires y étaient sensibles et ont cherché à optimiser et/ou à réutiliser le mobilier scénographique, notamment les cimaises, puisque le volume consommé est particulièrement important et représente entre 550 et 1000 m2.

Dès 2007-2008, le musée a commandé une étude à l’entreprise Atemia pour faire un bilan carbone de son activité. À partir de ce moment-là, a été testé le concept de lancer une consultation scénographique visant à réaliser deux expositions de Galerie Jardin avec l’optique de mutualiser un maximum de constructions pour les deux expositions. Cela concernait surtout la galerie jardin, très consommatrice en matériel scénographique, notamment en MDF (panneau de fibres de bois à densité moyenne). La mutualisation est plutôt intéressante puisqu’elle représente 50% des structures.

Pour les mezzanines, en 2012, le musée a fait l’acquisition d’un parc de vitrines haut de gamme Meyvaert afin de faciliter la mise en scène des items. L’investissement initial est conséquent, mais il est rapidement amorti compte tenu de la durabilité et de la modularité des vitrines, qui permettent d’éviter des achats répétés. Ces vitrines, que l’on peut très facilement moduler, sont montées, démontées et stockées par le Musée à chaque exposition ; elles sont inventoriées et font l’objet d’un constat d’état à chaque déplacement. Malgré leurs usages fréquents, elles sont toujours en état d’utilisation aujourd’hui. Certaines d’entre elles sont fatiguées, mais le parc a bénéficié d’un nouvel investissement conséquent en 2022.

T. F.  : Les pratiques évoluent dans le bon sens, on s’en rend bien compte dans votre propos.

Est-ce que des objectifs vous ont été fixés par la direction, ou par le ministère ?

I. L. : Si l’éco-responsabilité n’est pas clairement définie comme une priorité, les attentes sont aujourd’hui clairement identifiées, nos actions et démarches doivent être visibles et faire l’objet de rapports détaillés. L’objectif numéro 1 du musée du quai Branly – Jacques Chirac reste l’accueil et l’accessibilité. Il n’y a pas, non plus, de véritable ligne budgétaire sur la question de l’écologie. Pour autant, les attentes du public, des politiques et des équipes sont toujours plus importantes sur le sujet, et même si cela ne se traduit pas dans un tableur, des avancées sont notables.

En 2023, il a été demandé aux musées nationaux de présenter un bilan carbone sur une année. La demande, émanant du ministère, visait à estimer l’empreinte carbone des établissements. Aucun objectif officiel n’est donc posé mais, en se dotant d’un RSE, le musée affiche clairement sa volonté de mettre l’accent sur ces questions et de répondre à cet enjeu de société devenu essentiel.

Par ailleurs, nous travaillons, avec les équipes, pour faire en sorte d’optimiser et/ou de réutiliser le matériel qui est déjà en notre possession. Nous demandons, par exemple, à nos prestataires de faire des propositions permettant une réexploitation maximale de nos structures scénographiques. L’objectif est de se rapprocher du 100% de réemploi. Sans être le seul aspect pris en compte dans la sélection du prestataire, nous sommes attentifs au sujet. Notre intérêt grandissant pour la question, nous comprenons de mieux en mieux notre impact carbone et nous tentons de l’atténuer – même si la tâche est ardue.

T. F.  : On le remarque à travers vos propos, le mobilier scénographique nécessaire à la mise en place de ces expositions est important.

Une fois que l’exposition est terminée, que faites-vous du mobilier qui n’est pas réexploité ?

I. L. : Une fois que l’entreprise est sélectionnée et qu’elle commence le montage de l’exposition suivante, elle récupère les éléments réutilisables et les adapte à la nouvelle scénographie. Le reste est généralement stocké ou détruit lorsqu’il n’est plus intègre. Pendant longtemps, la politique était de tout détruire et de créer de nouvelles structures. Les choses évoluent donc dans le bon sens.

Dorénavant, le musée et le prestataire externe sélectionné pour la scénographie sont liés par un accord-cadre dans lequel apparaissent l’éco-responsabilité et le recyclage. Devenus des critères, ces deux aspects sont surveillés. Une note de développement durable est également calculée et devient un critère de choix lors de la sélection du prestataire. Depuis que le marché public le mentionne, les prestataires s’y attachent et s’améliorent sur le sujet.

T. F.  : L’une des problématiques que nous rencontrons régulièrement dans les structures régionales est, de manière générale, le manque d’espaces de stockage disponibles. Cela concerne les réserves, pas toujours adaptées, mais aussi le stockage des éléments scénographiques.

Concernant ce stockage, les bâtiments disponibles sont-ils assez grands pour accueillir, dans de bonnes conditions, le mobilier scénographique qui n’est pas réutilisé ? On pense aussi aux vitrines Meyvaert dont on a précédemment parlé.

I. L. : Malheureusement, même pour une institution comme le musée du quai Branly – Jacques Chirac, les murs sont parfois petits. À chaque fois qu’il faut « agrandir » ces lieux, nous devons louer de nouveaux espaces. Nous disposons toutefois d’un lieu de stockage assez conséquent et les vitrines qui sont démontées après chaque utilisation et rangées dans des caisses spécifiques y sont stockées.

T. F.  : Conserver ce type de mobilier a donc un coût.

Serait-il possible, pour une structure comme la vôtre, de donner du mobilier scénographique à d’autres structures ?

I. L. : Effectivement, il y a la volonté de faire don de certains de ces éléments. Malheureusement, le volet juridique est plus complexe qu’il n’y paraît. Les achats sont faits sur les deniers publics et il est donc interdit de donner, sauf entre institutions publiques ou sous un seuil d’une valeur marchande.

T. F.  : Lors de nos premiers échanges, nous voulions éviter la perte des vitrines Meyvaert fonctionnelles, mais fatiguées, en les ramenant à Bourbonne-les-Bains. Leur usage aurait été plus pérenne puisqu’elles étaient destinées à accueillir des pièces de l’exposition permanente du musée.

Est-ce ce volet juridique qui rend ce don impossible ?

I. L. : L’achat de ce matériel étant effectué avec l’argent du contribuable, il est parfois plus simple de le détruire que de le donner. Cela semble paradoxal, mais c’est une vérité à laquelle nous sommes confrontés. Cela concerne les vitrines en question. Le musée, sur des éléments de ce type, est contraint par un certain nombre de règles.

La valeur d’un don, par exemple, ne doit pas excéder 300 euros. Une vitrine Meyvaert de notre parc coûte 20 000 euros. Même fatiguée, sa valeur reste donc supérieure à cette valeur pécuniaire arbitraire qui a été fixée. On le comprend, cette limite est aussi liée au politique et évite quelques biais comme un éventuel favoritisme.

Il est possible, aussi, de les mettre sur la plateforme « Domaine du gouvernement », mais les structures nationales seraient prioritaires et une collectivité comme celle de Bourbonne-les-Bains aurait peu de chance de les obtenir.

Nous avions par ailleurs envisagé un prêt longue durée de ces éléments scénographiques. Cette tentative, qui pouvait être intéressante, s’est avérée infructueuse. Là aussi, le biais juridique n’est pas si simple.

En l’absence de directives ministérielles claires, il est difficile, sur ce type de matériel, d’avoir ou de proposer des dons. A contrario, la matière première n’est pas vraiment concernée par ces mesures. Ainsi, le MDF, les socles et les capots en Plexiglas peuvent, lorsqu’ils ne sont plus utilisés par le musée, être donnés en fin d’exposition temporaire. C’est là une possibilité pour faire en sorte que la réutilisation du matériel scénographique soit optimale et d’atteindre un 100% réutilisable – par le musée lui-même, si le prestataire externe le permet, ou par une autre structure muséale. La seule contrainte est la flexibilité de l’établissement d’accueil. La récupération du mobilier n’est possible que lors du changement d’exposition et la date est souvent connue assez tardivement. Elle doit généralement transiter par une structure de réemploi, telle que la Réserve des Arts. On procède ainsi à ce que l’on appelle un démontage propre. Dans tous les cas, l’organisme qui souhaiterait en bénéficier devrait être très réactif.

T. F.  : Une mise en réseau des institutions muséales nationales comme territoriales, plus appropriée que la plateforme ministérielle « Domaine », permettrait sans doute d’envisager la récupération de ces éléments scénographiques. Peut-être serait-il intéressant, aussi, de penser à des lieux de dépôt, permettant aux structures plus petites de venir récupérer ce mobilier dans des délais raisonnables ou de faire en sorte que ces éléments – dont tout le monde a besoin – soient répartis sur le territoire. Bien sûr, c’est tout un écosystème entier à penser.

Nous avons abordé le réemploi des structures d’exposition, j’aimerais terminer cet entretien sur la question des objets présentés au public. À Bourbonne-les-Bains, une très grande partie du mobilier en réserve – et dont l’état de conservation est admissible aux yeux du grand public – n’avait jamais été exposé. C’est pourquoi, dans l’année écoulée, j’ai pris le parti de rendre visible un fond de collection inexploité à travers une exposition-dossier. Les réserves du musée du quai Branly – Jacques Chirac, dont une petite partie est visible du grand public, sont certainement bien documentées et permettraient peut-être la production d’exposition de ce type.

Cette volonté de se tourner parfois vers des expositions-dossiers existe-t-elle dans votre établissement ? Cela permettrait de ralentir un peu le rythme des expositions temporaires pour lesquelles les transports entrent en ligne de compte. Comment le musée se positionne-t-il sur cette question des prêts sollicités ?

I. L. : Les expositions-dossiers ne sont pas véritablement ancrées dans l’ADN du musée. Nos items entrent dans les expositions, mais nous devons régulièrement agrémenter celles-ci de prêts extérieurs selon les sujets traités. En règle générale, c’est le commissaire chargé de l’exposition qui fait les propositions. Nous fixons toutefois des limites en matière de nombre d’œuvres et de provenances. Dans la mesure du possible, nous essayons de maximiser les trajets et de trouver les pièces nécessaires à l’exposition dans un rayon de 100 km autour des « indispensables ». Nous essayons également de réduire les déplacements effectués à l’étranger. Le nombre de provenances est d’emblée réduit, mais s’il y a besoin, pour l’exposition, d’une pièce particulière, nous tentons de nous la procurer.

T. F.  : Je vous remercie pour la qualité de cet échange instructif.

Notes

  1. Signalant ainsi la dégradation du poste d’attaché de conservation puisque la fiche de poste n’a pas changé et que les missions relèvent toujours d’une catégorie A.
  2. Alternatives vertes est un appel à projets dans le cadre du Plan France 2030.

    Pour citer cet article : Tony Fouyer et Isabelle Lainé, "Réemployer les matériaux et le mobilier scénographique. Du musée du quai Branly – Jacques Chirac au musée municipal de Bourbonne-les-Bains", exPosition, 9 décembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/fouyer-laine-reemployer-materiaux-mobilier-scenographique/%20. Consulté le 22 décembre 2024.

L’exposition en réseau. Une solution éco-responsable à développer ?

par Tony Fouyer

 

Docteur en archéologie et chercheur associé à l’UMR 6298 ARTEHIS, Tony Fouyer dirige actuellement le musée et parc Buffon de Montbard. Déjà auteur de plusieurs articles portant sur l’archéologie classique et sur l’histoire des collections, il porte un intérêt particulier pour les nouveaux dispositifs qui permettent aux institutions patrimoniales de réduire leur impact écologique. —

 

Bourbonne-les-Bains (Région Grand Est) est une petite ville thermale, qui compte moins de 2 000 habitants. En vogue aux XVIIIe et XIXe siècles, la ville perd progressivement de sa superbe. Les témoignages de ce glorieux passé sont encore présents, mais les habitants, comme les visiteurs/curistes n’en ont pas gardé le souvenir – en témoigne l’abandon progressif d’un hôtel réalisé par Henri Sauvage tombé dans un relatif anonymat. Située à la frontière de la Haute-Marne, des Vosges et de la Haute-Saône, la ville est particulièrement isolée. Bien qu’une bretelle d’autoroute permette de sortir à une vingtaine de kilomètres de celle-ci, elle n’est plus desservie en train et est assez difficile d’accès pour les citadins qui souhaiteraient s’y rendre. Sur place, les logements disponibles ne correspondent plus aux attentes des visiteurs et la signalétique – pour se rendre au musée – est trop discrète, voire inexistante.

Malgré cela, le musée de Bourbonne-les-Bains[1] proposait, en 2023, une exposition sur L’Afrique en musée, en partenariat avec l’Institut national d’histoire de l’art (INHA, Paris). L’objectif de l’exposition thématique était de fournir, sur l’ensemble du territoire, une exposition sur la constitution des collections d’objets africains dans les musées français. Les expositions[2], visibles durant une période variant d’un musée à l’autre, devaient nécessairement être inaugurées en parallèle du colloque international[3] qui s’effectuait dans les murs de l’INHA[4]. Ainsi, le Musée d’Angoulême, le musée Calvet à Avignon, le Musée municipal de Bourbonne-les-Bains, le Muséum d’histoire naturelle de La Rochelle, le musée d’Arts africains, océaniens et amérindiens de Marseille, la Monnaie de Paris, l’Association des musées en Bourgogne-Franche-Comté[5] et le musée Saint-Remi de Reims[6] se sont retrouvés autour de cette thématique et ont présenté des objets issus de leurs collections ayant fait l’objet de recherches récentes et s’intégrant au programme piloté par Claire Bosc-Tiessé[7].

Conçue sur le principe de l’exposition dossier[8], cette mise en réseau liant les musées autour d’une thématique commune se trouvait, de fait, placée sous le signe de l’éco-responsabilité[9]. Les réflexions sur la thématique et les besoins de repenser nos musées se sont accentuées depuis 2020 – la question était déjà posée dans les années 2000[10]. Longtemps sourds aux problèmes environnementaux, la pandémie a marqué un tournant. Les « petits » musées sont, depuis toujours, de bons élèves dans le domaine puisque les moyens mis à leur disposition ne leur permettent pas de jeter les éléments de scénographie qu’ils ont ou de faire des prêts demandant des transports à longues distances ou la production de caisses de transport réalisées sur mesure. Depuis 2020, les initiatives des musées se multiplient, tout comme les appels à communications/publications qui permettent de diffuser le résultat d’expériences récentes[11]. C’est sous cet angle que cet article interroge ce modèle de l’exposition dossier, mise en réseau. Il vise à en souligner les aspects positifs, tout comme les inconvénients.

Le but est également de réfléchir, sur le long terme, aux modes d’exposition et aux partenariats entre sites, tout en prenant en considération la diversité des structures, les publics et les politiques culturelles qui, dans ce contexte, ne trouvent pas toujours leur compte[12]. Cela nous amènera donc, également, à nous questionner sur le rôle des institutions culturelles. Enfin, nous tenterons de proposer des solutions concrètes qui permettraient d’améliorer et de pérenniser ce modèle qui offre l’opportunité de créer un maillage territorial et de valoriser les résultats des recherches sur les collections qui répondent à une même problématique.

L’Afrique en musée. Le cas de Bourbonne-les-Bains

Répondant à l’appel lancé par l’INHA, certains musées ont décidé de montrer aux publics des objets ou lots d’objets africains provenant de leur collection. Ces objets pouvaient faire partie des expositions permanentes ou être présentés pour la première fois. La seule contrainte, pour les musées, était de faire coïncider ce temps d’exposition avec le temps du colloque international que l’institut organisait dans ses locaux à Paris et qui marquait la fin d’un programme de recherche pluriannuel portant sur la constitution des collections africaines dans les musées français[13]. Pour faire écho aux installations sur sites, l’INHA proposait à ses conférenciers et aux passants une série de posters scientifiques qui visait à montrer la pluralité des lieux d’exposition, des modes de constitution des collections et à valoriser la démarche des musées partenaires (Fig. 1).

Fig. 1  : Vitrine exposant les écrits et les étuis à médailles de l’Exposition universelle de 1889 obtenues par Ernest Noirot et le Fouta-Djalon. Le cliché représente Ernest Noirot en uniforme (© cliché T. Fouyer)

Le cas de Bourbonne-les-Bains était particulièrement intéressant. Le musée, au cours du programme de recherche, a reçu des chercheurs spécialisés en histoire et en histoire de l’art et a pu bénéficier d’un contact régulier avec eux – par échanges de mails – afin d’éclaircir la nature des objets conservés dans les réserves et de déterminer leur provenance. Une partie de ces items a fait l’objet de billets, dans les Carnets Hypothèses[14]. En l’absence de documents officiels, legs ou dons, la présence de ces objets dans les collections interroge et nous oblige à effectuer les difficiles recherches de provenance.

L’un des légataires ou donateurs supposés – à juste titre – est un certain Ernest Noirot. Né à Bourbonne-les Bains en 1851 et mort dans la cité thermale en 1913, Ernest Noirot[15] a été administrateur colonial[16] au Fouta-Djalon (Guinée[17]) pendant presque 30 ans. À ce titre, il a participé à l’Exposition universelle de 1889 réunissant des objets du Fouta-Djalon et d’ailleurs[18] et sélectionné les participants du pavillon sénégalais sur l’Esplanade des Invalides, à Paris. La région, lors de cette Exposition universelle, reçut plusieurs prix[19]. Loin de s’attendre à un tel succès, Ernest Noirot fut également récompensé (Fig. 2).

