Introduction

par Pierre-Vincent Fortunier et Sophie Montel

 

Pierre-Vincent Fortunier est muséographe et scénographe au sein de l’agence stéphanoise Le Muséophone. Il conçoit des expositions sur des thématiques historiques et sociétales. Il s’intéresse plus particulièrement aux nouvelles formes de médiation et d’écritures muséographiques. Il réalise des missions de conception, conseil et maîtrise d’œuvre dans le cadre de création ou modernisation de musées. Il conçoit également des scénographies, comme récemment celle de l’exposition EPIDEMIES au Musée des Confluences, à Lyon.

Sophie Montel est maîtresse de conférences à l’université de Franche-Comté, où elle enseigne l’art et l’archéologie du monde grec à Besançon. Spécialiste de la sculpture grecque et de ses modalités d’exposition, elle étudie également les collections de moulages ou tirages en plâtre, éléments du patrimoine scientifique comme de l’histoire de l’enseignement des arts et de l’archéologie. Ses champs de recherche l’ont amenée à questionner l’exposition sur le temps long ; elle assure par ailleurs le commissariat d’expositions lui permettant de valoriser les résultats de ses recherches.

 

Comme bien d’autres, les structures culturelles s’emparent de la question écologique et revoient leur mode de fonctionnement à l’aune des enjeux du développement durable. Ce numéro de la revue exPosition vous propose plusieurs points de vue sur cette question qui n’a pas encore de véritable vitrine.

Outre-Atlantique, après une première édition sur l’éco-responsabilité en 2012, la Société des musées du Québec a récemment publié un guide de bonnes pratiques (Musées et transition écologique. Bonnes pratiques muséales, 2024) que l’ICOM propose sur son site Internet.

L’ICOM a également mis en place SUSTAIN, un comité international sur les musées et le développement durable, qui prend la suite d’un Groupe de travail sur la durabilité (WGS) actif de 2018 à 2023 : « L’objectif de SUSTAIN est d’offrir aux membres de l’ICOM une tribune et une plateforme accessible où ils peuvent influencer l’orientation future de l’organisation dans tous les domaines liés à la durabilité et à la lutte contre le changement climatique. »

En France, le numéro 146 de la revue Culture et recherche du Ministère de la Culture (printemps-été 2024) a proposé au printemps un dossier d’une douzaine de pages sur la nécessité d’inscrire l’écologie comme politique publique de la recherche culturelle.

Le musée de Lille, présent dans ce numéro à travers l’article « Écoconcevoir au Palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration », est engagé depuis longtemps en faveur du développement durable ; il a également édité un Guide pratique d’écoconception construit autour deExpérience Goya, exposition présentée du 15 octobre 2021 au 14 février 2022.

L’édition 2023 des Rencontres des musées de France, organisée le 5 décembre 2023 au musée d’Orsay par le service des musées de France du ministère de la Culture, avait précisément pour thématique la transition écologique ; à cette occasion, le Ministère a présenté son Guide d’orientation et d’inspiration pour la transition écologique de la culture. On peut également signaler, sur un autre registre, la parution de l’ouvrage de Grégory Quenet (historien de l’environnement, professeur en histoire moderne à l’Université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines), L’écologie des musées. Un après-midi au Louvre (Éditions Macula, 2024), une lecture inspirante qui fait résonner autrement les enjeux communs de l’écologie.

En avril 2024, la fédération des Concepteurs d’Expositions XPO, regroupant l’ensemble des acteurs de l’écosystème, qu’ils soient muséographes, scénographes, manipeurs, agenceurs, concepteurs lumière, audiovisuels, multimédias… publie un « manifeste de l’écoconception des expositions permanentes et temporaires ». Ce manifeste regroupe une cinquantaine de propositions qui sont autant de pistes de réflexions et d’actions pour agir vers une exposition, plus propre, plus respectueuse, plus engagée aussi. Il montre la multiplicité des champs d’intervention possibles pour une exposition plus écoresponsable, tout en prévenant que cette énumération de propositions n’est pas exhaustive. Le champ de l’éco-responsabilité est un domaine à inventer, collectivement, en permanence, dont les actions sont à tester, à éprouver, à re-questionner, à faire évoluer. Les articles du présent numéro témoignent de cette diversité et de possibles à expérimenter.

Nous ne sommes pas les premiers, comme le montre ce rapide état de l’art, mais nous avions à cœur d’ouvrir les lignes de notre revue à ces enjeux.

Présentation des articles du numéro

Dans sa contribution que nous avons choisi de placer en tête du sommaire de ce numéro, Céline Schall (« L’écoresponsabilité des expositions : au-delà des mesures techniques, une révolution axiologique ») recense les domaines d’ajustements possibles et les changements structurels qu’il nous faut sans doute envisager pour des expositions plus conformes aux enjeux socio-écologiques. Anaïs Raynaud et Marjolaine Schuch (« Quitter la neutralité pour mieux l’atteindre ? ») présentent le travail réalisé par les équipes du musée national des Arts et Métiers pour préparer l’exposition Empreinte carbone, l’expo ! qui a ouvert ses portes le 16 octobre dernier. Des mesures concrètes sont présentées par Tony Fouyer qui traite dans un premier article (« L’exposition en réseau. Une solution éco-responsable à développer ? ») des possibilités permises par les expositions qui circulent d’un lieu à l’autre et sont conçues pour être partagées, un modèle expérimenté depuis longtemps par certains musées engagés ; on pense par exemple au Musée royal de Mariemont. Mélanie Esteves et Christelle Faure (« Écoconcevoir au Palais des Beaux-Arts de Lille : de l’expérimentation à la structuration ») reviennent sur les manifestations qui leur ont permis d’expérimenter l’écoconception des expositions et sur les leçons que l’on peut en tirer. C’est également un retour d’expérience que nous proposent Isabelle Lainé et Tony Fouyer (« Réemployer les matériaux et le mobilier scénographique. Du musée du quai Branly – Jacques Chirac au musée municipal de Bourbonne-les-Bains »). Enfin, le dernier texte, de Benjamin Arnault (« Notes sur les apports écologiques d’œuvres allographiques ») aborde la manière dont les artistes et les historiens de l’art traitent de l’éco-conception et de la neutralité des œuvres allographiques, qu’il faut sans doute nuancer si on considère l’empreinte carbone du stockage des données numériques.

Les questions de scénographie et de réemplois sont au cœur de notre numéro ; le souhait de Caroline Schall, qui appelle les structures à envisager la coprogrammation, trouve un écho intéressant dans le retour d’expérience de Tony Fouyer. Il reste encore beaucoup à dire sur quelques-uns des freins subis par les institutions culturelles : par exemple sur le vieillissement du parc immobilier qui les abrite, faisant des lieux culturels de véritables passoires thermiques ou sur la question des conditions de transport des œuvres qui nécessitent parfois des caisses faites ad-hoc pour une œuvre, conditionnement non réemployable et non stocké pour un éventuel nouveau déplacement de la même œuvre ; sur cette thématique, nous renvoyons au Guide de l’écoconditionnement des œuvres, un document élaboré entre mai 2023 et juin 2024 par le groupe de recherche-action dédié au sein de l’Augures Lab Scénogrrrraphie. Des ressources précieuses, à partager.

Nous espérons que vous sortirez grandis après la lecture de ces articles !

Pour citer cet article : Pierre-Vincent Fortunier et Sophie Montel, "Introduction", exPosition, 9 décembre 2024, https://www.revue-exposition.com/index.php/articles9/fortunier-montel-introduction/%20. Consulté le 22 décembre 2024.