par Florence-Agathe Dubé-Moreau
— Florence-Agathe Dubé-Moreau est autrice et commissaire indépendante en art contemporain. Elle détient une maîtrise en histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal, intitulée « Reprendre en écho(s). Effets et enjeux de la reconstitution d’exposition en art contemporain » (2018). Ses plus récents projets de commissariat ont été montrés à Montréal, Québec et Toronto. Elle était également assistante-commissaire pour la délégation canadienne à la 56e Biennale de Venise (2015). Ses textes ont été publiés dans les revues Esse et Intermédialités, ainsi que dans des ouvrages parus aux éditions d’art Le Sabord, Plein sud et Critical Distance. Elle est lauréate du Prix jeunes critiques Esse (2013) et de la Bourse Jean-Claude Rochefort (2018) : deux distinctions canadiennes en critique d’art contemporain. —
L’intérêt pour les reconstitutions d’œuvres, de performances, de chorégraphies et d’expositions ayant marqué les histoires s’est rapidement érigé en tendance généralisée à l’aube du nouveau millénaire et a inspiré plusieurs manifestations expographiques, conférences, parutions et événements. Certaines œuvres en sont même venues à être fréquemment présentées d’une exposition à l’autre ou citées de manière récurrente dans les textes scientifiques en tant qu’index du phénomène, mentionnons Third Memory (2000) de Pierre Huygue, The Battle of Orgreave (2001) de Jeremy Deller et Art Must Hang (2001) d’Andrea Fraser. Du côté de la performance, Seven Easy Pieces (2005) de l’artiste Marina Abramović et, du côté des expositions, When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 (2013) du commissaire Germano Celant sont, quant à elles, communément considérées comme des pierres de touche pour illustrer l’ampleur de cet engouement récent pour les réactualisations des points de vue théoriques, artistiques, pratiques et médiatiques.
De manière plus spécifique, c’est l’intensification du nombre de reconstitutions d’exposition sur la scène artistique occidentale entre 2009 et 2014 qui sert de préambule à cet article. Pourquoi ramener dans le présent une exposition passée sous une forme entière ou partielle ? Quoi reconstruire ? Comment en restituer la mémoire ? Et, pour ce qui m’intéresse ici, quels impacts et potentiels pour le travail en musée et le « faire » exposition ? Je souhaite précisément m’enquérir des répercussions de cette forme expographique à l’endroit du champ muséologique – qui étudie le musée dans ses fonctions d’exposition et de conservation et génère du savoir à partir des expositions[1] – pour sonder de quelles façons ces occurrences de (re)mise en espace révèlent les discours qui forment et informent l’exposition, tout en portant le pouvoir de les transformer.
Le moteur à l’origine de cette recherche est d’engager une réflexion sur la reconstitution d’exposition envisagée non pas comme un objectif ou une finalité, mais comme un « processus de transfert » vaste et complexe qui agirait dans le temps et l’espace selon un enchaînement d’opérations survenant avant, pendant et après l’événement. L’exposition se caractérise elle-même par un feuilletage spatio-temporel, en plus d’être un portail entre différents domaines d’activité et de pensée en art. Par opposition à une œuvre prise isolément par exemple, l’examen des processus de la reconstitution reporté spécifiquement à l’exposition offre un accès privilégié aux contextes institutionnels de présentation de l’art et aux approches discursives déployées pour l’y accompagner – ce que la philosophe Anne Cauquelin appelle « l’environnement de l’art » dans ses qualités matérielles et conceptuelles, et qui comprend « tout ce qui a trait à l’exposition et la déborde aussi[2] ».
L’historienne de l’art Elitza Dulguerova fixe autour des années 1980 les débuts d’un intérêt plus répandu pour les « expositions d’expositions » qui reproduisent des manifestations révolues, faisant de la reconstitution d’exposition un terrain d’étude relativement jeune et pourtant prolifique dans les dernières années[3]. Comme le chercheur Jérôme Glicenstein le fait remarquer, à partir des années 1970-1980, les reconstitutions d’exposition semblent progressivement changer de fonction pour « revisiter de manière critique la manière dont [les] avant-gardes ont intégré l’espace des institutions[4] » plutôt que de servir à une légitimation de l’art moderne, par exemple. Pour se rapprocher davantage des pratiques actuelles, les analyses de la théoricienne Claire Bishop sur les programmations du Van Abbemuseum (en particulier Play Van Abbemuseum [2009-2011] qui a initié plusieurs reconstitutions au sein du musée) permettent de décloisonner les possibilités qu’offrirait la reconstitution d’exposition en sondant des motivations muséologiques plus radicales à reconstituer et en exacerbant les propriétés anachroniques, performatives et politiques de son processus[5].