Fig. 2 : Espace ethnographique présentant les pièces africaines liées à Ernest Noirot (© cliché T. Fouyer)

Pour célébrer ce colloque et la fin du programme d’étude, le musée a présenté presque tout son fonds africain. Cela représente près d’une cinquantaine de pièces allant de l’outillage au costume, en passant par l’armement (Fig. 3). Ce mobilier comprend également des œuvres écrites et peintes, des photographies et de la correspondance[20]. Certaines de ces pièces sont particulièrement emblématiques par leur rareté ou leur dimension historique[21], d’autres relèvent plus d’un usage quotidien. Il fait peu de doutes que la majorité de ces objets a été réunie par Ernest Noirot[22].

Aucun véritable budget n’a été alloué à cette exposition sur L’Afrique au musée de Bourbonne-les-Bains[23]. La mise en scène – scénographie, régie et installation – s’est faite en interne[24]. Les canisses, qui ont habillé le sommet des vitrines anciennes, les pieds d’une vitrine table et le support de présentation des huiles sur carton avaient été employés auparavant, lors d’un autre projet pour la grande partie, et donnés par les entreprises locales qui en possédaient en hors stock pour le reste. Il en est de même pour le mobilier d’exposition. Le pupitre qui accueillait les huiles sur carton et la vitrine éphémère ont été fabriqués en interne, en réutilisant des tréteaux et des contreplaqués qui étaient stockés dans le musée. Ils ont simplement été customisés pour l’occasion (Fig. 3). Des vitres, récupérées sur des cadres anciens, permettaient de garantir l’intégrité des huiles sur carton. L’usage de ce type de support, légèrement incliné, limitait ainsi la détérioration des œuvres. Longtemps placées au mur à l’aide d’un piton, on pouvait constater une déformation des cartons – dû à ce mode d’exposition et à l’hygrométrie relativement haute qui règne dans le musée (autour de 70 %), tandis que des trous au niveau de la surface peinte signalaient la présence, ancienne ou non, des pitons.

Fig. 3 : Vitrine éphémère permettant l’exposition des spécimens zoologiques conservés au musée (© cliché T. Fouyer)

La plupart des autres vitrines employées était auparavant dédiées à un fonds de naturalia, qui lui, a fait l’objet d’un récolement et d’une nouvelle mise en scène usant des éléments en réemploi. Des socles, notamment, ont été « upcyclés » afin de présenter convenablement toutes les pièces. L’ensemble a permis la refonte du parcours du musée. En utilisant les vitrines – inamovibles – différemment, on a libéré un espace pour l’ethnographie et un autre pour l’histoire naturelle afin qu’une cohérence plus forte se dégage. Ce deuxième espace a également bénéficié de changements, rendus possibles par la fabrication d’une mise à distance usant de socles du musée et de vitres issues des vitrines anciennes. Les présentoirs, pour les spécimens naturalisés, ont été fabriqués à l’aide des chutes tandis que deux vitrines ont été fabriquées à l’aide d’anciens cadres stockés au musée, montés sur tréteaux pour l’une, accoudés à une ancienne cimaise fabriquée en interne – de longue date – pour l’autre.

S’appuyant sur les seules œuvres du musée – auxquelles nous aurions peut-être pu associer des pièces stockées au Quai Branly –, aucun transport d’œuvre n’a été effectué et le bilan carbone[25] est relativement faible.

Par ailleurs, le musée a pu bénéficier de l’appui, en communication, de l’INHA et des autres structures muséales. Ce partenariat entre sites, un peu différent de celui qui est habituellement opéré puisqu’il ne nous lie pas par des prêts et des dépôts, offre des avantages et des inconvénients.

L’exposition en réseau : objectifs et résultats

Ce modèle d’exposition en réseau a généré beaucoup d’intérêt de notre part. Il se construisait avec d’autres structures, s’appuyait sur un discours scientifique fourni par des spécialistes difficilement accessibles[26] pour une structure comme le Musée municipal de Bourbonne-les-Bains et permettait de présenter une partie des collections, « cachée » au grand public depuis son arrivée. Les pièces en question avaient été stockées dans le grenier du musée. Leur état, bien que discutable, permettait une exposition, mais c’est surtout leur intérêt qui n’avait pas été perçu. Cela permettait également, même si le cœur du propos n’était pas là, d’être plus juste sur le rôle d’Ernest Noirot. Méconnu, les locaux le voient comme un simple aventurier[27] alors qu’il s’agissait d’un administrateur et d’un homme politique important dans les colonies. Sans nier les pratiques liées à « l’exposition d’habitants » sur les stands des Expositions universelles[28], le replacer dans l’histoire locale semblait indispensable[29].

En cela, ce fut une réussite. Les habitués – passionnés d’histoire locale, curistes réguliers, familles – et les visiteurs qui sont venus au musée ont été surpris, satisfaits et très intéressés par la proposition[30]. Cela s’est traduit sur le nombre de visiteurs sans pour autant que cela génère, non plus, des flux que le musée ne pourrait supporter. Le public touché a été un peu plus large que d’habitude, sans mobiliser les visiteurs des grandes villes[31].

Dans les faits, l’objectif n’était pas tant de démultiplier le nombre de visiteurs que de permettre aux locaux de s’emparer d’un sujet qu’ils n’ont pas l’habitude de voir, considérant que la question ne concerne pas leur territoire. Par ailleurs, la construction même de l’exposition et la volonté manifeste de réaliser une exposition sur les collections du musée reflètent bien cet objectif.

Malgré cela, et même si l’augmentation du nombre de visiteurs est effective, elle est multifactorielle[32]. Les actions de médiation, la refonte du parcours de visite et une meilleure – mais loin d’être optimale[33] – communication autour des actions du musée y sont également pour beaucoup. Au-delà de ces conceptions, les élus – dont l’objectif n’est pas toujours lié à l’aspect pédagogique – peuvent éprouver une certaine frustration. L’absence d’hôtes de marque lors du vernissage – liée au fait que le colloque international et l’inauguration de l’exposition aient coïncidé – et l’impression de ne pas avoir d’interlocuteurs directs/de partenariats concrets en sont les raisons.

Bien que cela n’entre pas toujours en résonance avec les politiques menées par les collectivités, la découverte, la création du débat, le rôle pédagogique, le lien social autour des expositions sont des aspects signifiants qu’il ne faut pas minimiser. Leur prise en compte est essentielle, d’autant plus que le déplacement de publics nombreux au musée entraîne nécessairement un bilan carbone conséquent.

L’exposition en réseau a, il me semble, un intérêt fondamental dans cette perspective. Elle permet au visiteur, près de chez lui, d’avoir accès au mobilier conservé au musée, souvent stocké, car méconnu, répondant à une thématique « nationale » et à un contenu scientifique adapté sans pour autant devoir se rendre dans un pôle d’attractivité que représente une grande ville. De ce fait, le modèle est aussi éco-responsable puisqu’il évite aux locaux de se déplacer vers les métropoles, limitant ainsi la note carbone qui en résulterait.

Anticipation, optimisation et flexibilité

Ce modèle de l’exposition dossier, en réseau, peut tout à fait être digne d’intérêt. Bien que contraignant, il a un bilan carbone (presque) neutre[34], tout en s’appuyant sur un discours scientifique et en maintenant les attentes du public. Bénéficiant de l’appui scientifique des chercheurs liés à l’INHA et de leurs contacts, l’exposition en réseau permet aux structures – petites ou grandes – de mieux connaître leurs collections. Ce partage des connaissances, dans le cas où la structure initiatrice du projet est un institut de recherche, est sans conteste l’un des points forts du projet. L’exposition en réseau, elle, nécessite tout de même une grande flexibilité et ne peut pas convenir à toutes les structures. Les collections disponibles, dans les réserves, ne sont pas toujours présentables et, surtout, elles ne peuvent pas toujours offrir un discours cohérent, avec les quelques pièces fortes essentielles et attendues. En l’occurrence, la tunique protectrice et les deux tablettes coraniques faisaient office de pièces maîtresses à côté de deux tableaux réalisés par Ernest Noirot. Toutes ces pièces avaient été étudiées et « décryptées » par les chercheurs associés au programme de l’INHA.

Pour pallier ces deux problèmes énoncés, il semble indispensable de solliciter d’autres structures, parmi lesquelles les musées et les universités. Les prêts entre les structures peuvent, par exemple, être optimisés et plus durables. Les conventions de prêts sont souvent assez courtes et des demandes de dépôt, sur une période de trois ou cinq ans renouvelables, permettent de lisser un bilan carbone qui peut s’avérer lourd en transport. Cela concerne le trajet à proprement parler, mais aussi la production de caisses de transport adaptées, réalisées sur mesure et l’utilisation du consommable – les mousses notamment, qui ne sont pas toujours recyclables[35]. Dans certains cas, lorsque l’espace d’exposition temporaire est trop restreint, il est nécessaire d’envisager une modulation des espaces permanents d’exposition. De fait, il faut imaginer, en même temps que la mise en place d’une exposition temporaire donnée, une rotation des collections. Bien entendu, une telle stratégie demande une grande capacité d’adaptation et d’anticipation pour des musées disposant de « petites » équipes. Dans cette perspective, il faut anticiper la programmation culturelle et se projeter sur plusieurs années.

Le travail de sélection des pièces s’avère crucial, tout comme la nécessité de cerner les personnes-ressources qui pourront faire vivre les collections et les expositions à travers des animations et des conférences – pour le grand public comme pour les passionnés. Les universitaires sont, dans ce cas de figure, sollicités. Nos connaissances scientifiques des collections dépendent en grande partie de leurs travaux[36].

On le constate, ce modèle est adaptable même s’il est complexe à mettre en œuvre. C’est d’autant plus vrai que nos institutions dépendent en grande partie du politique[37]. Les commandes politiques qui sont liées aux expositions ou partenariats ponctuels sont aléatoires et ne sont pas toujours faciles à mettre en œuvre, puisqu’elles relèvent d’une autre temporalité. Elles sont également difficiles à anticiper et donc contradictoires avec le modèle de l’exposition en réseau – et parfois même de l’éco-responsabilité. La période électorale – à laquelle nous serons bientôt confrontés – est, par définition, synonyme d’instabilité.

Conclusion

Bien qu’il soit difficile d’évaluer – à partir du cas de Bourbonne-les-Bains – le succès ou non de ce type d’initiative, il convient d’en tirer tout de même quelques enseignements. L’impact environnemental d’une telle exposition est très faible. La mécanique qui s’appuie sur le réemploi, le recyclage ou encore l’upcycling offre des opportunités certaines de ce point de vue. Bien que s’appuyant sur les collections du musée, elle peut délivrer un contenu scientifique de qualité et répondre à certaines de nos missions.

Malgré cela, le modèle peut difficilement être répété « à l’infini ». Il constitue, de ce fait, une alternative, un outil complémentaire auquel on peut faire appel pour ralentir le rythme des expositions temporaires ou itinérantes qui, elles, demandent des transports d’œuvres – généralement liés à des prêts dont la durée est relativement faible[38].

L’usage du réseau, tel qu’il a été employé dans le cas de L’Afrique en musée, n’est probablement pas, non plus, celui qui conviendrait le mieux à une structure/une ville comme Bourbonne-les-Bains. Bien que la communication ait son importance, intégrer un réseau national de cette envergure ne peut pas apporter le flux de touristes désiré par les élus locaux[39].

Il serait intéressant, je pense, de tester cette solution sur un territoire plus circonscrit, à l’échelle de la région ou du département. Ce serait un moyen d’associer les structures entre elles, de créer un lien sans que cela passe nécessairement par le volet financier[40]. La difficulté d’une telle initiative réside dans la grande diversité de nos collections et dans les politiques territoriales menées. Par ailleurs, et si un consensus sur la question pouvait exister, il faudrait également veiller à ce que les thématiques choisies ne soient pas trop simplistes. Une exposition en réseau sur L’Architecture, Les Animaux ou Les Couleurs – à titre d’exemple – enverrait un mauvais message.

 

Notes

* Toutes les URL ont été consultées en décembre 2024.

  1. Les collections du musée sont mixtes et présentent l’histoire de la ville, de ses personnages les plus éminents – peintres, hommes politiques etc.
  2. Qui pouvaient prendre des formes très différentes.
  3. Le colloque international en question s’intitulait Collections premières. Aux débuts des objets d’Afrique dans les musées occidentaux. Organisé par Claire Bosc-Tiessé (INHA/CNRS/EHESS), Coline Desportes (INHA/EHESS) et Pauline Monginot (INHA), il s’est tenu les 14, 15 et 16 juin 2023, à l’auditorium Lichtenstein de l’Institut national d’histoire de l’art (Paris).
  4. Les musées participants avaient carte blanche et devaient proposer des vitrines en lien avec la thématique ou une exposition. La première solution est celle qui a été plébiscitée.
  5. L’association des musées en Bourgogne-Franche-Comté : https://musees-bfc.fr/L-association-l-AM-BFC.
  6. Musées de Reims : https://musees-reims.fr/fr/musees/musee-saint-remi/.
  7. Je tiens à remercier très chaleureusement Claire Bosc-Tiessé pour sa gentillesse, sa bienveillance et pour les échanges que nous avons eus et que nous continuons d’entretenir autour de l’Afrique. Ce colloque venait clôturer un programme de recherche visant à faire connaître les collections d’objets d’Afrique en France. Il en résulte, notamment, une cartographie en ligne : Le monde en musée, https://monde-en-musee.inha.fr. Loin des débats actuels, il s’agissait surtout de comprendre les processus de muséalisation de ces collections et la manière dont elles ont été constituées. Le programme se développe désormais sous l’intitulé Vestiges, indices, paradigmes, lieux et temps des objets d’Afrique (XIVe-XIXe siècle).
  8. Exposition qui s’appuie sur un corpus propre aux collections d’un musée et ayant fait l’objet d’une étude particulière.
  9. Voir Simode F., « Le mauvais bilan carbone des expositions », L’œil-Le Journal des arts, septembre 2019, en ligne : https://www.lejournaldesarts.fr/medias/le-mauvais-bilan-carbone-des-expositions-par-fabien-simode-sur-tsf-jazz-145882) ; Celeux-Lanval M., « Musées et écologie : un tournant majeur », Beaux-Arts magazine, octobre 2021, en ligne : https://www.beauxarts.com/grand-format/musees-et-ecologie-un-tournant-majeur/.
  10. Voir Hasquenoph B., « Développement durable : vers des musées écoresponsables », L’hebdo du Quotidien de l’Art, n° 1597, en ligne : https://www.lequotidiendelart.com/articles/13642-développement-durable-vers-des-musées-écoresponsables.html.
  11. Voir le numéro hors-série, « Écoresponsabilité. Les Musées sont pionniers », Le Quotidien de l’Art, mars 2023, en ligne : https://www.sitem.fr/wp-content/uploads/2023/10/QDA-HorsSerie_2023-03-26.pdf.
  12. L’idée, même si la pression est moindre, est de générer de l’attractivité et donc des flux. Or, l’intérêt de ce type d’exposition réside certainement davantage dans le fait d’amener les locaux à voyager à travers ces collections sans pour autant avoir besoin de se rendre dans des institutions parisiennes. Dans une ville thermale en perte de vitesse, le public étranger, de passage ou en cure, génère de l’activité – notamment pour les petits commerçants qui la peuplent et qui l’alimentent tout au long de l’année.
  13. Ce programme de recherche est initié en 2017 par Claire Bosc-Tiessé et s’intitule Vestiges, indices, paradigmes, lieux et temps des objets d’Afrique (XIVe-XIXe siècle). Ce programme avait pour objectif de proposer des outils conceptuels et pratiques permettant de renouveler l’histoire de l’art des objets d’Afrique réalisés entre le XIVe et le XIXe siècle. En retour, il réinterrogera à partir de ces objets les méthodes et les paradigmes d’une histoire de l’art principalement élaborée à partir de cas européens au cours de la même période.
  14. Le musée a fait l’objet de deux billets. Bosc-Tiessé C., « L’Afrique en musée. Musée de Bourbonne-les-Bains », Carnets d’Afrique. Actualité de la recherche en histoire de l’Afrique avant le XXe siècle, 2020, en ligne : https://afriques.hypothèses.org/1013 ; Collet H., Diaw O., « L’Afrique en musée. Les tablettes coraniques et la tunique protectrice de Bourbonne-les-Bains », Carnets d’Afrique. Actualité de la recherche en histoire de l’Afrique avant le XXe siècle, 2021, en ligne : https://afriques.hypothèses.org/1176.
  15. Le musée du Quai Branly – Jacques Chirac conserve également des objets et clichés d’Ernest Noirot. Le don, signalé en 1936, provient d’une certaine Bartel-Noirot dont nous ne savons malheureusement pas grand-chose : Bosc-Tiessé C., « L’Afrique en musée. Musée de Bourbonne-les-Bains », Carnets d’Afrique. Actualité de la recherche en histoire de l’Afrique avant le XXe siècle, 2020, en ligne : https://afriques.hypothèses.org/1013.
  16. Pour une synthèse récente, voir : David P., Ernest Noirot. Un administrateur colonial hors normes (1851-1913), Paris, Karthala, 2012.
  17. La région du Fouta-Djalon se trouve à cheval entre la Guinée et le Sénégal.
  18. Ernest Noirot, pour les besoins de l’exposition, a reçu des objets provenant d’autres régions de l’Afrique (sans que l’on ne sache la nature de ces items).
  19. Si l’on en croit le nombre d’étuis à médaille conservés au musée, il en a reçu onze – certaines médailles sont connues par des sources écrites : voir David P., Ernest Noirot. Un administrateur colonial hors normes (1851-1913), Paris, Karthala, 2012, p. 192. Ces médailles le récompensent pour son action au Fouta-Djalon, mais aussi ses collaborateurs (des locaux) et la région.
  20. Une lettre destinée à Ernest Noirot, commandant du cercle, a été retrouvée dans l’une des réserves du musée peu de temps avant l’exposition. Sans l’aide précieuse d’Hadrien Collet, pour la traduction du courrier, nous n’aurions pas pu l’exploiter. Nous tenons, ici, à le remercier une fois de plus. Est-ce que ce fonds a fait l’objet d’une recherche avant le colloque ? Malheureusement, l’étude n’a pu être poussée au maximum, la découverte du document était trop tardive.
  21. On pense ici à la tunique protectrice, aux tablettes coraniques sur lesquelles on trouve une trace de don à Ernest Noirot ou encore aux deux tableaux (presque des études) qui montrent que l’État français choisit l’image qu’il souhaite offrir au visiteur de l’Exposition universelle.
  22. Il est probable que les trophées montés à l’européenne, a posteriori, proviennent d’un autre Bourbonnais, un Père blanc du nom de Brutel, mort dans les années 1950. Certains habitants locaux se souviennent de son appétence pour ce type de pièces.
  23. La somme dépensée représente à peine 1 % du budget du musée qui, dans les faits, n’a presque jamais de budget alloué aux expositions temporaires.
  24. Seules trois personnes – en dehors du directeur – ont participé à la production de l’exposition. Deux personnes étaient bénévoles, issues des filières culturelles, la dernière était stagiaire au musée. Les cartels développés et les textes ont été relus et corrigés par une chargée d’édition, bénévole également.
  25. Ne disposant pas d’outils adéquats, il est difficile de chiffrer le bilan carbone de l’exposition. Pour le transport : 218 g CO2e ; pour le MDF : 22,2 kg CO2e en prenant en moyenne qu’1m3 de MDF équivaut à 428 kg CO2e (fourchette moyenne correspondant aux chiffres disponibles sur : Enecobois, http://www.enecobois.be/page/12/MDF) ; pour le plexiglas, je n’ai malheureusement pas les chiffres ; les autres éléments sont issus de réemplois.
  26. Le musée, éloigné des réseaux universitaires, ne voit presque pas de chercheurs, encore moins spécialisés dans l’ethnographie extra-européenne. Le personnel disponible – limité à un individu – ne permet pas toujours de réaliser les recherches documentaires associées – les dossiers d’œuvres correspondants.
  27. La plaque lui rendant hommage à Bourbonne-les-Bains est doublement erronée. Elle le présente comme un aventurier et indique une mauvaise date de mort.
  28. On pense ici aux zoos humains, pratiques régulières dans le cadre de ces Expositions universelles.
  29. Il reste encore des zones d’ombre l’entourant. Photographe et bon peintre, on ne connaît pas, par exemple, sa formation artistique.
  30. Les commentaires laissés sur le livre d’or, les retours après actions de médiations l’ont démontré.
  31. L’appréciation reste tout de même difficile. Le musée ne dispose pas d’un observatoire des publics et les agents en charge de l’accueil sont liés à la médiathèque. Les instruments de mesure sont rudimentaires et les informations recueillies presque inexistantes.
  32. Sur l’année, l’augmentation de la fréquentation doit être de l’ordre de 20 %.
  33. La communication du musée et autour des actions de médiation pourrait être améliorée ; il n’y a pas de service dédié à la ville, la création des supports et leur diffusion s’ajoutent aux activités du directeur.
  34. L’éco-responsabilité n’était pas l’un des objectifs de l’appel de l’INHA et de l’exposition en réseau qui s’est dessinée. Les institutions partenaires pouvaient réaliser une exposition ou une vitrine afin de célébrer la fin du programme. Les participations, même numériques, pouvaient être proposées. Le modèle offre, en tout cas, une base scientifique solide et un discours d’ensemble cohérent qui mérite, à mon sens, que l’on s’y attarde.
  35. Voir Augures Lab Scénogrrrraphie : Guide de l’éco-conditionnement des œuvres, en ligne : https://ecotheque.s3.fr-par.scw.cloud/br8wv193dchkbwqrgdtikwgoijxo.
  36. Mon intérêt premier pour la question est avant tout citoyen. Désireux d’avoir une empreinte carbone relativement faible tout en proposant des expositions de qualité et « attractives », j’ai commencé à me documenter sur le sujet et à m’inscrire dans les projets qui portaient sur le sujet. Je m’appuie également sur le retour d’expérience de mes collègues afin de transposer leur démarche, de l’adapter voire de l’améliorer lorsque cela est possible ou nécessaire. Bien qu’il n’y ait aucune directive réelle sur le sujet à l’échelle des petits territoires, réfléchir à des processus vertueux est un exercice qui, même intellectuellement, est extrêmement enrichissant.
  37. On pense par exemple ici aux choix dans les thématiques d’expositions temporaires.
  38. On entend ici qu’il est difficile de lisser l’impact environnemental sur une période inférieure comprise entre 9 et 18 mois.
  39. Les élus n’ont pas fixé de chiffres de fréquentation à atteindre en début d’année, mais la ville a tendance à perdre des habitants et à perdre en fréquentation. Le musée est un des lieux qui permet de générer des flux dans le secteur, avec le parc animalier (qui est très visité).
  40. C’est le rôle des pays d’Art et d’Histoire, mais ces derniers ont parfois du mal à exister.

    Pour citer cet article : Tony Fouyer, "L’exposition en réseau. Une solution éco-responsable à développer ?", exPosition, 6 décembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/fouyer-exposition-en-reseau/%20. Consulté le 22 décembre 2024.

L’écoresponsabilité des expositions : au-delà des mesures techniques, une révolution axiologique

par Céline Schall

 

Céline Schall est docteure en Sciences de l’Information et de la Communication (France) et PhD. en Muséologie, Médiation, Patrimoine (Canada). Ses travaux de recherches ont d’abord porté alors sur les publics de la culture et la notion de médiation de la culture. Elle est actuellement chercheure à l’Institut d’Histoire de l’Université du Luxembourg, et financée par la Ville d’Esch-sur-Alzette pour développer des recherches sur la transition écologique et sociale de la culture. Elle s’intéresse donc notamment aux changements de pratiques professionnelles dans le secteur culturel, induits par la transition. Elle est actuellement en charge des recherches-actions du projet Interreg Atract-AB (lien : https://zf-interreg.gectalzettebelval.eu/atract-ab/). —

 

L’écoresponsabilité des expositions et des musées est un sujet dont l’importance et la visibilité ont été accentuées par la crise sanitaire de 2020. Cette contribution vise modestement à synthétiser les questions que pose la transition de l’exposition : pourquoi et comment favoriser la transition de l’exposition ? Que manque-t-il au secteur pour y parvenir ? Nous explorerons d’abord les liens entre exposition et environnement (1) puis les leviers d’action connus pour opérer cette transition (2), pour enfin identifier les principaux freins existants (3). En conclusion, nous tenterons de dessiner les chantiers prioritaires qu’on pourrait opérer, notamment au sein d’organes de recherche comme l’Université.

1. Les liens entre exposition et environnement

Le rapport entre l’exposition et ce qu’on peut appeler la « crise environnementale » (c’est-à-dire non seulement le changement climatique, mais aussi par exemple l’érosion de la biodiversité, la disparition d’écosystèmes ou la pollution du sol, de l’eau et de l’air) est double : l’exposition est un média puissant pour sensibiliser les publics, mais elle est aussi une pratique problématique pour l’environnement.

L’exposition, une chance pour l’environnement

L’exposition peut être considérée comme un dispositif spécifique de plusieurs points de vue[1]. Une de ces spécificités est qu’elle met en relation des visiteurs et des objets dans un même espace. L’authenticité des objets exposés et la véracité des savoirs mobilisés sont des éléments importants du pacte de confiance qui se tisse avec le visiteur[2]. Les publics considèrent d’ailleurs ces derniers comme des sources d’information crédibles[3].

Par ailleurs, si, longtemps, l’exposition[4] a tenu à distance les émotions, « au motif qu’elles troublaient la compréhension et les apprentissages des visiteurs », on observe depuis une vingtaine d’années un « tournant émotionnel » en sciences humaines et sociales : dans les expositions, l’émotion devient « un moyen pour susciter une empathie […] et atteindre des objectifs comportementaux, éducatifs, civiques, voire moraux, de transformation des attitudes et des représentations[5] ». Notamment, la stratégie qui consiste à rapprocher, confronter, ou simplement mettre en parallèle les arts contemporains et les sciences ou techniques permet de « sensibiliser les visiteurs, par l’émotion esthétique, à un sujet politique ou social », même si, comme le montrent les auteurs, les effets ne sont pas mécaniquement assurés.

Ainsi, quand l’exposition porte un discours positif sur l’environnement pour sensibiliser les visiteurs à sa valeur, ou alerte sur l’état de la planète, elle peut jouer sur plusieurs registres : la diffusion de connaissances scientifiques (registre cognitif), le réveil d’émotions positives à l’égard du Vivant ou négatives à l’égard des causes de sa détérioration (registre affectif) ou le changement de comportements (registre conatif), le tout en utilisant une vaste palette de textes, images, sons, lumières, ou même odeurs, sensations… Cette médiagénie[6] de l’environnement dans l’exposition explique, au moins en partie, la forte visibilité de l’activisme environnemental dans les musées.

Ainsi, de nombreuses expositions portent ou ont porté, depuis des décennies, ce discours de sensibilisation : l’art contemporain dénonce volontiers les effets destructeurs du capitalisme sur la nature, des expositions scientifiques dans les aquariums ou les musées de sciences naturelles décrivent l’écocide actuellement mené par l’Homme, des expositions d’architecture montrent les transformations à opérer pour créer des constructions durables, des expositions scientifiques et techniques montrent les ordres de grandeur de l’impact environnemental des activités, etc.

À côté des expositions qui thématisent directement la crise environnementale, certaines créent des univers ou des récits décarbonés, qui valorisent des mondes inclusifs, divers, des temporalités plus longues, des distances plus proches. À l’inverse, certaines expositions (d’art contemporain surtout) prennent pour objet des mondes dystopiques plus ou moins clairement reliés aux problèmes climatiques. Et, quand l’environnement n’est pas le sujet de l’exposition, c’est aussi un nouveau lien aux objets de musées qui est mis en place, comme au musée des Beaux-Arts de Montréal, qui illustre des objets en ivoire par une vidéo sur le braconnage[7] et questionne ainsi la dimension patrimoniale d’un objet à l’aune de questions écologiques.

Les études de réception menées sur ces expositions montrent qu’elles remplissent un rôle de sensibilisation[8], même s’il n’a pas encore été prouvé, à notre connaissance, qu’elles infléchissent aussi les comportements des visiteurs à long terme.

On pourrait toutefois objecter que les publics libres des expositions et musées (c’est-à-dire les publics « non-captifs ») font plutôt partie de catégories sociales dotées d’un fort capital économique et culturel[9], alors que ce sont les mêmes personnes qui se soucient déjà le plus de l’environnement[10] et donc s’interroger sur l’efficacité de ce média à convaincre des personnes « pas encore convaincues ».

Deux pistes de réponse peuvent être données : d’abord, les expositions hors-les-murs, dans l’espace public, peuvent, dans certaines conditions, toucher des catégories plus larges de publics[11] ; et ensuite, les publics déjà convaincus sont aussi ceux qui doivent faire le plus d’efforts pour réduire leur empreinte écologique[12]. Leur proposer d’autres imaginaires n’est donc pas inutile. Par ailleurs (et c’est un point important), on sait que les catégories les plus défavorisées économiquement sont aussi celles qui sont et seront les plus touchées par les effets de la crise écologique[13]. La transition écologique (de l’exposition notamment) se double donc nécessairement d’une transition sociale : l’ouverture et l’inclusivité de l’exposition en sont des enjeux centraux.

L’exposition, un problème pour l’environnement

Le secteur de l’exposition est particulièrement actif et se développe. Depuis une trentaine d’années, le nombre de musées dans le monde a explosé : l’organisation internationale des musées (Icom) en compte plus de 104.000 en 2015[14]. L’exposition est aussi un secteur qui emploie des scénographes, conservateurs, médiateurs, régisseurs, personnel d’accueil mais aussi – en « dehors » des personnels des institutions – critiques d’art, artistes, conservateurs / commissaires / médiateurs indépendants, collectionneurs, étudiants ou chercheurs es sciences de la culture. Les expositions contribuent directement ou indirectement à près de 10% de toute l’activité culturelle en France, avec un poids économique direct considérable : « Avec 12.300 expositions culturelles par an en moyenne, le secteur de l’exposition a engrangé presque 117 millions de visiteurs pour l’année 2019. Par comparaison, c’est plus que le théâtre (11 millions), et cela représente plus de la moitié des entrées au cinéma (213,2 millions)[15]. »

Cette vitalité explique l’empreinte environnementale significative du secteur. Si elle est difficile à évaluer de manière précise, une étude estime que l’empreinte carbone mondiale du monde de l’art serait de l’ordre de 70 millions de Tonnes Équivalent CO2 par an[16]. En France, le collectif Les Augures estime qu’un grand musée émet environ 9.000 tonnes de CO2 par an, soit l’empreinte annuelle de 800 Français[17]. Ces chiffres, même s’ils sont indicatifs, pointent le rôle du secteur de l’exposition dans la production de gaz à effet de serre. Par ailleurs, elle contribue aussi à la pollution, l’appauvrissement des sols, la raréfaction des ressources, l’écocide, etc.

Le rapport Décarbonons la culture !, produit par le « laboratoire d’idée » ou « Think tank » Shift project[18], propose, à notre connaissance, la meilleure synthèse des éléments des expositions qui sont les plus problématiques en termes d’atteinte environnementale. On peut les synthétiser ainsi : la mobilité est le premier poste émetteur de gaz à effet de serre (GES) pour l’exposition – celle des publics, puis (largement derrière en général), le transport, le conditionnement et le convoiement des œuvres. Cette mobilité des publics peut représenter plus de 90% du bilan carbone d’un très grand musée. Vient ensuite la question des bâtiments et spécifiquement la consommation d’énergie (éclairage, chauffage / climatisation), liée à des normes internationales de conservation (température constante de 20 degrés et hygrométrie de 50%). On trouve après la question des matériaux utilisés pour les expositions, qui peuvent être très émetteurs de GES et polluants (la moquette, le polyane par exemple) ou qui ne sont pas spécifiquement émetteurs de GES, mais qui peuvent être un facteur de déforestation (ce qui accentue évidemment le problème climatique), de pollution ou de consommation d’eau (c’est le cas par exemple des cimaises en bois aggloméré). Enfin, les questions de l’alimentation, des achats, de la consommation d’eau, du traitement des déchets ou du numérique pourraient constituer une quatrième catégorie, moins impactante en proportion, mais toutefois significative.

Évidemment, ces impacts varient en fonction du type de structure, de la nature du bâtiment ainsi que de la programmation ou surtout de la visée internationale ou locale de l’institution. Ainsi, plus le musée vise une audience internationale et plus la mobilité des publics représente un enjeu important. C’est le cas (souvent cité) du Louvre, qui impute 98% de son bilan carbone aux déplacements de ses visiteurs. Par comparaison, la Réunion des Musées Nationaux Grand Palais n’impute qu’un tiers de son bilan carbone à la mobilité des publics.

Les évolutions du secteur observées ces dernières décennies vont dans le sens d’une aggravation de ces impacts. Le rythme des expositions temporaires et des événements s’est fortement accéléré, pour répondre aux attentes d’un système économique toujours plus exigeant. En 2013 déjà, Daniel Jacobi posait la question du sens d’une « accélération, qui dépasse le rythme d’adaptation des acteurs qui sont censés la faire vivre » et d’un musée qui, dans ces conditions, ne peut plus être « en phase avec ses missions premières[19] ».

À l’accélération tendancielle du nombre d’expositions et, conséquemment, au raccourcissement de leur durée, on peut ajouter une logique d’événementialisation croissante avec de plus en plus d’expositions blockbusters qui mobilisent des publics internationaux dans une optique de visibilité des territoires.

L’augmentation de la place du numérique (numérisation des œuvres et des expositions, dispositifs de médiation, NFT, metaverse, etc.), accentuée par la crise sanitaire de 2020, est aussi une partie du problème, alors qu’elle est souvent présentée comme une solution, via par exemple la visite d’expositions à distance ou encore la création d’expositions numériques.

Enfin, on peut penser que, dans le contexte de marchandisation des expositions qui est le nôtre, les musées, centres culturels et a fortiori les galeries collaboreraient peu les uns avec les autres, et encore moins à l’échelle d’un territoire réduit. Cela conduirait à une absence de coordination pour la circulation des œuvres, des expositions ou même des artistes invités.