Ces mutations rendent alors nécessaire une définition plus élaborée de la reconstitution d’exposition afin d’y admettre une dimension critique, voire autocritique. Des cas récents comme Other Primary Structures (2014), au Jewish Museum de New York, et When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 (2013), de Celant, pointeraient vers cette utilisation différente de la reconstitution d’exposition. Cette dernière ne servirait plus uniquement à légitimer des mouvements artistiques ou à redonner accès au passé de façon passive, mais plutôt à créer des espaces où est problématisée la rencontre du passé et du présent et où, simultanément, il est possible de faire ressortir certains récits historiques ou codes muséaux. Dès lors, envisager la reconstitution d’exposition non seulement en tant que « processus de transfert », mais aussi (et surtout) en tant que « processus critique » la porterait en héritière de courants réflexifs en art contemporain, comme la critique institutionnelle des années 1960 à 1990 et le nouvel institutionnalisme (New Institutionalism) des années 1990 à 2000. Ensemble, ces deux éléments de situation historique font déjà poindre certains potentiels à caractère performatifs de la reconstitution à « agir sur » les objets, les personnes et les contextes que son processus critique implique.
Other Primary Structures et When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 sont rapidement devenues des cas exemplaires dans l’examen de la tendance ou des méthodologies en « re- » (reenactment, remake, reprise, etc.) dans les productions artistiques des dernières années. Elles incarnent, entre autres, deux postures diamétralement opposées : la critique du passé, pour la première, et l’hommage aux canons, pour la seconde. De façon à complexifier les analyses existantes[6] du résultat physique de leurs entreprises de reconstitution (dissemblable/semblable, critique/hommage), et surtout à dégager l’influence qu’elles exerceraient sur la muséologie, je propose de les étudier de manière comparative en fonction de « qui » reconstitue : l’institution ou le commissaire. Cette approche de la reconstitution par l’entremise des postures qui la performent permet d’isoler certaines variables de ces deux expositions afin de les inspecter sous un angle plus direct et plus fouillé avec une volonté de transversalité entre institution et commissaire.
Je cherche ainsi à cerner ce qui, dans la reconstitution d’exposition, serait actif [7]. En d’autres mots, je tente de localiser les différents sièges de son agentivité, c’est-à-dire sa capacité à « agir sur », voire à transformer non seulement les objets et leur historicisation dans l’histoire de l’art, mais aussi les contextes de monstration et les disciplines, comme la muséologie ou l’histoire des expositions, dont elle reconduit les codes et les idéologies.
Other Primary Structures : lorsque le musée reconstitue
Other Primary Structures, tenue en 2014 au Jewish Museum de New York en deux volets consécutifs, s’impose à l’étude pour deux raisons antithétiques : d’une part, le statut canonique qu’a acquis sa source – Primary Structures: Younger American and British Sculptors conçue par Kynaston McShine et présentée au même musée en 1966 –, étant généralement considérée comme l’une des premières expositions occidentales à rendre compte de la nouvelle sculpture d’après-guerre et comme la première exposition institutionnelle américaine sur l’art minimaliste ; d’autre part, la décision du musée, par l’entremise de son directeur adjoint responsable du projet, Jens Hoffmann[8], de ni réactiver la scénographie de 1966 ni remontrer les œuvres d’origine (Fig. 1). Cette reconstitution paradoxale fait voir qu’une institution, particulièrement lorsqu’elle « re-présente » une de ses anciennes expositions, porterait un regard « autoréflexif » sur l’enchâssement de son propre discours dans l’histoire des expositions et le champ muséal.