Du côté des personnels, l’épuisement est palpable dans une partie des institutions[20] : il est notamment dû à l’externalisation des métiers de l’entretien, de la sécurité, mais aussi des équipes techniques, de montage, de transport et de médiation, et à leur précarisation, et aussi à une baisse des effectifs et des moyens pour réaliser de plus en plus d’événements[21].

Du côté des publics, il n’a pas été prouvé que cette accélération puisse générer une démocratisation des musées ou expositions[22] : comme dit précédemment, la réponse à l’offre culturelle reste plus forte parmi les catégories sociales disposant d’un revenu plus élevé et chez les personnes ayant un haut niveau de scolarité[23]. Se pose alors, à nouveau, la question du sens de ces évolutions.

L’enjeu éthique lié à la destruction du Vivant devrait donc à lui seul motiver une (ré)action massive et immédiate du secteur. Mais cet enjeu n’est pas le seul qui pourrait provoquer cette action immédiate. La raréfaction des ressources énergétiques (pétrole / gaz) et le réchauffement climatique pourraient conduire prochainement à une série de problèmes pour l’exposition : impossibilité de déplacer des œuvres et surtout des publics, coupure d’énergie (et donc problème de conservation mais aussi fermeture[24]) ou encore multiplication de crises sanitaires (et donc fermetures répétées). Enfin, des coupes budgétaires sont à craindre pour un secteur qui n’est (on en est maintenant certains) pas un « secteur prioritaire ». En somme, si l’exposition doit fournir des efforts pour minimiser ses atteintes au Vivant, ce n’est pas que par souci éthique : c’est une question de survie, surtout pour les petites et moyennes structures.

2. Les leviers d’action

Le rapport du Shift Project en France, Décarbonons la culture ! est un outil fondamental pour mettre en place des mesures écoresponsables pour le secteur culturel. D’autres outils existent aussi, spécifiquement adaptés à l’exposition : les chartes, labels et guidelines ne manquent pas[25] et plusieurs structures comme Les Augures, Karbone Prod, Solinnen, Art of Change 21, ou des écoconseillers accompagnent les musées dans leur transformation.

Sans viser l’exhaustivité, examinons quelques dynamiques de transformation nécessaires et des exemples de mesures à appliquer en fonction de la simplicité de leur mise en œuvre et de leur impact.

Les dynamiques et mesures

Le rapport Décarbonons la culture ! propose d’inscrire le secteur culturel dans quatre dynamiques générales : relocaliser les activités ; ralentir les déplacements ; diminuer les échelles (des jauges notamment) et écoconcevoir.

Ces dynamiques traversent quatre types de mesures à mettre en place :

1) les mesures dites « transparentes[26] » (court terme, faciles à mettre en œuvre) consistent par exemple à rédiger une charte d’engagement ou à substituer les protéines animales par des protéines végétales dans les menus proposés aux personnels et publics. On pourrait y adjoindre une série de gestes essentiellement techniques, comme le tri des déchets, l’alimentation locale, le remplacement des dispositifs énergivores par des appareils basse consommation, etc.

2) Les mesures « positives » (assez faciles à mettre en œuvre) recouvrent : l’adjonction de critères environnementaux pour les sous-traitants et fournisseurs ou dans le processus de recrutement, la formation des personnels et futurs engagés aux enjeux de la transition, l’accroissement des échanges entre le secteur professionnel et le monde de l’enseignement, la valorisation des mobilités décarbonées à destination des publics, le recours aux ressourceries pour la création des muséographies, la mise en vente de produits dérivés à faible impact, etc.

3) Les mesures dites « offensives » (qui supposent de réorganiser les modes de travail) peuvent être : la mise en place d’une stratégie de production des expositions incluant les enjeux de la transition, le travail sur la performance énergétique des bâtiments (y compris des mesures de conservation), la prise en compte du budget carbone des expositions temporaires, l’écoconception des expositions, le groupement des transports d’œuvres, la modification des pratiques de transport et de convoiement des œuvres et de déplacement des publics, l’assouplissement des normes internationales de conservation, ou encore la diminution du nombre d’expositions temporaires et l’allongement de leur durée. En outre, on pourrait ajouter que la transition écologique ne se fera pas sans une transition sociale : l’inclusion des publics et l’engagement de l’institution dans le sens du care[27] est une nécessité qui suppose notamment tout un travail sur la chaîne d’accessibilité des expositions.

4) Les mesures dites « défensives » enfin impliquent un renoncement au transport de certaines œuvres (venant de loin ou pour un temps très court), à des matériaux carbonés, à certaines technologies (UHD, 4K ou 8K, vidéos en ligne), ou à des innovations technologiques carbonées (NFT par exemple). Béatrice Josse promeut par exemple la notion de « désinnovation » : il s’agit d’abandonner certaines innovations qui, par ailleurs (c’est nous qui l’ajoutons), peinent souvent à montrer un effet positif sur les publics[28]. On pourrait aussi citer le renoncement aux logiques d’exclusivité par la mise en place de la circulation d’expositions, via ce qu’on pourrait appeler la « coprogrammation », c’est-à-dire le fait de programmer dans plusieurs institutions une exposition, afin d’allonger sa durée de vie et de la diffuser mieux dans le territoire (et donc baisser les mobilités des publics[29]). On peut citer également le renoncement à la course à la fréquentation. L’abandon de certains financements du privé (des mécènes pollueurs adeptes d’artwashing[30]) est un sujet aussi important qu’épineux. Enfin, un ralentissement important, marquant, des activités (mais sans baisse de personnel) aurait aussi un impact sur le bien-être des personnels et des publics.

Ce qu’il reste à faire

On sait donc ce qu’il faut faire. Muni de ces outils, en toute logique, en quelques années, ce secteur devrait baisser drastiquement son atteinte à l’environnement et même participer à la transition écologique et sociale en créant, diffusant ou renforçant des imaginaires qui valorisent le respect du Vivant. Combien d’institutions ont effectivement pris ce chemin ?

En l’absence d’une étude quantitative sur le sujet, il est difficile d’estimer l’état d’avancement des institutions. En France par exemple, les « petits gestes » sont anciens, mais les actions d’ampleur sont plus récentes : le Louvre a été le premier musée à créer le poste de chargé de développement durable en 2011. Dernièrement, plusieurs musées comme le musée du Quai Branly ont signé la charte de Développement durable des Établissements et Entreprises publics ou se sont engagés dans un processus de labellisation européenne, et des musées plus petits écrivent leur propre charte. Autres exemples : Paris Musées réutilise désormais « entre 60 et 95% du matériel de ses expositions[31] » et le musée des Beaux-Arts de Lille est passé de deux expositions par an à une tous les deux ans, avec des éléments de scénographie réutilisés à 70% grâce à une ressourcerie. Au Palais de Tokyo enfin, on ne climatise plus les salles du rez-de-chaussée, situées sous des verrières : on les ferme une partie de l’été pour cause de fortes chaleurs et les expositions descendent au sous-sol. Les plus grands musées du monde réalisent et publient leur bilan carbone. Passées une certaine taille, toutes les institutions comptent désormais, dans leur équipe, des responsables RSE-RSO, voire des départements entiers dédiés à l’écoresponsabilité (même si le personnel éprouve parfois des difficultés à se former). À un autre niveau, le Conseil international des musées (Icom) propose des séminaires sur la durabilité (par exemple sur l’épineuse question des normes de conservation).

Les actions des musées semblent s’accélérer depuis la crise sanitaire et, dernièrement, face aux alertes qui se multiplient (crise énergétique, interpellations directes du monde de l’art, activistes écologistes exaspérés…). Si le sujet semble donc pris en charge par les plus grandes institutions, souvent avec sincérité dans la démarche, on observe néanmoins que 1) rares sont celles qui bouleversent leur façon de faire et vont jusqu’à des mesures offensives ou défensives : la plupart, par exemple, n’abandonnent pas les expositions temporaires internationales ; et 2) ce n’est pas encore le cas de tous les musées du monde et spécifiquement pas des structures plus petites ou moins visibles. Comment peut-on l’expliquer ?

3. Les principaux freins à l’action

En dehors du secteur culturel, Aurélien Barrau, sommé de répondre à la question « pourquoi ne fait-on rien[32] ? », cite différents blocages à l’action : la mécompréhension de la situation, le fait que les pouvoirs publics donnent l’illusion d’une transition qui n’existe pas, la bêtise de certains médias, le fait qu’il soit plus confortable de s’enfermer dans la négation, les échelles de temps géologiques qui ne coïncident pas avec le calendrier politique, le fait que nous ayons développé des dépendances qui échappent à notre contrôle, etc. Il est vraisemblable que ces freins expliquent aussi ceux du secteur culturel et spécifiquement du secteur de l’exposition. Mais dans ce dernier secteur, y aurait-il des freins plus spécifiques ? Nous pensons que oui, d’après les échanges formels et informels que nous avons eus avec ses acteurs. Il faudrait évidemment le vérifier scientifiquement pour affirmer et quantifier ces tendances : les pistes qui suivent sont issues d’une pré-étude sur le sujet.

Il existe d’abord des difficultés liées à des règles établies, nationales ou internationales, non compatibles avec les recommandations connues. C’est le cas par exemple des conditions de conservation (température et hygrométrie), de transport (conditionnement et convoiement) ou même de prêt des œuvres (certaines ne sont pas empruntables plus de 3 mois). Même si elles sont actuellement discutées, ces normes ne changent pas aussi vite que nécessaire[33].

L’idée selon laquelle ce n’est pas au secteur culturel de fournir des efforts, mais bien d’abord aux secteurs de l’industrie ou de l’agriculture, par exemple, est répandue dans le secteur culturel. Elle est d’ailleurs reliée à la suivante : on demande toujours beaucoup au secteur culturel et au musée. Comme en témoignent les différentes définitions dont il fut l’objet au cours de ce dernier siècle[34], ses missions ont évolué considérablement et ce qu’on attend de lui semble parfois extrêmement ambitieux. Les adaptations à faire pour une transition représentent encore une nouvelle série de bouleversements dont on peut comprendre qu’ils soient difficiles à mettre en place, surtout au vu de leur ampleur.

Très directement en lien avec cette (r)évolution du musée et la multiplication des missions qu’on lui impute, le manque de temps et de personnel est un frein puissant à l’enclenchement d’une transition du musée. Dans les petites et moyennes structures, un poste est rarement dédié à la transition et, même si c’est le cas, il est difficile de former l’ensemble du personnel…. déjà sous pression et débordé par son travail quotidien. Par ailleurs, engager un musée dans la transition suppose non seulement de mettre en place des « petits gestes » liés au tri ou à l’énergie, mais surtout un changement profond de politique au sein de l’institution. Le travail à réaliser à tous les niveaux et dans tous les métiers est donc considérable.

La transition est aussi parfois vue comme un « prétexte » pour justifier une politique d’économie. C’est le cas par exemple dans le spectacle vivant, qui craint un soutien moindre aux artistes avec l’argument (néanmoins bien réel) d’une surproduction. Dans le secteur de l’exposition, l’augmentation des jours de fermeture, la baisse des budgets pourraient également être en réalité des « prétextes » pour réaliser des économies.

Le manque d’informations ou de connaissances, également, est flagrant au sein du secteur culturel et de l’exposition. Les professionnels de la culture sont, certes, sensibles aux problématiques environnementales, mais en méconnaissent les enjeux : près de 88 % des professionnels et étudiants interrogés n’ont reçu aucune formation initiale ou continue aux « enjeux énergie-climat », même si 88 % des mêmes interrogés souhaitent être formés à ces enjeux[35].

Ce manque de formation pourrait d’ailleurs expliquer un sentiment d’impuissance, notamment face à l’enjeu majeur de la mobilité des publics. Ainsi, le bilan carbone d’un ensemble de grands musées indiquait en 2016 dans son introduction : « bien que les émissions de GES liées aux visiteurs aient été calculées, il a été choisi de prendre un périmètre d’analyse restreint ne prenant pas en compte ces émissions sur lesquelles il est difficile voire impossible d’agir. » (nous soulignons). Évidemment, il existe de nombreux leviers pour jouer sur la mobilité des publics et les institutions doivent prendre leur part de responsabilité dans ce problème. Toujours est-il que ce sentiment est un frein puissant.

Les institutions culturelles et notamment les musées sont aussi soumis à des injonctions contradictoires de la part des pouvoirs publics. Ils sont encouragés à opérer une transition écologique, mais aussi à l’innovation numérique, à la visibilité du territoire qui les finance, avec toujours plus d’événements, de communication, d’animations et d’expositions temporaires… Notons au passage que les injonctions contradictoires ont ceci de pervers qu’elles font reposer la responsabilité sur les destinataires de l’injonction (ce ne sont pas des ordres) et que, leur réalisation étant impossible, elles mènent à l’inconfort de ces derniers[36].

Enfin, les musées et expositions subissent aussi des pressions externes avec le désinvestissement des financements publics et l’augmentation de la part des financements privés. Or, il est difficile d’inclure, par exemple, dans une exposition sur l’espace financée par de grandes agences spatiales européennes, un discours scientifique sur les risques écologiques des voyages sur Mars…

On pourrait continuer à énumérer d’autres freins qui entravent une réelle et rapide transition du secteur. Mais, à ce niveau, nous retiendrons que :

1) la relative lenteur de la transition dans le secteur de l’exposition est le fruit de multiples freins : une action sur plusieurs plans, plusieurs échelles et avec plusieurs méthodes, auprès de plusieurs acteurs, est donc nécessaire.

2) On ne se forme pas parce qu’on n’est pas informé ; on n’est pas informé parce qu’on n’a pas le temps de se tenir informé ; on n’a pas le temps parce qu’on est tenu de travailler de plus en plus vite et de « produire » de plus en plus (notamment de plus en plus d’expositions temporaires), etc. – il semble évident que l’état d’épuisement du secteur (et de ses acteurs) ne constitue pas un terreau fertile à la réflexion et à l’action.

3) On l’a vu : même si des freins exogènes existent et sont puissants (injonctions, manque de temps et de personnel, manque de formations, rapports de force avec les financeurs, etc.), il existe aussi de nombreux freins endogènes, liés au ressenti ou aux représentations des professionnels eux-mêmes (peur du changement, méconnaissance des enjeux, etc.).

Pour toutes ces raisons, la transition écologique et sociale ne peut pas se décider : elle doit s’accompagner. Plus exactement, on peut décider de mettre en place des « petits gestes » techniques, mais qui ont peu d’impact réel sur le bilan environnemental de l’institution. Mais la mise en place de véritables mesures ayant des effets importants et à long terme (« offensives » et « défensives ») requiert un bouleversement des valeurs, de l’ethos professionnel et des « repères », et donc, une véritable transformation axiologique, c’est-à-dire une transformation des valeurs sociologiques et morales, qui sous-tendent les discours et les actions.

C’est une « révolution du désir » qu’il faut opérer selon Aurélien Barrau[37], au sens deleuzien, « c’est-à-dire en tant que valeur propre et non comme simple mode d’accès au plaisir ». La question de la coopération avec les autres institutions par exemple suppose un changement complet de praxis professionnelle et de mentalité. Un long travail autour des croyances est donc à opérer, à l’heure où on demande aux formations professionnelles des connaissances de plus en plus directement « applicables » et « pratiques ».

La notion de « permaculture institutionnelle », inventée au palais de Tokyo[38] et ensuite largement reprise par d’autres institutions, soutient, en partie au moins, cette idée de changement total de valeurs. Guillaume Désanges la définit comme une philosophie qui s’élabore dans le temps long, censée déboucher sur un changement institutionnel, qui envisage « des modes de pensées plus globaux, des perspectives plus longues, des philosophies de travail ». Elle repose notamment sur le partage et la collaboration plutôt que la concurrence, le temps long, la recherche de la diversité artistique et surtout sur un questionnement global : pour quoi agissons-nous ? Le curateur renouerait alors avec son rôle premier de « celui qui prend soin » (curateur vient du latin curator, qui signifie « soigner », « prendre soin de »), non seulement des œuvres, mais aussi des artistes, des personnels et des publics. Repenser les missions et les fonctionnements des institutions, c’est plus qu’un ensemble de règles à établir, comme l’écrit Guillaume Désanges dans son Traité, « c’est une éthique, un esprit insufflé à l’ensemble de l’institution : de la communication au bâtiment, du management à la programmation ».

Conclusions et pistes de réflexion

Comme on le voit, la question de la transition de l’exposition dépasse de loin la seule mise en place de mesures techniques de décarbonation : le problème est plus large, les solutions plus difficiles. En somme, le tournant attendu de l’exposition questionne tout son fonctionnement actuel et notamment le modèle des grands musées qui reposent entièrement sur des expositions et des publics internationaux.

Mais, à y regarder de plus près, la transition écologique et sociale apparait aussi comme un levier pour renégocier des enjeux anciens ou plus récents, comme ceux liés à l’entrée des musées dans une logique commerciale. En d’autres termes, remettre en cause le musée ou l’exposition tels qu’ils sont aujourd’hui serait difficile sans cette urgence d’agir. Il y a donc là une « occasion » à saisir : l’exposition doit se métamorphoser si elle veut survivre à long terme.