En avant-propos du catalogue, on découvre l’avis : « Cette exposition a été modifiée de sa version originale. Elle a été formatée pour inclure l’Autre[9] ». Bien qu’une vision similaire à celle de McShine soit appliquée pour chercher des artistes qui auraient semblablement participé à un moment minimaliste dans les années 1960 et 1970, la méthodologie privilégiée est plutôt informée par le contexte globalisé de l’art actuel et par les théories postcoloniales. Résultat : la sélection répond à des critères esthétiques comparables, mais comprend exclusivement des artistes de l’extérieur de l’Occident, absentes et absents de la première itération. Vingt-deux hommes et six femmes (soit trois fois plus qu’au départ) sont rassemblés ; elles et ils proviennent d’Asie, de l’Europe de l’Est, d’Amérique du Sud, d’Afrique et du Moyen-Orient, des parties du monde longtemps, voire encore, considérées comme périphériques ou sous-développées, en regard du canon occidental[10].
Pour chacun de ses deux volets, l’exposition investit cinq salles du Jewish Museum qui ne sont pas exactement les mêmes que celles de Primary Structures puisque l’aile Albert A. List, où elle s’était tenue au départ, a été entièrement réaménagée au cours des années 1990. Les sculptures, de grande taille et colorées pour la majorité, sont posées directement au sol ou suspendues dans une expographie caractérisée par l’emploi de larges reproductions en noir et blanc, documentant la mise en espace de 1966, qui habillent des murs entiers dans chacune des galeries (Fig. 2). L’exposition est également accompagnée d’un catalogue qui comprend la réédition du catalogue d’origine, depuis écoulé.
Pour analyser Other Primary Structures, les typologies de reconstitutions d’exposition proposées par Dulguerova et Reesa Greenberg, parues respectivement en 2009 et 2010 – soit au cœur d’une prolifération de cas en Occident autour des années 2010 –, sont particulièrement éclairantes[11]. Admettre qu’Other Primary Structures « réplique à » Primary Structures bien plus qu’elle ne « réplique » son original, ou ne le répète plus ou moins fidèlement, motive l’opposition que Dulguerova établit entre les types « riposte » et « reprise[12] ». Le fait qu’une distance temporelle entre les versions de 1966 et de 2014 soit annoncée d’emblée dans le texte de présentation de l’exposition et rendue visible dans les galeries tout au long de la visite – en opposition à la reprise où les publics auraient l’impression de plonger dans le passé de manière immersive – fonderait la capacité de la riposte à actualiser le passé à partir du présent. Dulguerova avance que le jeu temporel mis en œuvre par ce type de reconstitution pourrait être rapproché d’une compréhension benjaminienne de l’histoire où le passé aurait le pouvoir d’agir sur le présent[13].
Le concept de riposte chez Dulguerova est similaire à celui de « riff » chez Greenberg[14]. La riff est une exposition à propos d’une autre ; la réitération d’une exposition passée dont la mémoire est manipulée pour explorer son sujet en improvisant sur celui-ci ou en produisant des variations sur lui – ce à quoi la proposition du Jewish Museum répond tout à fait. L’interaction entre le passé et le présent qui en résulte est associée par Greenberg à la conception dynamique et rhizomatique de la notion d’histoire chez Aby Warburg, où l’archéologie et le présent sont mis en relation et s’augmentent mutuellement sous le modèle de la constellation. Que Dulguerova invoque Walter Benjamin et que Greenberg fasse appel à Warburg place la reconstitution d’exposition en dialogue avec la réévaluation méthodologique de la linéarité de l’histoire de l’art qui s’opère dans les développements récents de la discipline, en simultanéité avec la revalorisation des théories de ces deux historiens du XXe siècle. La reconstitution d’exposition s’inscrirait parmi des recherches qui, ces dernières années, soutiennent des modèles temporels anachroniques pour écrire l’histoire de l’art ou pour réfléchir son déploiement et sa production au sein du musée[15]. Dans une étude de l’agentivité de la reconstitution, Dulguerova et Greenberg nous lancent donc semblablement sur la piste des dimensions temporelles, historiques et historiographiques comme agents actifs de ce processus à l’endroit de la muséologie.