Quelle serait alors la stratégie à mettre en place pour opérer ce changement axiologique au sein des expositions ? La transition doit être menée de façon coordonnée, sur plusieurs fronts et à plusieurs échelles du territoire et des institutions. Les outils existent. Il est nécessaire de les utiliser et d’inciter le secteur à les utiliser, notamment, on peut le penser, en encourageant les efforts des structures engagées dans la transition, par de nouveaux soutiens.

Dans le milieu de la recherche (notamment à l’Université, mais aussi au sein de structures de recherche indépendantes), il nous semble que deux mouvements pourraient être centraux dans la transition, mais restent encore à développer.

1) Il faut coordonner des recherches-actions[39] pluridisciplinaires pour montrer les effets (techniques, sociétaux, psychologiques…) des changements attendus de la transition, au sein par exemple d’une équipe mixte, pluridisciplinaire et internationale ou d’équipes locales, mais toujours en lien avec le territoire et ses acteurs. Il est nécessaire d’évaluer scientifiquement l’effet de certaines actions sur le bilan environnemental d’une institution ou sur la conservation des œuvres : l’effet du ralentissement du rythme des expositions sur les personnels et les publics, des coprogrammations sur la fréquentation ou sur la mobilité des œuvres et des publics, de la relocalisation sur la participation culturelle ou, plus globalement encore, la congruence des intérêts écologiques et des intérêts des publics, des personnels,, etc. Même si certaines de ces hypothèses étaient invalidées, il serait pertinent de connaître les effets réels de ces changements pour que les institutions choisissent ou non, mais en toute connaissance de cause, de bouleverser leurs pratiques. De même, il faut systématiser les évaluations des dispositifs dits « innovants » afin de stopper la course à l’équipement parfois sans fondement à laquelle on assiste depuis des décennies ou pour la réorienter en questionnant nos objectifs. Enfin, des critères de réussite qui supplantent la fréquentation et le succès commercial seraient encore partiellement à inventer ou du moins à renforcer.

2) Les résultats de ces recherches doivent être diffusés largement. La formation des personnels et des publics doit être renforcée par la mise en place de programmes à différentes échelles du territoire et par leur communication massive. Cette formation ne doit pas uniquement être technique (les « petits gestes » directement applicables) et ne doit surtout pas évacuer la question des valeurs. Par ailleurs, les personnes à former doivent d’abord être celles qui ont un pouvoir de décision : à l’intérieur des institutions, non pas les responsables « durabilité » mais bien celles en charge de la politique générale de l’institution ; et au sein des pouvoirs publics, les élu∙e∙s en premier lieu.

Il nous semble que ces deux actions permettraient de lever certains freins (blocages légaux, peur de la transition comme prétexte, manque d’informations / de connaissances, sentiment d’impuissance, injonctions contradictoires…). En ce sens, l’Université a un rôle important à jouer dans cette question, en partenariat avec l’exposition et ses acteurs. Encore faut-il cependant qu’elle aussi s’interroge sur les changements de valeurs qu’elle doit opérer, mais il s’agit là d’une autre histoire…

Notes

* Tous les liens URL ont été consultés en novembre 2024.

  1. Davallon J., L’exposition à l’œuvre : stratégies de communication et médiation symbolique, Paris, L’Harmattan, 1999.
  2. Gob A., Drouguet N., « Les publics des musées », Gob A., Drouguet N. (dir.), La muséologie, Paris, Armand Colin, 2021, p. 137-160.
  3. Le projet Repenser les musées au Canada s’appuie sur une enquête qui montre que les musées sont des sources d’information crédibles pour 86% des interrogé·e·s, contre 48% pour les journaux papier. Loewen C., «Reconsidering Museums», Muse, automne 2021, en ligne : https://museums.ca/site/reportsandpublications/museonline/fall2021_reconsidering_museums.
  4. Les auteurs se réfèrent ici à l’exposition « en général » et pas seulement des expositions d’art ou de science.
  5. Crenn G., Vilatte J.-C. « Introduction », Culture & Musées, n° 36, 2020, p. 15-33.
  6. Selon la définition de Philippe Marion, la médiagénie d’un sujet définit sa capacité à « se réaliser de manière optimale en choisissant le partenaire médiatique qui [lui] convient le mieux » : Marion P., « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », Recherches en communication. Vol. 7 : Le récit médiatique, 1997, p. 61-88.
  7. Le braconnage touche des espèces sauvages, dont certaines menacées. Conséquemment, des objets de musée en ivoire ou en fourrure par exemple sont directement liés à l’écocide et à la crise environnementale.
  8. Voir par exemple : Gasc C., Serain F., « La réception d’une exposition environnementale par les adolescents », La Lettre de l’Ocim, n° 105, mai-juin 2006, p. 11-18 ; Fracchetti J., Guai P.-A., « L’influence d’une exposition environnementale sur les représentations et pratiques des visiteurs-citoyens », La Lettre de l’Ocim, n° 134, mars-avril 2011, p. 14-21, également en ligne : https://journals.openedition.org/ocim/830.
  9. Voir par exemple : Donnat O., « Démocratisation de la culture : fin… et suite ? », J.-P. Saez (dir.), Culture et société : un lien à reconstruire, Toulouse, Éd. de l’Attribut, 2008, p. 55-71.
  10. CRÉDOC, Consommation & Modes de Vie, n° 303 : Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures (dossier rédigé par Sessego V., Hébel P.), mars 2019.
  11. Voir par exemple : Chaumier S., Kurzawa M. (dir.), Le musée hors les murs, Dijon, EUD ; Ocim, 2019 ; Eidelman J., Jonchery A., « Sociologie de la démocratisation des musées », Hermès, n° 61 : Les musées au prisme de la communication, 2011, p. 52-60.
  12. CRÉDOC, Consommation & Modes de Vie, n° 303 : Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures (dossier rédigé par Sessego V., Hébel P.), mars 2019.
  13. Chancel L., Bothe P., Voituriez T., Climate Inequality Report 2023. Fair Taxes for a Sustainable Future in the Global South, World Inequality Lab, 2023, en ligne : https://wid.world/news-article/climate-inequality-report-2023-fair-taxes-for-a-sustainable-future-in-the-global-south/.
  14. Rapport UNESCO. Avril 2021 : Les musées dans le monde face à la pandémie de Covid-19, en ligne : https://www.icom-musees.fr/sites/default/files/2021-04/2e-rapport-unesco-musees-monde-face-pandemie-covid-19.pdf.
  15. Observatoire des métiers du numérique, de l’ingénierie, du conseil et de l’événement (OPIIEC) : Les besoins en emploi et compétences des métiers de la conception et du suivi de réalisation d’expositions culturelles en ligne : https://www.opiiec.fr/sites/default/files/inline-files/OPIIEC_Expositions%20culturelles%20Rapport%20final.pdf.
  16. Julie’s Bicycle: creative, climate, action, The Art of zero. An indicative carbon footprint of global visual arts and the transition to net zero, Avril 2021, disponible sur https://juliesbicycle.com/wp-content/uploads/2022/01/ARTOFZEROv2.pdf.
  17. Voir Les Augures, en ligne : https://lesaugures.com/.
  18. The Shift Project : Décarbonons la culture ! Dans le plan de transformation de l’économie française. Rapport final, novembre 2021, en ligne : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/11/211130-TSP-PTEF-Rapport-final-Culture-v2.pdf.
  19. Jacobi D., « Exposition temporaire et accélération : la fin d’un paradigme ? », La Lettre de l’Ocim, n° 150 : Demain, les musées, 2013, en ligne : https://journals.openedition.org/ocim/1295.
  20. Voir par exemple l’enquête de Sarah Bos pour l’Humanité, en ligne : https://syndicoop.info/epuisement-professionnel-absence-de-protection-sociale-derriere-le-faste-des-musees-une-precarite-a-bas-bruit/.
  21. La CGT parlait d’une baisse de 2,4 % en moyenne des effectifs en 2011 dans le secteur des grands musées parisiens. Voir en ligne : https://www.cgt-culture.fr/wp-content/uploads/2011/12/2011-12-29_-_SNMD_-_musees_-_encore_des_records.pdf.
  22. Olivier Donnat dénonce à ce propos une « thèse illusoire » qui reposerait sur une sorte de théorie du « ruissellement » : « plus l’offre culturelle sera riche, plus elle sera partagée par tous » (Donnat O. cité par Guerrin M., « Le sociologue qui casse le moral », Le Monde, 27 octobre 2018).
  23. Culture Études, n° 2 : Cinquante ans de pratiques culturelles en France (dossier rédigé par Lombarda P., Wolf L.), 2020-2.
  24. Depuis 2022, les musées de la ville de Strasbourg sont fermés deux jours par semaine pour générer plus d’économie d’énergie.
  25. Voir par exemple : la Charte de développement durable de la filière événement, en ligne : http://www.eco-evenement.org/fr/charte-23.html ; la Charte des écomusées, en ligne : https://fems.asso.fr/wp-content/uploads/2020/08/Charte-ecomusees.pdf ; la Boîte à outils sur les pratiques muséales environnementales du comité international des Musées et Collections d’art moderne, en ligne : https://www.icom-musees.fr/actualites/cimam-boite-outils-sur-les-pratiques-museales-environnementales
  26. Cette terminologie est empruntée à The Shift Project : Décarbonons la culture ! Dans le plan de transformation de l’économie française. Rapport final, novembre 2021, en ligne : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/11/211130-TSP-PTEF-Rapport-final-Culture-v2.pdf.
  27. Voir par exemple : Tronto J., « Du care », Revue du Mauss, n° 32, 2008, p. 243-265.
  28. Josse B., « Les institutions culturelles participent-elles à retarder la fin du monde ? », Intervention au cours du workshop Écoresponsabilité dans la Culture, Esch-sur-Alzette, Ministère de la Culture / KulturFabrik, 24 novembre 2022, en ligne : https://gouvernement.lu/dam-assets/documents/actualites/2022/11-novembre/28-workshop-culture/texte-beatrice-josse-esch-241122.pdf.
  29. Une plateforme visant la circulation des œuvres a été mise en place en 2023 dans le secteur des arts vivants (CooProg.eu) et, en 2024, dans le secteur des musiques actuelles. Une démarche similaire pourrait sans doute être adoptée pour certaines expositions.
  30. Ce néologisme désigne l’utilisation, par une entreprise privée, de la philanthropie et des arts pour améliorer sa réputation.
  31. Gignoux S., « Crise énergétique : les musées contraints, eux aussi, à la sobriété », La Croix, 4 octobre 2022, en ligne : https://www.la-croix.com/Culture/Crise-energetique-musees-contraints-eux-aussi-sobriete-2022-10-04-1201236099.
  32. Barrau A., « Pourquoi ne réagissons-nous pas à l’urgence climatique ? Et si nous interrogions la question ? », Univershifté, 10 septembre 2022, en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=cGn4cUc1X8o&t=0s.
  33. Pour autant, certains musées ont décidé de s’en affranchir : le musée des Beaux-Arts de Lille a fait descendre la température en hiver à 18° C dans les collections permanentes et le musée des Beaux-Arts de Dijon a pu baisser la climatisation en été dans certaines de ses salles. Ce frein n’est donc pas insurmontable.
  34. Voir par exemple : Desvallées A., Mairesse F. (dir.), Vers une redéfinition du musée ?, Paris, L’Harmattan, 2007.
  35. Réveil Culture, Étude réalisée sur 126 lieux, écoles, indépendants et acteurs institutionnels du secteur culture, en ligne : https://drive.google.com/file/d/12PdNOHS_Hh6cyKVQJdk15C92DFHel_IE/view ; Réveil Culture, Étude sur les connaissances des enjeux climatiques, en ligne : http://reveilculture.fr/?page_id=902.
  36. Voir par exemple : Bourocher J., « Injonction paradoxale », Vandevelde-Rougale A., Fugier P. (dir.), Gaulejac V. (de) (coll.), Dictionnaire de sociologie clinique, Toulouse, Érès, 2019, p. 365-367.
  37. Barrau A., Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité, Paris, Michel Lafon, 2019.
  38. Désanges G., Petit traité de permaculture institutionnelle pour un site de création contemporaine, vivant et productif, Paris, Palais de Tokyo, (n.d.), en ligne : https://palaisdetokyo.com/ressource/petit-traite-de-permaculture-institutionnelle/.
  39. Une recherche action est une recherche qui a un double objectif : « transformer la réalité (élaboration d’un outil) et produire des connaissances concernant ces transformations ». Voir Hugon M.-A., Seibel C. (dir.), Recherches impliquées, recherches action : le cas de l’éducation, actes du colloque (Paris, 22- 24 octobre 1986), Bruxelles, De Bœck Université ; Paris, Éd. universitaires, 1988, p. 13.

Pour citer cet article : Céline Schall, "L’écoresponsabilité des expositions : au-delà des mesures techniques, une révolution axiologique", exPosition, 25 novembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/schall-ecoresponsabilite-expositions/%20. Consulté le 22 décembre 2024.

Quitter la neutralité pour mieux l’atteindre ? L’exemple de l’exposition  Empreinte carbone, l’expo ! au musée des Arts et Métiers (Paris, 2024-2025)

par Anaïs Raynaud et Marjolaine Schuch

 

Diplômée de l’école du Louvre, Anaïs Raynaud est attachée de conservation et cheffe de projet au département des Expositions et des Manifestations culturelles du musée des Arts et Métiers. Avant cela, elle a travaillé au MuCEM et au musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux.

Titulaire d’un master d’Histoire des Sciences et d’Épistémologie (Université Paris Diderot), Marjolaine Schuch est cheffe de projet au département des Expositions et des Manifestations culturelles du musée des Arts et Métiers.—

Fig. 1 : Affiche de l’exposition. Agence Drôles d’oiseaux – Illustration © Dugudus

En octobre 2024, le musée des Arts et Métiers a ouvert une exposition consacrée à l’empreinte carbone (Fig. 1). C’est un événement conçu en interne par le département des Expositions et des Manifestations culturelles. En tant que cheffes de projet, nous assurons à la fois le développement des contenus – sans commissaires mais avec le soutien d’un conseil scientifique – et la création muséographique – aux côtés d’une agence de scénographie qui constitue la maîtrise d’œuvre. Nous avons par ailleurs bénéficié du mécénat de compétences d’un centre d’expertises en développement durable sur les contenus de l’exposition, notamment les quantifications qui y sont présentées. Cette exposition vise à déconstruire les présupposés et les idées reçues sur notre empreinte carbone, d’en décortiquer les mécanismes et de proposer aux visiteurs un espace de réflexion sur les actions à mener face au défi du réchauffement climatique. Le sujet, dans sa dimension scientifique et technique, s’insère logiquement dans la thématique du musée des Arts et Métiers. Cette institution, anciennement musée national des techniques, conserve et expose des jalons de l’histoire scientifique française et européenne. De la pascaline au cyclotron en passant par le cinématographe ou l’avion d’Ader, ces collections comptent près de 80 000 objets. La Révolution industrielle y tient une place importante, du fait d’un essor important de l’institution et de sa maison-mère, le Conservatoire national des arts et métiers, au XIXe siècle, essor tourné en partie vers l’exaltation de la puissance industrielle française (Fig. 2).

Fig. 2 : Vue de la scénographie : introduction historique « À la source… des énergies » © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Le projet répond à un triple objectif : accompagner nos visiteurs vers le changement, relire les collections du musée à l’aune de cette question d’actualité et repenser nos pratiques professionnelles pour construire un musée plus en phase avec les principes du développement durable.

Cet objectif multiple nécessite de revoir un certain nombre de nos pratiques et de nos conceptions habituelles, en évitant un discours descendant que les visiteurs reçoivent au cours d’une visite passive ou à sens unique. Nous interrogeons également la position depuis laquelle nous, en tant que muséographes, approchons le sujet, imaginons des façons différentes de rapprocher un sujet et son public, plus proches, plus liés, plus engagés. Pour cela, il semble nécessaire de questionner deux valeurs encore souvent aujourd’hui cardinales pour les musées : l’objectivité et la neutralité. Nous rapprochant des musées de société ou des centres de culture scientifique et technique, qui assument leur subjectivité et leur engagement, nous souhaitons être acteurs du changement et partie prenante sur des questions de société[1]. Quitter la neutralité[2], avec tout ce qu’elle comporte de biais, conscients ou non, et arrêter de survoler les débats, de se penser au-dessus de la mêlée. Traiter un sujet comme celui de l’empreinte carbone est au contraire l’occasion de montrer que le musée, et ceux qui y travaillent, sont concernés et partagent les mêmes difficultés à penser et à s’engager dans le changement.

Engager les visiteurs

Avec ce projet, nous souhaitons nous éloigner d’un discours à sens unique, descendant, et d’une expérience de visite trop fléchée. Pour des raisons de contexte contraint, notamment d’une temporalité trop resserrée, nous n’avons pas pu engager un véritable processus de co-construction avec des groupes extérieurs au musée. Malgré cela, nous visons un fort engagement de nos visiteurs et nous avons l’ambition de leur proposer une exposition qui permette une mise en action, individuelle et collective, ce collectif nous incluant. Pour cela, il faut que les visiteurs aient de la place et des outils pour construire du sens, développer leurs réflexions et faire grandir leurs envies d’agir.