La mémoire des expositions
Le caractère site specific[16] d’Other Primary Structures, en prenant place dans le même musée qu’en 1966, amène plus loin la réflexion. Comment se rappelle-t-on des conditions architecturales de présentation qui, nécessairement, influent sur la réception et la pérennité d’une exposition ? L’exercice de spatialisation de la mémoire que la reconstitution sous-tend forcerait ici à reconnaître l’importance du lieu comme partie intégrante de l’histoire d’une exposition, et de son souvenir. Greenberg propose que cette « spécificité spatiale » fonctionne à l’image d’une « carte de mémoire[17] ». La relation spatiale va, selon elle, jusqu’à influencer la manière avec laquelle le sens se construit dans la structuration interne (conceptuelle et physique) d’une exposition. Reportée à la reconstitution d’exposition, le transfert de contexte se présenterait alors comme une particularité cruciale.
L’historien de l’art James Meyer rappelle qu’en 1966, les galeries du pavillon « contemporain » Albert A. List (bâti en 1963) exemplifiaient l’idéologie montante du White Cube : plafonds hauts, planchers neutres, vastes murs blancs dépourvus d’entrelacs, éclairage sur rails ajustable[18]. La taille et l’abondance des blow-ups en noir et blanc d’Other Primary Structures soulignent l’adéquation aiguë que les formes de Primary Structures entretenaient avec leur environnement de présentation, s’inscrivant en ligne directe avec cette actualité architecturale. Simultanément, ces photographies d’archives participent à créer cet effet de carte de mémoire pour les témoins de 1966, et on pourrait dire « d’index de mémoire » pour les nouveaux publics, en forçant l’apposition des vues d’exposition d’origine à l’architecture des salles contemporaines, comme autant d’indices du passé.
Pourtant en 2014, ce qu’on découvre est un contraste, une déconnexion. Alors que la cohérence de l’arrimage en 1966 entre les principes minimalistes et le cube blanc muséal est indissociable du caractère site specific de la première exposition ; à l’inverse, le « style Château » des rénovations de 1990 se dresseraient contre sa source en désynchronisant les recherches esthétiques des années 1960 avec leur lieu de monstration. L’adjonction de documents d’archives, et d’autres témoins du passé (comme la réédition du premier catalogue de même qu’une maquette de l’apparence du musée et de l’exposition en 1966), aux salles rénovées signaleraient sans équivoque les différences entre les deux contextes et empêcheraient d’évaluer la relation entre les œuvres et leur espace d’exposition de manière équivalente à 1966 (Fig. 3). Ainsi, on pourrait avancer que la relation entre le « contenu » et le « contenant » d’une exposition serait exacerbée dans le cas d’une institution qui rejoue une de ses propres expositions passées parce qu’elle ferait « doublement » voir le contenant : ses ruines et sa transformation.
Revendiquer sa voix
Lorsque Glicenstein se penche sur les motivations de l’écriture et de la mise en scène des histoires des expositions, l’une de celles qu’il dégage est la valorisation par les institutions artistiques de leurs principales productions[19]. Selon lui, « il est souvent question, […], pour des acteurs institutionnels, de démontrer l’importance d’une exposition par son évocation, par la citation de certains de ses éléments, voire par son reenactment[20] ». Allons plus loin : lorsque le musée initie et dirige lui-même la reconstitution d’une de ses propres expositions, il aurait logiquement un pouvoir plus grand, du moins différent, sur l’appareil discursif qui entoure la manifestation – en opposition à une réitération dirigée par une ou un commissaire indépendant-e ou une ou un artiste invité-e à revisiter l’histoire des expositions d’une institution par exemple –, car il se retrouve tant en amont qu’en aval de la reconstitution.
La reconstitution d’exposition confèrerait ici une forte agentivité (empowerment) au musée. Le Jewish Museum se porterait en position de gonfler la valeur symbolique de Primary Structures dans l’histoire de l’art et des expositions en l’inscrivant à nouveau dans un récit historique au moyen de la reconstitution et sur le mode de la canonisation. Automatiquement, le musée s’octroie le rôle d’en augmenter la fortune critique, médiatique et scientifique ; rôle non négligeable puisque sa posture de narrateur lui permettrait de contextualiser en ses mots et selon son idéologie l’ascendant de l’exposition source par rapport à l’art minimal, à l’art contemporain américain et aux enjeux esthétiques des années 1960 à New York.
Nous nous retrouvons devant un musée conservateur et producteur de sa trace historique, pour reprendre l’expression de la conservatrice Nathalie Leleu qui suggère que les copies et reconstitutions, « en tant qu’événements historiques en soi […] renseignent dans leur hic et nunc sans doute moins leurs référents que les motivations et les desseins de leurs promoteurs[21] ». Dans cette logique, la reconstitution d’exposition deviendrait une stratégie utilisée par le musée pour accéder à la sacralisation de l’histoire de même qu’à un positionnement privilégié dans le champ ou paysage muséal : maintenant que l’histoire a consacré Primary Structures et ses artistes, le Jewish Museum userait d’un redéploiement de cette exposition pour non seulement réinscrire l’exposition d’origine dans le cours de l’histoire de l’art, mais pour s’assurer que l’importance historique du musée, en tant que producteur de l’événement, ne soit ni évacuée ni oubliée. Et précisément parce qu’elle agit sur l’histoire des expositions du Jewish Museum, Other Primary Structures exposerait d’abord le musée, son audace artistique en 1966 et théorique en 2014 alors qu’il révise, voire rétroagit, sur son canon institutionnel. Hoffmann tourne un miroir vers Primary Structures, et le reflet contemporain qu’il nous renvoie est celui du Jewish Museum.
La validation convoitée par le Jewish Museum semble être transhistorique, c’est-à-dire qu’elle paraît se situer autant dans le passé, que dans le présent et le futur. En choisissant l’exposition la plus célébrée de son histoire et une période faste d’expérimentations en ses murs, le Jewish Museum ouvrirait finalement sur son futur[22]. Ce musée dont la mission est centrée sur l’exploration de la culture et de l’identité juives, livre ainsi un discours assez clair sur sa volonté à interroger sa propre contemporanéité et, ce faisant, il laisse imaginer son futur institutionnel – un futur qu’on peut concevoir, dans la filiation d’Other Primary Structures, informé par l’état du monde globalisé et les enjeux humains et économiques que cela sous-tend ; un futur (conditionnel ?) forgé par des idéaux culturels plus inclusifs et intersectionnels, comme si la reconstitution critique faisait espérer des actions à venir.
When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 : lorsque la ou le commissaire reconstitue
À l’opposé de l’initiative du Jewish Museum, l’exposition When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 présentée en 2013 à la Fondation Prada, à Venise, par Germano Celant propose une reconstitution se voulant la plus fidèle possible de Live in your head. When Attitudes Become Form: Works — Concepts — Processes — Situations — Information, tenue en 1969 à la Kunsthalle de Berne et organisée par Harald Szeemann (Fig. 4-6). Live in your head. When Attitudes Become Form est un moment saillant de l’histoire de l’art contemporain et de l’histoire des expositions en étant communément reconnue comme une des premières expositions internationales de l’art conceptuel, entre autres, et comme un bloc de départ pour étudier le commissariat d’exposition.
Son statut privilégié dans l’histoire des expositions lui a d’ailleurs déjà valu quelques autres reconstitutions, mais jamais à l’identique (plutôt des riffs très libres) et surtout jamais de l’ampleur de celle de Celant[23]. L’angle mimétique est particulièrement fécond pour observer les effets matériels et commissariaux[24] de la reconstitution en ce qui a trait à la fabrication concrète de l’exposition alors que le passé y est préservé « tel qu’il était[25] ». Cette approche peut être associée à une « réplique à l’identique » chez Dulguerova ou à la structure de la replica dans la typologie de Greenberg, sous lesquelles la reconstitution se rapproche de la célébration, de l’hommage, voire du fétichisme[26]. Le commissaire explique qu’il considère l’exposition originale comme un tout autonome, comme un « readymade[27] » qu’il qualifie d’historique, car plus qu’un objet, l’exposition aurait le pouvoir d’évoquer un contexte passé dans ses dimensions culturelles et sociales. Il cherche à réanimer la vivacité tout comme la radicalité de l’initiative de Szeemann afin de la rendre visible et perceptible aux nouveaux publics en mettant sur un pied d’égalité le contenu de l’exposition et son contexte de présentation.