Nous avons souhaité nous placer dans une position ouverte, où le musée n’est pas le seul détenteur du savoir mais plutôt une ressource à partir de laquelle des points de vue et des positions peuvent émerger, avec autant de légitimité. Il s’agit ici de partager la production des savoirs et de déconstruire la position dominante du musée dans son rapport à son public. L’avis des visiteurs compte, que celui-ci soit motivé, argumenté, construit, ou plus émotionnel et sensible. Ces deux registres de réaction sont valables et il est possible ensuite d’en tirer du sens. Nous nous sommes inspirées de la notion de convivialité développée par Ivan Illitch[3], en créant un lieu d’échange et de discussion sans hiérarchie.

Fig. 3 : Dispositif « La caisse carbone » et ses deux modes de jeu © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Comment ouvrir la production de discours, et donc de sens, aux visiteurs ? Dans l’exposition, cela passe par des dispositifs semi ou peu directifs qui permettent l’expression du public. Deux d’entre eux sont particulièrement structurants dans le parcours : l’un situé au milieu du parcours, la « caisse carbone », l’autre en fin de visite, le jeu de rôle « Futurs en construction » (Fig. 3). Le premier invite les visiteurs à choisir entre trois thématiques (l’habitat et l’équipement de la maison, les déplacements, l’habillement) et à scanner des objets pour en découvrir l’empreinte carbone. Les visiteurs sont ensuite invités à modifier ou non leurs choix en renonçant à certains objets ou en adoptant des alternatives. Il n’y a pas d’objectif explicite qui préside aux choix, les visiteurs sont invités à sélectionner les objets qui leur plaisent et qui correspondent à leurs pratiques. En associant visualisation du poids des choix et possibilité ouverte de les modifier, nous cherchons à éviter la posture du bon élève essayant de réussir le test mais plutôt à encourager les visiteurs à se questionner et à interroger leurs propres usages. Le second dispositif propose aux visiteurs d’incarner un industriel, un politique ou un citoyen devant décider de grandes orientations dans trois domaines d’émission : les transports, l’alimentation et le logement (Fig. 4).

Fig. 4 : Dispositif « Futurs en construction » © Musée des arts et métiers-Cnam/photo Frédérique Toulet

Leur objectif commun est de réduire l’empreinte carbone collective située au centre du dispositif. À chaque tour de jeu, ils choisissent entre trois options, spécifiques à chaque rôle et à chaque tour de jeu. L’une des options maintient la situation actuelle, la deuxième initie un changement et la troisième s’engage plus franchement dans le sens d’une réduction des émissions. Chaque option s’accompagne d’informations complémentaires sur les avantages et les inconvénients. En apportant de la nuance et en élargissant à d’autres incidences que les seules conséquences environnementales, ces informations supplémentaires rendent la prise de décision moins évidente. Les visiteurs peuvent ainsi choisir de contribuer à l’objectif général ou de poursuivre des objectifs individuels. Chaque tour de jeu se termine par un sondage de satisfaction. Les joueurs expriment leur niveau de satisfaction face à l’évolution de la situation commune, c’est-à-dire de l’objectif de réduction de l’empreinte carbone. Si ce niveau est insuffisant et que l’insatisfaction gronde, le jeu est menacé et peut ne pas aller à son terme. Les visiteurs sont invités à faire attention aux affects des autres et à exprimer leur ressenti individuel sur la façon dont le jeu se déroule. Ainsi, ce sont eux qui fixent, en partie, la difficulté du jeu et son issue.

Ces deux dispositifs laissent ainsi de la place aux visiteurs pour qu’ils puissent construire et développer leurs opinions, y compris dans la défiance, le rejet et l’alternative.

D’autres interactifs permettent aux visiteurs de s’approprier (ou non) le propos de l’exposition. Les visiteurs peuvent s’exprimer sur les solutions qu’ils seraient prêts à adopter, ou emporter avec eux après l’exposition des défis sur différentes thématiques et différentes durées : ne pas prendre l’avion pendant l’année à venir, ne plus manger de viande qu’une fois par semaine, garder le même smartphone pendant quatre ans… Le parcours est ainsi ponctué de dispositifs de natures différentes pour rendre le visiteur acteur de sa visite (Fig. 5).

Fig. 5 : Manip « Le vote des solutions » © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Relire les collections à l’aune des questions environnementales

Le lien entre le sujet de l’exposition – l’empreinte carbone – et les collections du musée est à la fois évident et au final, peu mis en avant par le musée des Arts et Métiers. Son identité, assumée, est celle d’un musée d’histoire des techniques avec une emphase importante sur le XIXe siècle occidental et la Révolution industrielle. Les bornes chronologiques du parcours permanent en témoignent, avec un premier jalon avant 1750, un deuxième pour la période 1750-1950 et un dernier après 1950. Le choix de placer la première rupture au milieu du XVIIIe siècle est une conséquence directe de la place de la Révolution industrielle dans le discours général[4].

Le parcours rétrospectif s’attache à présenter les périodes et les objets qui en font partie comme une succession continue et ininterrompue d’innovations et d’inventions. Le contexte de création et les conséquences techniques et industrielles de ces objets n’apparaissent peu ou pas du tout. On y parle encore moins des incidences sur l’environnement, des conséquences sociales, de ce que ces objets ont fait naitre en dehors du progrès technique auquel ils contribuent. Dans cette perspective, les liens entre les collections et le sujet de l’empreinte carbone, bien qu’évidents, restent invisibles aux yeux du public. Pour les rendre explicites, il est nécessaire de changer de posture et d’approche sur les collections pour leur redonner une actualité et une utilité discursive renouvelée au regard de la question environnementale.

L’équipe-projet de cette exposition se devait donc d’interroger la collection avec un regard situé, conscient de là où l’on se trouve et d’où l’on parle : nous sommes des professionnelles de musée fortement intéressées par les questions de société à une période où la crise environnementale est un sujet majeur qui interroge la pertinence et l’intérêt de nos pratiques et notre rôle. Cela a impliqué d’accepter de regarder différemment les objets de la collection et de ne pas seulement les considérer comme des jalons historiques figés, immuables et sur lesquels tout aurait été dit. Le défi est accepté de leur accoler un sens nouveau, complémentaire de leur place dans l’histoire des techniques et envisager des valeurs nouvelles : à côté de leur valeur historique, instaurer une valeur contemporaine renouvelée[5]. Le réfrigérateur à compresseur[6] trouve ainsi sa place dans la section consacrée au cycle de vie et permet de développer un discours sur l’empreinte de l’équipe domestique et l’accélération du taux de renouvellement de l’électro-ménager (Fig. 6). Le micro-ordinateur Macintosh Apple 512K de 1986[7] illustre les problématiques de recyclage et de décomposition des appareils électroniques.

Fig. 6 : Vue de la scénographie : Partie 1.3 « Des objets à utiliser » © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Si nous pouvons porter un regard subjectif sur les collections dont nous avons la charge, nous devons aussi l’envisager pour nos visiteurs. Nous l’avons souligné plus haut, ils seront incités à se positionner sur les solutions pour diminuer l’empreinte carbone présentée dans l’exposition. Nous leur laisserons de la place pour s’exprimer. Loin d’être des objets intouchables dans leur neutralité, les collections s’ouvrent au jugement des visiteurs et se mettent au service de la construction d’un lien nouveau. Les visiteurs pourront ainsi ne pas les utiliser comme un livre d’images mais comme des outils pour construire du sens.

Cet exercice est ici développé dans le cadre d’un projet d’exposition temporaire, qui rend possible cette relecture des collections sans bouleverser le parcours de visite permanent, avec une durée limitée. Cette expérience pourra, nous l’espérons, nourrir la réflexion sur la présentation et la médiation des objets d’une partie au moins du parcours permanent. À ce titre, on peut considérer l’exposition comme un laboratoire, dont une partie des résultats pourrait à terme se transposer au reste du musée.

La sélection des objets se fait selon de nombreux critères. Le plus prégnant consiste à utiliser les collections comme une ressource à gérer de façon raisonnée. Les objets sont exposés plus pour illustrer des idées que pour leurs valeurs singulières (tel fabricant, tel lieu d’usage). Cela conduit à retenir au sein de typologies l’objet le plus adapté et à opérer des choix raisonnés en fonction de critères durables. Un modèle de roue hydraulique[8] a ainsi été choisi parce qu’il est en bon état et ne nécessite aucune intervention en vue de son exposition et qu’il a été prêté au printemps 2024, en amont de l’exposition, il a déjà une caisse de transport, ce qui évite de devoir fabriquer ou trouver un autre emballage. Il s’agit donc d’adopter une vision pragmatique et utilitariste des collections, en lien avec les différentes équipes (scientifique, régie des œuvres, restaurateurs…).

Faire des choix scénographiques différents

Le processus de construction de la scénographie a logiquement été marqué par le sujet de l’exposition et sa nature profondément réflexive. Dans une logique d’économie, nous avons été obligées de nous demander ce qui était indispensable, ce qui constituait la grammaire irréductible de l’exposition et ce que nous pouvions retrancher ou radicalement transformer.

Jusqu’où peut-on changer les codes esthétiques d’une exposition pour qu’elle soit encore réussie, tant du point de vue de l’expérience de visite que l’on souhaite proposer à notre public, que conforme aux attentes en matière d’écoresponsabilité ?

La maîtrise d’ouvrage classique a été complétée par l’adjonction d’une spécialiste de l’accompagnement en éco-production. Au-delà du calcul du bilan carbone final du projet durant son cycle de vie (conception, montage, exploitation et démontage), elle a accompagné le projet tout au long de sa réalisation afin de conseiller, d’alerter et d’éduquer les équipes en interne autant que la maîtrise d’œuvre sur les enjeux de l’éco-conception. Une grande partie de l’empreinte carbone d’une scénographie est liée à la fabrication de mobiliers neufs[9]. Nous avons donc décidé de valoriser deux pratiques d’ordinaire confinées aux coulisses de l’exposition : la location et la récupération de mobilier. Le concept scénographique proposé par l’agence retenue, la Fabrique créative, se fonde sur l’utilisation d’une ossature centrale composée d’échafaudages de chantier (Fig. 7).

Fig. 7 : Vue de la scénographie : Partie 2 « L’engrenage des usages », focus sur l’alimentation © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Cette structure partitionne l’espace et accueille également les collections. Elle est louée le temps de l’exposition et réintégrera ensuite le circuit de location et d’utilisation. L’empreinte carbone de la structure sera ainsi divisée autant de fois qu’elle sera réutilisée. La location, une des solutions présentées dans l’exposition pour réduire notre empreinte carbone, est ici mise en œuvre de façon centrale. Au-delà de la location du matériel technique (éclairages, équipements multimédia), habituelle mais peu visible des visiteurs, nous assumons la location comme une pratique légitime, pertinente et source de créativité. La réutilisation du parc multimédia existant du musée se place dans la même logique de réduction d’achat neuf. La phase de production (fabrication et transport) représente jusqu’à 90% de l’empreinte carbone des appareils électroniques dont les écrans, les unités centrales, les players ou les vidéoprojecteurs. Depuis plusieurs années, le musée réalise un inventaire de son matériel qui est joint à chaque appel d’offre de conception et de réalisation et nous demandons à la maîtrise d’œuvre de s’appuyer le plus possible dessus avant d’envisager de la location ou de l’achat. Pour Empreinte carbone, l’expo !, l’ensemble du matériel audiovisuel (six écrans et six vidéoprojecteurs) provient du parc du musée. Dans la même veine, la récupération de matériaux et de mobilier est ici revendiquée comme une prise de position appuyée par un ensemble de critères, plus qu’une solution pragmatique défendue pour son seul intérêt économique. Ce n’est pas une option par défaut mais un vrai choix, adopté en connaissance des contraintes qu’il entraine. Si certaines sont assez légères, comme le fait de travailler avec des mobiliers potentiellement disparates, d’autres requièrent des changements plus lourds, comme de démonter différemment la précédente exposition de façon à pouvoir réutiliser autant que possible les matériaux et les transformer pour ce projet. Enfin, nous souhaitons dépasser le cadre de la récupération en interne en nous fournissant le plus possible auprès des circuits de seconde main, ce qui nécessite d’adapter la passation des appels d’offres en y intégrant des principes de l’économie circulaire[10]. Pour le lot agencement, qui comprend la fourniture des mobiliers de l’exposition, il semblait difficile d’exiger une fourniture intégrale en panneau de seconde main. Les gisements sont aléatoires et les entreprises ne connaissent pas, plusieurs mois à l’avance, le stock qu’elles auront. Pour pallier cet aléa, nous avons demandé un chiffrage dans la décomposition du prix global forfaitaire (DPGF) d’une fourniture de seconde main et nous avons également demandé aux entreprises de remplir un bordereau de prix unique (BPU) chiffrant la fourniture d’un panneau standard neuf dans les différents matériaux de la scénographie. Ainsi, en cas d’impossibilité d’obtenir un panneau de seconde main, nous savons déjà ce que coûtera son remplacement en neuf. Les services supports (bureau des achats, commission de marchés) ont été sensibles à la démarche et ont bien accueilli les modifications inhérentes sur les éventuels avenants. Les échanges sur ces questions ont été fructueux et nous ont permis d’ajouter les bons critères dans la notation des offres des candidats.

Nous proposons une médiation écrite qui permette aux visiteurs de forger leur opinion sur les collections et thématiques parcourues. Par exemple, les cartels sont semblables aux étiquettes énergétiques que l’on peut trouver dans les magasins d’ameublement ou d’électro-ménager, avec notamment un indicateur visuel, et peuvent être manipulées par les visiteurs pour prendre connaissance des informations essentielles de l’objet. Nous reprenons ce système pour les éléments scénographiques, les donnant à voir à nos visiteurs au même titre que les objets. Un travail sur les supports et les techniques d’impression a été fait pour trouver les combinaisons les plus vertueuses tout en étant compatibles avec la réglementation[11]. Nous nous sommes orientés vers des papiers kraft classés, des panneaux de bois brut peints ou en impression directe et des impressions sur des supports papier, limitant leur impact à la fabrication et augmentant les possibilités de les réemployer ou de les transformer pour un nouvel usage à la fin de l’exposition. Le musée démontre la faisabilité des solutions qu’il expose, leur donnant ainsi une crédibilité supplémentaire auprès des visiteurs (Fig. 8).

Fig. 8 : Vue de la scénographie : habillage de la structure échafaudée en bois et kraft, texte de section et parcours enfant © Daniel Osso / La Fabrique Créative

Pour la médiation, tout un corpus de « manips » a été imaginé, notamment autour de l’alimentation. Nous nous attachons à leur adéquation au propos de l’exposition, mais veillons également à conserver une certaine sobriété énergétique dans le choix des matériaux, des mécanismes, du nombre de dispositifs, et de la perspective d’une seconde vie après l’exposition (Fig. 9).

Fig. 9 : Manip « Le poids de nos choix » © Musée des arts et métiers-Cnam/photo Frédérique Toulet

Nous réfléchissons à chaque étape du projet à nos pratiques en tant que muséographes. Avons-nous forcément besoin de tous les éléments que nous avons pris l’habitude d’installer dans une exposition ? C’est l’occasion d’imaginer des propositions plus créatives et plus cohérentes avec le projet. Nous avons ainsi transformé un dispositif initialement pensé sous la forme d’un multimédia interactif en une manip « low tech » où le visiteur relie des propositions à l’aide d’une ficelle. Sur proposition de nos prestataires, nous avons également simplifié certaines fabrications pour limiter l’ajout de matériaux et l’utilisation de produits de finition superflus. Cette démarche nous permet de consolider la légitimité des choix faits, car ceux-ci ont été mis à l’épreuve. Est-ce à dire que c’est une façon de quitter sa posture professionnelle, de la déranger et de la remettre (au moins partiellement) en cause ? Nous l’espérons.

Et après ?

Ce projet nous a incitées à repenser notre posture de maître d’ouvrage dans une dynamique plus ouverte, à nous remettre en question de manière permanente et surtout, de porter un regard nouveau sur le musée, sa collection, son image et son positionnement.

Nous mettons tout en œuvre pour développer l’engagement des visiteurs, afin qu’ils soient plus actifs au cours de leur visite avec un parcours qui leur offre des espaces pour construire du sens et susceptibles de la prolonger, de la faire vivre au-delà de la salle d’exposition.

Nous aimerions que cette exposition soit, plus que son aboutissement, un jalon important d’un processus réflexif continu d’amélioration et d’optimisation. Nous avons gardé ce cap durant toute la préparation de l’exposition, le garderons durant son exploitation (y compris au travers de la programmation pédagogique et culturelle qui y sera associée) et jusqu’après son démontage.

En cours de développement, l’exposition a été un laboratoire de pratiques et de réflexions. Nous nous sommes formées pour être outillées dans cette démarche. Les choix effectués pour ce projet et la méthodologie mise en œuvre vont être intégrés aux prochains projets, même si les thématiques ne seront pas centrées sur le changement climatique. Notre approche dépasse le cadre de l’exposition pour investir les autres activités associées du musée, comme la programmation événementielle et pédagogique. De nombreux choix se confrontent à leur mise en pratique, qui fera émerger, à n’en pas douter, d’autres questionnements. C’est tout l’intérêt d’adopter une posture réflexive : ce projet nous permet de repenser notre position de maître d’ouvrage dans une dynamique plus ouverte. Cette remise en question continue, qui peut apparaitre comme une démarche difficile et lourde, constitue pour nous une évidence afin de rester au service des visiteurs et de mettre le musée à la hauteur de l’enjeu collectif de la réduction drastique de notre empreinte carbone. En nous décentrant, en acceptant de questionner nos collections, notre institution et notre positionnement professionnel, nous espérons créer un espace de convivialité ouvert, dans lequel nos visiteurs peuvent imaginer d’autres façons d’être. Et en abandonnant un peu de notre neutralité, contribuer à en atteindre une autre.

Notes

* Tous les liens URL ont été consultés en novembre 2024.

  1. Côté M. (dir.), La fabrique du musée de sciences et sociétés, Paris, La documentation française, 2011, p. 22.
  2. Voir par exemple : https://www.museumnext.com/article/can-museums-be-neutral-or-should-they-take-a-stance/ (consulté en novembre 2024)
  3.   Paquot T., « La convivialité selon Ivan Illich », Topophile, 17 mars 2022, § 3, en ligne : https://topophile.net/savoir/la-convivialite-selon-ivan-illich/.
  4.   Dufaux L. (dir.), Le musée des Arts et Métiers. Guide des collections, Paris, Artlys ; Musée des Arts et Métiers ; CNAM, 2013, p. 13.
  5.   Riegl A., Le culte moderne des monuments, Dumont M., Lochmann A. (trad.), Paris, Allia, 2016.
  6.  Réfrigérateur à compresseur, Frigeco, vers 1930, inv. 35283-0000.
  7.  Micro-ordinateur Apple Macintosh 512K, 1986, inv. C-2013-0153-001.
  8.  Modèle de roue à aubes de Poncelet (dernier tracé) avec coursier et vannage, 1825-1849, inv. 04551-0000.
  9.   Derouault S., Rigogne A.-H., « Une gestion responsable des expositions temporaires à la Bibliothèque nationale de France », La Lettre de l’Ocim, n° 140, mars-avril 2012, § 9, en ligne : https://journals.openedition.org/ocim/1035. Universcience et Atemia, Guide d’éco-conception des expositions, https://www.universcience.fr/fileadmin/fileadmin_Universcience/fichiers/developpement-durable/_documents/guide_eco_conceptFR.pdf ; Société des musées du Québec, Musées et transition écologiques. Bonnes pratiques muséales, https://www.musees.qc.ca/fr/professionnel/bonnes-pratiques/musees-et-transition-ecologique.html.
  10.  Palais des Beaux-Arts de Lille et Atemia, Guide Pratique d’Écoconception, 2022, en ligne : https://pba.lille.fr/content/download/6166/71045/file/GUIDE+PRATIQUE+D%E2%80%99%C3%89COCONCEPTION.pdf
  11.  En tant qu’établissement recevant du public (ERP) de première catégorie, le musée des Arts et Métiers est soumis aux dispositions de l’arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les ERP, livre II, titre 1er, chapitre III, articles AM 1 à 20. Ces dispositions obligent à recourir pour la quasi-totalité des éléments imprimés à des matériaux classés M1, c’est-à-dire non-inflammables et sans dégagement de fumées.

Pour citer cet article : Anaïs Raynaud et Marjolaine Schuch, "Quitter la neutralité pour mieux l’atteindre ? L’exemple de l’exposition  Empreinte carbone, l’expo ! au musée des Arts et Métiers (Paris, 2024-2025)", exPosition, 22 novembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/raynaud-schuch-empreinte-carbone/%20. Consulté le 22 décembre 2024.

Écoconcevoir au palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration d’une démarche opérationnelle

par Mélanie Esteves et Christelle Faure

 

Mélanie Esteves a été la cheffe de projet « Projet Scientifique et Culturel » et référente développement durable du Palais des Beaux-Arts de Lille de 2016 à mai 2024. Elle dirige aujourd’hui la Mission Culture Durable Partagée de la Ville de Lille.

Christelle Faure a été responsable du service de la gestion durable des collections du Palais des Beaux-Arts de Lille. Elle est aujourd’hui élève-conservatrice du patrimoine à l’Institut national du patrimoine et à l’Institut national des études territoriales. —

 

Dans son projet scientifique et culturel, le palais des Beaux-Arts de Lille a inscrit au cœur de son projet d’établissement la question du développement durable. En construisant sa démarche autour des deux axes que sont la maîtrise de son empreinte écologique et la consolidation de sa responsabilité sociale, le musée entend adopter un positionnement systémique sur le sujet. Afin de répondre à ces enjeux climatiques et sociaux, c’est l’ensemble de ses activités et de son fonctionnement qui est passé au crible de la durabilité. Dans cette transition vers l’écoresponsabilité, la question des expositions temporaires a rapidement été perçue comme un enjeu crucial. Avec des moyens humains, matériels, techniques et financiers importants et déployés pour des durées relativement courtes, les expositions ont en effet un impact environnemental conséquent qu’on ne saurait ignorer.

Dès 2015, le palais des Beaux-Arts s’est confronté à cette question en conscience et a fait évoluer ses pratiques à travers un premier acte fort : celui de prendre le parti de ne plus faire qu’une grande exposition tous les deux ans et de proposer chaque année à une personnalité ou à un genre artistique (séries TV, musique, jeux vidéo) une carte blanche autour de ses collections permanentes. Par ailleurs, comme beaucoup d’autres musées, le musée lillois s’évertuait à favoriser le réemploi de ses scénographies mais, jusque-là, cette habitude relevait plus du pragmatisme que d’une véritable stratégie de mise en écoresponsabilité.

L’écoconception des expositions est apparue alors comme une porte d’entrée naturelle et nécessaire pour conduire le musée sur la voie d’une durabilité effective. Dans cette trajectoire volontariste, l’exposition Expérience Goya (15 octobre 2021 – 14 février 2022) a constitué un jalon majeur que les projets suivants sont venus nourrir et conforter, au point que l’exposition Expérience Raphaël, prévue à l’automne 2024, s’est construite sur des connaissances consolidées permettant dès lors de faire des choix en conscience. C’est l’histoire de ce processus à l’œuvre et de la formalisation d’une méthode de travail renouvelée visant à éprouver de manière opérationnelle l’écoconception que cet article se propose de mettre en lumière.

Questionner son modèle pour développer une approche globale

En 2020, le palais des Beaux-Arts a souhaité questionner la forme de ses expositions qui répondait encore au modèle consacré depuis les années 1980, pléthorique et démonstratif et dont les impacts étaient inconsidérés et sans limites. Coproduite avec la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (RMN-GP) et accompagnée par l’agence conseil en transition Atémia, la conception de l’exposition Expérience Goya a reposé sur l’application des principes de l’écoconception telle que la définit l’agence de la transition écologique, l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie). En considérant l’exposition comme un objet disposant d’un cycle de vie propre, de la phase de conception jusqu’à la fin de vie, en passant par les phases de fabrication et d’exploitation, l’objectif était de réduire les impacts environnementaux à toutes les étapes du projet et dans toutes ses composantes. Au demeurant, il s’agissait aussi de mettre en regard ses impacts néfastes en regard de son bénéfice social. En proposant une expérience esthétique et sensorielle, l’exposition renouvelait le rapport aux œuvres et au propos. Ce faisant, elle contribuait au mieux-être des visiteurs, stimulait leur créativité, favorisait le dialogue et incitait à une réflexion critique. Par les thèmes abordés, elle pouvait aussi être le support d’une sensibilisation et d’une conscientisation aux enjeux sociétaux, invitant ainsi les visiteurs à questionner leurs comportements individuels et collectifs. Présentée durant quatre mois, l’exposition Expérience Goya avait la double ambition d’inscrire la transition écologique dans les pratiques du musée de façon systémique et de penser un nouveau modèle d’exposition renouvelant l’expérience de visite afin d’en maximiser les effets auprès des visiteurs. En interrogeant le fond et la forme, les contours de l’exposition ont ainsi été redéfinis pour proposer un projet plus écoresponsable, tout en offrant au public une approche sensible des œuvres d’art grâce à une médiation plurielle et éditorialisée.

Sur la forme, les premières réflexions menées dans le cadre de l’exposition Expérience Goya ont permis de définir un cadre méthodologique et de dresser une cartographie des impacts connus pour les expositions : la scénographie, la sélection des œuvres, la mobilité des publics, le numérique, la médiation, le confort de visite, l’inclusion et l’accessibilité du discours. Avec cette approche systémique, ces impacts ont été étudiés et mesurés pour l’ensemble du cycle de vie de l’exposition, autrement dit pour toute la chaîne de conception, de production, d’exploitation et de démontage. Fort de cette approche, le musée structure aujourd’hui pour chaque exposition un plan d’actions concrètes reposant sur des leviers dont il a la maîtrise opérationnelle. Cette méthode est appliquée à l’ensemble des expositions proposées par le palais des Beaux-Arts depuis 2021 : La forêt magique (13 mai – 19 septembre 2022) coconçue avec la RMN-GP, Pierre Dubreuil. Tableaux photographiques (20 octobre 2022 – 27 février 2023), Prière de toucher (20 octobre 2022 – 27 février 2023) et Expérience Raphaël (18 octobre 2024 – 17 février 2025). Ces différents projets permettent aujourd’hui de passer le stade de l’expérimentation pour inscrire dans la durée les principes de l’écoconception.

Notons aussi qu’au-delà du rapport à l’œuvre, l’exposition peut devenir le vecteur de discours conscientisés ou de sujets résonnants avec des enjeux contemporains. Avec La forêt magique (13 mai – 19 septembre 2022), deuxième exposition écoconçue au palais des Beaux-Arts, le musée lillois s’est confronté davantage à la responsabilité sociale des acteurs culturels, en portant auprès du public un discours engagé et en assumant une dimension écologique militante. En dévoilant la richesse esthétique, symbolique et sensorielle des forêts, tout en rappelant les menaces pesant sur cet écosystème, cette exposition a ainsi fait le pari de susciter une émotion qui soit source d’une envie de les préserver. Elle s’est aussi ouverte à l’engagement citoyen en offrant au botaniste Francis Hallé une vitrine pour son manifeste Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest[1].

Infléchir la conception de l’exposition dès l’amont pour un résultat maîtrisé

La maîtrise ou non des impacts environnementaux et sociaux se décide majoritairement au moment de la phase de conception du projet. Il apparait alors primordial de mobiliser les commissaires dès l’amont pour accompagner les réflexions, voire leur imposer certaines contraintes. Ainsi, partant du constat que l’acheminement des œuvres d’art pèse lourd dans le bilan carbone d’une exposition, le musée a demandé aux commissaires des expositions Expérience Goya et La forêt magique de respecter le cadre suivant : privilégier les œuvres du musée, réduire le nombre d’objets exposés et tenir compte de la distance entre le musée et les institutions prêteuses. Ainsi, la première exposition proposait un parcours de 82 œuvres (dont 22 appartenant au musée et 60 provenant de la zone Europe) tandis que la seconde exposition en présentait seulement 45. La réduction drastique du nombre d’œuvres et la limite posée de prêts provenant d’une zone géographique limitrophe apparaissent comme une solution radicale et potentiellement réductrice d’émission de gaz à effet de serre. Il est important de souligner que ces actions permettent de réduire de manière substantielle l’empreinte environnementale des expositions, comme le démontrent les chiffres éclairants des émissions de gaz à effet de serre liées au transport des œuvres[2] pour les projets du palais des Beaux-Arts :

  • Exposition-type du musée composée de 150 œuvres : environ 95 tonnes équivalent CO2,
  • Expérience Goya : 25,64 tonnes équivalent CO2[3],
  • La forêt magique : 4,26 tonnes équivalent CO2[4] (à noter que ce faible taux est aussi lié à l’évitement de tout transport aérien).

Le palais des Beaux-Arts ne se fixe pas l’objectif de diminuer toujours plus l’impact des œuvres mais celui de le maîtriser de manière proactive, car certaines expositions comme Expérience Raphaël, par leur propos et leur contenu, nécessitent un plus grand nombre d’œuvres de provenances parfois éloignées. Le musée recherche en cela un point d’équilibre entre ses projets d’expositions, en déterminant une répartition raisonnée des impacts carbone sur plusieurs années.

Au-delà même de la simple maîtrise de l’empreinte environnementale du prêt des œuvres, le choix d’en réduire le nombre découle aussi de l’envie de favoriser l’expérience de visite et le confort intellectuel des visiteurs. Moins sollicités par un foisonnement d’œuvres, ils sont incités, par la médiation et des dispositifs numériques, à davantage se plonger dans leur contemplation. Pour Expérience Goya et La forêt magique, le musée a fait le choix d’expositions « hyper immersives ». Le recours à des dispositifs numériques, consommateurs d’énergie et de ressources non renouvelables, questionne nécessairement la démarche d’écoconception. Ce choix est à considérer au regard de l’évitement du transport d’œuvres d’art et des émissions de gaz à effet de serre corrélés. Il ouvre par ailleurs un débat fondamental sur le format même des expositions, en posant la question d’un compromis dans la sélection d’œuvres physiques ou numériques. De plus, en plongeant les visiteurs dans de véritables théâtres d’images avec des projections à 360° et des ambiances sonores, les parcours de visite proposent une véritable approche sensorielle des œuvres d’art, à même de créer un sentiment de proximité voire d’intimité. Les dispositifs numériques ont été développés en prenant en considération des avis d’usagers afin de participer à l’inclusivité du propos, à sa compréhension et à son appropriation par tous.

Pour mieux tenir compte de l’avis des publics, ces partis pris et les intentions du projet sont soumis à des comités d’usagers dont les remarques viennent nourrir la pluralité des discours et infléchir certains choix des commissaires et de la médiation. Afin de maximiser l’impact social de ses expositions, le palais des Beaux-Arts s’appuie en effet sur une politique d’inclusion, notamment fondée sur la participation et la contribution des publics et développe de manière systématique ses modes de consultation et d’expression dès les phases de conception de ses projets[5]. Depuis cinq ans, les équipes ont été formées à la méthode des focus groups, inspirée du marketing, dans le but de faire converger les intentions du musée avec les attentes et les usages des visiteurs. Ainsi, divers entretiens sont menés avec des petits groupes de publics (visiteurs, non visiteurs, jeune public, familles, mécènes, partenaires, etc.) afin de tester ou éprouver différentes facettes du projet, depuis son propos général jusqu’aux contenus d’un dispositif numérique, en passant par la compréhension des cartels. L’objectif de ces espaces d’échanges est de faire émerger des analyses critiques ou des saillances afin de décloisonner le projet et de sortir d’une approche purement érudite. Cela permet aussi d’équilibrer les intentions de médiation de façon particulièrement constructive et d’ajuster plus finement les potentiels et la prise en main des dispositifs numériques par les publics grâce à des phases tests en condition de visite.

Impliquer tous les acteurs de la production de l’exposition

L’implication de toutes les parties prenantes s’avère essentielle dans la définition d’une exposition écoconçue. Cela est particulièrement le cas dans la phase de production des expositions. Qu’il s’agisse de l’organisation du transport des œuvres, de la conception de la scénographie, de la place du numérique ou des modalités de communication et de programmation culturelle, il est crucial de fédérer l’ensemble des acteurs engagés dans le projet autour des enjeux du développement durable. Tous doivent être acculturés à la question de l’écoconception pour partager une grammaire et une trajectoire collectives, mais aussi cibler des objectifs communs et individuels qui contribuent à baliser le cheminement scientifique et technique du projet tout en responsabilisant l’ensemble de ses acteurs.

Ainsi, pour limiter l’impact environnemental de l’acheminement des œuvres, la société de transport doit être pleinement associée à la démarche avec la mise en place d’objectifs de regroupement des transports, d’optimisation des déplacements des convoyeurs et la proposition de solutions de caisserie plus raisonnées. Les échanges avec les musées prêteurs sont tout aussi fondamentaux. La communication autour de la démarche d’écoconception du musée et une sensibilisation sur les impacts environnementaux des prêts ont souvent donné lieu à des résultats fructueux, comme des accords pour la réutilisation de caisses et pour des transports mutualisés ou des renoncements à des convoiements. Sur ce dernier point, il est à noter que le trajet des convoyeurs a souvent un impact significatif sur l’empreinte environnementale d’un prêt[6].

Les concepteurs et les constructeurs de la scénographie, deuxième pôle d’émissions de gaz à effet de serre après le transport des œuvres, jouent aussi un rôle pivot dans la démarche d’écoconception. Ils doivent répondre à un cahier des charges précis se conformant à des objectifs de sobriété des besoins, de qualités des matériaux neufs, d’adaptabilité et de réversibilité des modes de construction afin de favoriser le réemploi des scénographies. Pour l’ensemble de ses expositions, le palais des Beaux-Arts privilégie autant que possible des matériaux à faible impact environnemental répondant à des labels. Il a renoncé au plexiglas au profit du verre et emploie des matériaux biosourcés, comme des peintures à base d’algues ou des panneaux de MDF à base de résines végétales. Les scénographies modulables et adaptables sont aisément démontées et réutilisées dans différents projets. La scénographie d’Expérience Goya a été réemployée à près de 70 % dans d’autres expositions, comme La forêt magique, Pierre Dubreuil et Prière de toucher.