La reconstitution prenait place durant la 55e Biennale de Venise à la Ca’ Corner della Regina, palais historique abritant la Fondation Prada sur les berges du Grand Canal. Celant est assisté par l’artiste contemporain Thomas Demand, ainsi que par l’architecte Rem Koolhaas. Cette tête tripartite renvoie par symétrie à la triple nature des enjeux qu’implique le transfert spatiotemporel : commissariale, artistique et architecturale. À travers une enquête archivistique extensive, ils s’affairent à retracer : chacune des œuvres (90 % des œuvres sont réexposées via des prêts, des reconstructions ou des réactivations de performances[28]) ; leur emplacement entre les différents sites de l’exposition, incluant les interventions extérieures in situ ; et celles non réalisées et non exposées, dans une volonté, revendiquée par Celant, de perfectionner le passé. Le défi de l’extraction et de l’implantation de l’exposition à échelle 1 : 1 dans un bâtiment complètement différent implique en outre d’innombrables questions techniques incluant : l’accrochage et la disposition spatiale, la dimension et la division des salles, les structures architecturales relatives aux planchers, aux murs et aux plafonds, mais aussi aux éléments périphériques, comme les plinthes, les moulures, les fenêtres, les portes et les calorifères (Fig. 7). S’il y a révision ou correction, pour reprendre des motifs croisés dans l’étude d’Other Primary Structures, c’est moins sur les plans critiques ou politiques, qu’en fonction d’une rectification du souvenir de l’exposition de manière à exprimer plus fidèlement son intention commissariale de départ.
Reconstruire le passé
L’angle mimétique du « readymade historique » de Celant permet de se pencher plus particulièrement sur les conditions techniques de présentation afin de les révéler en tant qu’éléments signifiants dans la perception d’une exposition et de ses œuvres. Parmi ces conditions, diverses stratégies entourant l’identité architecturale et graphique de When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 servent à illustrer sans détour les points de contact entre 1969 et 2013, comme s’il s’agissait de « coutures temporelles » laissées par l’action de la reconstitution. De l’expographie, à la campagne publicitaire, en passant par la jaquette du catalogue, le traitement qui est privilégié est d’exhiber franchement la juxtaposition des décors. Servent entre autres cet argument les découpages grossiers et légèrement exagérés des faux murs blancs imitant ceux de la Kunsthalle posés par-dessus les fresques anciennes ou le long des pilastres d’inspiration corinthienne qui ornent l’intérieur de la Ca’ Corner (Fig. 8). Un réseau de renvois temporels complexe s’installe ainsi entre l’exposition de 1969, reportée dans le présent, mais où le présent est aussi le passé, puisque son cadre est un palais vénitien du XVIIIe siècle…
Dans un entretien retranscrit dans le catalogue, Demand part de l’hypothèse que Celant parviendrait à montrer plus d’aspects de Live in your head. When Attitudes Become Form que Szeemann à l’époque, et suggère que la reconstitution irait jusqu’à faire en sorte que « les conditions de l’exposition sont aussi signifiantes que l’exposition elle-même[29] ». Le fait, par exemple, que la version de 2013 mette en évidence l’absence de socle, la faible participation féminine, la radicalité du White Cube et la liberté de circulation des publics dans l’espace, malgré l’extrême proximité des œuvres, incarnerait une augmentation (more aspects) de la proposition initiale. Il y aurait donc deux effets à considérer d’un point de vue muséologique ici : le processus de reconstitution serait potentiellement à même d’attirer l’attention de manière plus sensible qu’une exposition conventionnelle (non reconstituée) sur les techniques et les dispositifs de présentation de l’art ; et le passage du temps qu’il matérialise nous renseignerait sur le développement des façons d’organiser les expositions. À cet égard, l’engouement pour les reconstitutions d’exposition participerait non seulement de la professionnalisation des commissaires au cours des trois dernières décennies, mais en achèverait en quelque sorte l’accomplissement en les dotant d’une base de jalons historiques commune[30].