En édictant le réemploi comme un principe directeur, l’impact environnemental est ainsi lissé sur plusieurs projets et l’achat de ressources nouvelles est limité au maximum. Mais ces ambitions peuvent parfois se confronter à certaines difficultés. Si l’on prend l’exemple des matériaux, la volonté de sélectionner des matériaux durables, à faible impact environnemental et issus de filières locales et écoresponsables, se heurte aux procédures de passation des marchés publics interdisant tout critère relatif à l’implantation géographique d’une entreprise ou à une production locale. De même, la volonté de réemployer les éléments scénographiques questionne la capacité du musée à disposer des surfaces de stockage suffisantes.

Écoconcevoir une exposition suppose ainsi de repenser en profondeur son rapport aux ressources en questionnant leur provenance, leurs matières premières, leur mode de fabrication, mais aussi en limitant le recours à des ressources nouvelles. Si la conception de la scénographie constitue un enjeu central, la question de la maîtrise des ressources s’applique à tous les champs de l’exposition, de la scénographie à la communication, des supports de médiation à l’édition de catalogue. Les équipes du musée travaillent également à la définition d’une programmation raisonnée et à l’appropriation des principes d’une communication plus responsable dont les fréquences et les dimensionnements sont questionnés au regard des enjeux environnementaux et sociaux. La surabondance communicative et la connaissance progressive des impacts de l’usage du numérique amènent en effet à ouvrir ces nouveaux chantiers dont les perspectives d’atténuation et d’adaptation posent aussi des questions stratégiques de visibilité et de modalités de partage de contenus. L’enjeu est surtout de construire une autre manière de communiquer et de repenser les pratiques au service d’une approche plus responsable environnementalement et socialement.

Accompagner la phase d’exploitation : maîtriser les impacts et conforter la relation aux publics

L’exposition ouverte, le musée reste vigilant à la maîtrise des impacts générés lors de la phase d’exploitation. Parmi ces impacts à ne pas négliger, il faut considérer celui de la consommation énergétique liée à l’éclairage, à la gestion du climat et au fonctionnement des dispositifs numériques et audiovisuels. Les actions menées pour les maîtriser au mieux se conçoivent dans le cadre d’une politique générale visant à rendre les bâtiments du musée plus résilients par la réalisation de travaux d’isolation et d’étanchéité ainsi que par le remplacement progressif des centrales de traitement d’air permettant un fonctionnement plus efficient et moins énergivore.

À chaque exposition, le musée veille à rationaliser l’usage des équipements électriques et privilégie l’achat de matériel d’éclairage ou audiovisuel à basse consommation. Ainsi, dans un objectif de numérique « raisonné », les caractéristiques des équipements audiovisuels ont été étudiées pour plus de sobriété. La maîtrise des consommations énergétiques s’appuie aussi sur le respect de « bonnes habitudes », comme privilégier la lumière naturelle pour le montage de la scénographie ou couper les systèmes de traitement d’air de la salle d’exposition temporaire lorsqu’aucune œuvre ne s’y trouve.

Pour consolider ces objectifs de sobriété énergétique, les équipes du palais des Beaux-Arts travaillent actuellement à repenser la gestion du climat. Les études nombreuses et documentées et les nouvelles préconisations nationales et internationales[7] démontrent que l’élargissement des normes climatiques et la mise en place de variations saisonnières peuvent être envisagées, sous réserve de prendre des précautions particulières pour les œuvres sensibles. Il est à noter que de nombreuses institutions ont déjà adopté cet assouplissement des normes qui permet une substantielle économie énergétique. Si le palais des Beaux-Arts va prochainement entamer l’expérimentation de ces nouvelles normes climatiques au sein de ses réserves, la salle d’exposition temporaire reste pour le moment exclue de cette première phase de tests en raison de la complexité de mise en œuvre et d’obtention des accords des prêteurs. Adopter une gestion plus souple du climat nécessite en effet d’avoir la capacité de déployer des microclimats pour assurer la conservation des œuvres les plus sensibles aux variations. Sur ce point, le palais des Beaux-Arts a fait le choix de privilégier, dans un premier temps, l’aménagement de ses réserves puis de ses salles du parcours permanent où l’investissement dans des vitrines et caissons permettant de créer des microclimats est prioritaire.

La phase d’exploitation est aussi l’occasion pour le musée de conforter sa relation aux publics. Les temps de rencontres, les visites guidées, les ateliers et les enquêtes de satisfaction sont autant d’occasions d’échanger et de percevoir la réception de l’exposition par des publics de tous horizons. C’est aussi durant cette phase que le musée peut assumer un rôle de passerelle de la durabilité. En communiquant sur les efforts accomplis et les choix opérés pour écoconcevoir ses expositions, il allie le fond et la forme et sensibilise les visiteurs aux enjeux du changement climatique, tout en les incitant à des changements de comportement, comme en témoigne une communication centrée sur les mobilités douces pour se rendre au musée.

Anticiper la fin de vie de l’exposition

La fin de vie de l’exposition s’avère enfin une étape cruciale qui influe de manière importante sur son empreinte environnementale finale, selon que les éléments de la scénographie sont réutilisés, recyclés ou jetés. La conception d’une scénographie modulable et facilement démontable crée les conditions d’un démontage propre garantissant le réemploi des éléments scénographiques tout autant qu’une stricte planification du devenir des éléments dès la phase de conception de l’exposition. Cette anticipation permet d’élargir les possibilités de réemploi interne et externe mais aussi d’allonger la durée de vie des ressources et des matériaux, en pensant les conditions de leur recyclage, voire de leur surcyclage, dans le but de limiter la production de déchets ultimes. Ainsi, lorsque le musée ne souhaite pas ou ne peut pas conserver des éléments, il travaille à identifier des réseaux, des institutions et des associations qui sont à même de prolonger leur usage. Par ailleurs à l’échelle municipale, un effort de mise en commun et de mutualisation des ressources est à l’œuvre pour réduire l’empreinte environnementale collective de toutes les structures culturelles lilloises. C’est nécessairement dans une logique territoriale que se met en place cette réflexion qui engage le musée à mieux connaître et interagir avec les acteurs locaux de la culture comme de l’économie circulaire. La difficulté la plus grande est d’identifier suffisamment tôt les filières adéquates pour concourir à une création de valeur sociale et culturelle dans l’allongement de la durée de vie des ressources. Dans le même temps, cela exige du musée de penser un nouvel arsenal administratif et juridique de nature à soutenir les processus de don et tri pour recyclage.

Le musée se questionne également sur la réutilisation et la mutualisation des contenus de médiation (notamment numérique) dont la conception et la production nécessitent des ressources techniques plus ou moins importantes (exemples : films, applications, podcasts, dispositifs multimédias, etc.) et reposent sur des logiques d’hébergement ou d’archivage sur des serveurs dont les impacts environnementaux indirects sont considérables. Une première réponse consiste à penser les contenus en écho avec le parcours permanent pour permettre de les réinjecter au sein du musée après le démontage de l’exposition. L’exposition Expérience Goya a notamment permis, avec le concours du centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, la réalisation d’un film de médiation inédit à partir de la radiographie des toiles majeures que sont Les jeunes et Les vieilles, conservées au palais des Beaux-Arts de Lille. Ce dispositif plébiscité par le public pourrait trouver sa place dans le parcours permanent. La pertinence de favoriser la circularité des productions entre institutions est une autre voie que plusieurs musées questionnent pour élargir encore le champ des possibles.

Inscrire les nouvelles pratiques dans la durée

Pour que les progressions s’inscrivent dans le temps et opèrent une transformation réelle de l’institution, il est indispensable de structurer intellectuellement la démarche, d’acter des évolutions d’organigramme et opérationnelles à travers de nouvelles architectures pour que la transition soit visible et s’incarne durablement. Dès la mise en œuvre des premières expérimentations, le palais des Beaux-Arts s’est engagé dans une réorganisation interne. À la faveur de cette évolution générale des services, la notion de durabilité a été inscrite pour la première fois dans les titres de fonctions structurantes – directeur·ice de la sécurité et la durabilité du bâtiment ; chef·fe de la gestion durable des collections ; référent·e développement durable – de même que chaque fiche de poste s’est vue dotée d’un objectif de respect de la démarche globale du palais des Beaux-Arts et d’un comportement écoresponsable dans ses fonctions. Former à de nouvelles expertises, accompagner la montée en compétences sont autant de voies qui inscrivent la démarche dans la longueur. La formation continue tend à répondre de mieux en mieux aux enjeux de la transition. En matière d’achats responsables, d’économie circulaire, des perspectives se développent. La formation initiale est désormais reconnue comme un enjeu majeur pour accélérer le changement de pratiques et de modes de pensée.

Parallèlement à cette approche organisationnelle, le « mode projet » a été institué comme le modus operandi pour toute nouvelle activité et a fortiori pour la conduite des expositions. En associant les compétences et en favorisant le partage des expertises, le musée s’est convaincu de la pertinence de mobiliser une intelligence collective adaptée aux projets, mêlant les points de vue et favorisant les débats et les arbitrages éclairés.

Il apparaissait parallèlement indispensable de développer de nouveaux outils et méthodes de travail pour soutenir cette démarche. La rédaction d’un guide méthodologique d’écoconception[8], à destination des équipes puis mis en ligne, était une manière d’ancrer cette approche dans la durée et de constituer une ressource opérationnelle pour des équipes renouvelées. Le bilan carbone et l’analyse du cycle de vie sont deux autres illustrations emblématiques de ces nouveaux outils aux méthodes rigoureuses et normées dont les musées se saisissent. Le palais des Beaux-Arts a fait pour l’heure un choix intermédiaire pour éclairer sa gestion et la production de projets : pas de bilan carbone des expositions mais un rapport d’impact pour chacune d’entre elles depuis Expérience Goya. Plutôt que d’avoir une photographie précise d’une exposition a posteriori, le musée a commandé à l’agence Atémia un calculateur carbone pour les principaux postes émetteurs que sont les œuvres (provenance et modalités de transport, conditionnement, convoiement), la scénographie (de l’achat de matière neuve à la fin de vie), la médiation (cartels et outils physiques de médiation, consommation des équipements numériques, production numérique), la communication et la programmation. Loin d’être exhaustive – d’autant plus que l’impact pourtant majeur de la mobilité des visiteurs n’y figure pas -, cette méthode de calcul a permis d’identifier des saillances et les leviers que le musée est en capacité d’activer pour minimiser les émissions de carbone. Ce calculateur est aujourd’hui utilisé par les équipes comme un simulateur, véritable outil d’aide à la décision dès la conception des projets d’exposition. Plus conscient des impacts des choix en train de s’opérer, le musée peut en temps utiles revenir sur ses décisions, sinon les assumer au motif de leur bénéfice social.

Enfin, en s’engageant dans une politique de développement durable, le palais des Beaux-Arts a mesuré l’importance d’un travail concerté et d’une mise en réseau. Le partage d’expérience avec d’autres institutions engagées dans des stratégies similaires contribue à alimenter une réflexion collective au service d’une transition écologique plus efficiente. En communiquant sur les échecs comme sur les réussites, certains écueils sont évités et des difficultés surmontées plus aisément. Si ces échanges sont souvent informels, la participation du musée à plusieurs réseaux professionnels plus structurés lui permet d’interagir avec une pluralité d’acteurs dont les connaissances et l’expertise viennent en appui des compétences dont il dispose en interne. Cette contribution à des réseaux constitués sont particulièrement primordiaux pour des chantiers touchant en profondeur les pratiques professionnelles et nécessitant des expertises techniques particulières. À ce titre, les travaux menés au sein du collectif des Augures portant sur le numérique responsable, l’éco-scénographie et l’éco-conditionnement méritent d’être soulignés.

Conclusion

Le travail réalisé à l’occasion de la programmation des expositions depuis 2021 a été une véritable opportunité collective pour les équipes du palais des Beaux-Arts et a permis d’éclairer et de nourrir le diagnostic à l’œuvre, de préciser les modalités d’intervention, de stimuler intellectuellement et opérationnellement les envies de progrès. Cette première étape de l’écoconception des expositions a favorisé les conditions du passage à l’acte et de la mise en œuvre d’une transition permettant ainsi d’en définir les périmètres et d’en construire les grandes orientations pour lier approche écologique et approche sociale. Elle a été l’occasion de poser les bases d’une démarche globale et d’un cadre méthodologique pour lequel il convient de rappeler qu’il doit être évolutif et adaptable selon les projets d’expositions. En effet, faire de la durabilité des expositions un nouveau paradigme ne repose pas simplement sur l’édification d’une nouvelle norme dont il s’agirait de suivre les prescriptions. Intégrer le développement durable nécessite de toujours se remettre en cause, d’être à l’écoute des évolutions du monde et des professions, de questionner ses usages. L’écoconception des expositions s’appuie donc sur une amélioration continue fondée sur l’expérimentation. Chaque exposition devient dès lors un nouvel exercice pour le musée qui, en s’appuyant sur le bilan du projet précédent, permet de mieux appréhender les impacts environnementaux tout en expérimentant de nouvelles pratiques toujours plus vertueuses et inclusives. Le palais des Beaux-Arts de Lille ne souhaite pas figer un modèle particulier d’exposition mais, à travers une programmation variée, il entend poursuivre une trajectoire agile et adaptable à chacun de ses projets où les choix faits peuvent être objectivés en connaissance de cause.

Notes

* Tous les liens URL ont été consultés en novembre 2024.

  1. Hallé F., Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest : un manifeste, Arles, Actes Sud, 2021.
  2. Ces chiffres représentent l’empreinte environnementale des prêts d’œuvres et comprennent la fabrication des caisses, le transport des œuvres et les trajets des convoyeurs.
  3. Rapport d’impact environnemental de l’exposition Expérience Goya, Lille, Palais des Beaux-Arts, 2022, en ligne : https://pba.lille.fr/content/download/6443/72837/file/RAPPORT+D%E2%80%99IMPACT+ENVIRONNEMENTAL_GOYA_PBA_2022_DEF.PDF.
  4. Rapport d’impact environnemental de l’exposition La forêt magique, Lille, Palais des Beaux-Arts, 2023, en ligne : https://pba.lille.fr/content/download/6890/86168/version/1/file/PBA_rapport-impact-environnemental-FORET-MAGIQUE-2023.pdf.
  5. Sur la mise en place des comités d’usagers ou focus groups au palais des Beaux-Arts de Lille, voir l’intervention de Florence Raymond à l’occasion de la journée professionnelle La stratégie du numérique dans les musées organisée par le ministère de la Culture le 5 octobre 2018, en ligne : https://www.culture.gouv.fr/Media/Thematiques/Musees/Colloques-Journees-d-etudes/Strategie-numerique-dans-les-musees/Intervention-de-Mme-Florence-Raymond.
  6. Filley G., Sanchez S., Eckelman M., « Life Cycle Assessment of Museum Loans and Exhibitions », Sustainability Tools in Cultural Heritage, en ligne : Life Cycle Assessment of Museum Loans and Exhibitions – STiCH (culturalheritage.org) ; voir aussi Nunberg S., Eckelman M. J., Hatchfield P., « Life Cycle Assessments of Museum Loans and Exhibitions: Three case studies at the Museum Fine Arts, Boston », Journal of the American Institute for Conservation, vol. 55, n° 1, 2016, p. 2-11.
  7. Sur une gestion plus raisonnée du climat dans les musées, voir notamment : National Museum Directors’ Council, The Bizot Green Protocol, 2015 (actualisé en septembre 2023), en ligne : Bizot_Green_Protocol_-_2023_refresh_-_Sept_2023.pdf (cimam.org) ; A Practical Guide For Sustainable Climate Control and Lighting in Museums and Galleries, Sydney, International Conservation Services and Steensen Varming, 2015, en ligne : 13785 A Practical Guide for Sustainable Climate Control and Lighting in Museums and Galleries Revision – Final (magsq.com.au) ; IPI’s Methodology for Implementing Sustainable Energy-Saving Strategies in Collections Environments, Rochester, Image Permanence Institute, 2017, en ligne : https://s3.cad.rit.edu/ipi-assets/publications/methodology_guidebook/methodology_guidebook_all.pdf ; Empfehlung zur Energieeinsparung durch die Einführung eines erweiterten Klimakorridors bei der Museumsklimatisierung, Deutscher Museumsbund, septembre 2022, en ligne : klimakorridor-fuer-sammlungsgut.pdf (museumsbund.de) ; Déclaration sur le climat pour les organisations du patrimoine, Bruxelles, octobre 2023, en ligne : DeclarationClimat_2 (kikirpa.be).
  8. Guide pratique d’écoconception, Lille, Palais des Beaux-Arts, 2021, en ligne : https://pba.lille.fr/content/download/6166/71045/file/GUIDE+PRATIQUE+D%E2%80%99%C3%89COCONCEPTION.pdf.

 

Pour citer cet article : Mélanie Esteves et Christelle Faure, "Écoconcevoir au palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration d’une démarche opérationnelle", exPosition, 22 novembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/esteves-faure-ecoconcevoir-palais-beaux-arts-lille/%20. Consulté le 22 décembre 2024.