Le « fait commissarial »
L’attention se déplacerait alors des œuvres et des artistes d’origine vers le travail commissarial en ce qui a trait à son processus intellectuel, à sa méthodologie et à ses implications critiques. Mon acception du « commissarial » reprend ici la distinction qu’emploie Glicenstein, dans son plus récent ouvrage, entre l’adjectif « curatorial », qui renvoie à la pratique professionnelle des commissaires, et le nom « curatorial » (qu’il écrit en italique), qui se réfère au champ des réflexions actuelles sur la réalisation d’exposition[31]. Glicenstein traite d’un « monde du curatorial[32] » qu’il rapproche de l’expression « culture of curating » chez le commissaire Paul O’Neill[33] – et qu’on peut aussi associer au titre de la collection Cultures of the Curatorial, co-dirigée par la chercheure Beatrice von Bismarck[34]. Le commissarial opèrerait à un niveau différent de celui du commissariat, en ce sens où il dépasserait les aspects administratifs, logistiques ou techniques en amont de la présentation d’une exposition pour englober une conception transdisciplinaire, transhistorique et transculturelle de son projet théorique dans une temporalité de l’événement beaucoup plus fluide.
L’approche commissariale personnelle de Celant – malgré le mimétisme de la reconstitution – est entre autres appréciable à travers les altérations du titre de l’exposition d’origine. Celant en retranche une partie pour ne conserver que la portion centrale et la plus connue, à laquelle il ajoute les données descriptives Bern 1969/Venice 2013. Ce changement fonctionne de manière performative dans le temps et l’espace en rendant visible graphiquement les processus d’extraction et de transfert de la reconstitution, et incidemment l’écart entre les deux. Le nouveau titre avertit également que les lieux ultérieurs de la tournée en 1969 (le Museum Haus Lange à Krefeld, et l’Institute of Contemporary Arts (ICA) à Londres) sont évacués. On peut imaginer la complexité temporelle et spatiale qu’ajouterait la reconstitution d’une exposition approchée tout autant dans son identité conceptuelle d’origine que dans sa « re-présentation » au fil de sa tournée. Non seulement cela contribuerait à valoriser la relation étroite entre exposition et espaces de présentation, mais cela entourerait ces déploiements subséquents d’une substance historique et critique capable d’enrichir la mémoire et le legs de l’exposition source[35]. Enfin, la police du titre de la reconstitution calque, à s’y méprendre, celle de la couverture du célèbre ouvrage Arte Povera, publié par Celant en 1969, qui cristallise une génération d’artistes autour du mouvement éponyme, celui-là déterminant dans le positionnement de Celant en art contemporain (Fig. 9). C’est d’ailleurs pendant la préparation de ce livre qu’il fait la connaissance de Szeemann, en 1968, et qu’il en vient à jouer un rôle dans l’inclusion d’une délégation italienne à Live in your head. When Attitudes Become Form ainsi qu’à prononcer le discours d’ouverture le soir du vernissage. Alors que le Jewish Museum entrait en dialogue avec sa propre histoire institutionnelle avec Other Primary Structures, on constate ici que Celant emploierait la reconstitution pour s’inscrire (voire se « ré-inscrire ») dans l’histoire stellaire de Szeemann et de la première exposition – tout en parvenant à faire briller la subjectivité et l’agentivité de sa propre voix.
Un dernier intérêt disciplinaire à reconstituer serait décelable dans la relecture des méthodologies commissariales et des outils discursifs qu’elle permet. Dans la Ca’ Corner, tout se passe comme si la reconstitution appuyait sur l’ensemble et le « chaos » d’origine : l’absence de parcours de visite précis, l’absence d’accompagnement textuel (médiation) et surtout l’absence d’une définition concise de ces « attitudes ». Notre regard se pose d’abord sur l’exposition de Szeemann puis sur celle de Celant bien avant de découvrir les œuvres individuellement… La fenêtre sur le passé qu’ouvre la reconstitution, malgré ses imperfections anachroniques, est une occasion de prendre la mesure, dans un rapport physique et conceptuel, des disparités avec les pratiques contemporaines en commissariat et l’approche radicale du médium exposition par Szeemann. Elle se présenterait dès lors comme un processus capable de montrer le « faire » exposition, et ce, dans une valorisation équivalente des commissaires, de la théorisation du commissarial et de l’histoire des expositions au sein de la discipline muséologique.
Cette étude comparative nous invite au final à envisager la reconstitution comme un outil de réflexion sur le « devenir public[36] » de l’art à travers les discours institutionnel et commissarial, en permettant de passer par métonymie de l’exposition au musée ou de l’exposition aux commissaires. C’est parce qu’elle engage des contextes, des méthodes, des stratégies de diffusion, des expôts et des actrices et acteurs variés que la reconstitution d’exposition se révèle être un processus critique riche.
Ce point de mire particulier donne à voir la reconstitution moins comme une répétition que comme un moyen d’insister sur la différence – ou comme un moyen de générer cette différence. La reconstitution serait-elle en fait « résistance » bien plus que « répétition » ? Il n’est pas uniquement question de montrer le passé, mais bien de le « re-montrer » dans une contemporanéité où le préfixe « re- » en est un qui transforme le passé, qui résiste à son achèvement et le garde actif, mobile. La reconstitution en viendrait ainsi à ouvrir un espace d’actualisation pour le champ muséologique en ce qui a trait aux approches théoriques et pratiques qui régulent l’espace d’exposition et la production de savoirs à partir des expositions. Il ne s’agirait non pas d’un processus réactif, mais bien d’un processus productif de potentialités positives tendues vers le futur.
Notes
[1] J’aborde la muséologie actuelle comme un « moyen dynamique » d’approfondir simultanément les connaissances sur l’histoire des musées et d’examiner leur organisation interne ainsi que leurs fonctions de recherche, de conservation, d’exposition et de diffusion, mais surtout, comme un « devoir réflexif » sur l’institution muséale et ses responsabilités intellectuelles et sociales.
[2] Cauquelin A., Les machines dans la tête, Paris, Presses universitaires de France, 2015, p. 178. Voir aussi : Cauquelin A., L’art contemporain, Paris, Presses universitaires de France, 2013.
[3] Dulguerova E., « L’expérience et son double : notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie », Intermédialités, n° 15, 2010, p. 53-71.
[4] Glicenstein J., L’invention du Curateur. Mutations dans l’art contemporain, Paris, Presses universitaires de France, 2015, p. 156.
[5] Bishop C., Radical Museology: or, What’s “Contemporary” in Museums of Contemporary Art?, Londres, Kœnig Books, 2013 ; Bishop C., « Reconstruction Era: The Anachronic Time(s) of Installation », When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, cat. exp., Milan, Progetto Prada Arte, 2013, p. 429-436.
[6] Par exemple dans : Buskirk M., Jones A., Jones C. A., « The Year in “Re” », Artforum International, n° 52 (4), décembre 2013, p. 127-130 ; Nicolao F., « The Sweet Surprise of Thinking Back », Domus, n° 971, juillet 2013, p. 10-11 ; Ramade B., « L’audace par procuration : lorsque l’exposition est reproduite », Ciel variable, n° 97, printemps-été 2014, p. 46-53 ; Mallonee L. C., « Why Are There So Many Art Exhibitions Revivals? », Hyperallergic, 11 août 2014, en ligne : hyperallergic.com/138834/why-are-there-so-many-art-exhibition-revivals/ (consulté en mars 2020) ; Glicenstein J., « En quête d’un canon des expositions », Esse arts+opinions, n° 84, printemps-été 2015, p. 14-21 ; Spencer C., « Making it New. Why do museums recreate landmark exhibitions, installations and performances, and what can we learn from these restagings? », Apollo, mai 2015, p. 24-26.
[7] Dans une certaine mesure, cette perspective est inspirée des études de genres ; en particulier des écrits de la philosophe Judith Butler qui, partant des théories sur la performativité développées par les philosophes John Langshaw Austin et Jacques Derrida, associent performativité et agentivité. En art, les travaux de la théoricienne Dorothea von Hantelmann, qui cherchent à montrer comment l’art peut avoir un impact social au moyen du concept de performativité – compris comme postulat temporel, matériel et sociétal –, me permettent d’envisager l’agentivité et la productivité de la reconstitution d’exposition. Voir : Butler J., Excitable Speech: A Politics of the Performative, New York, Routledge, 1997 ; Hantelmann D. (von), How to Do Things with Art: The Meaning of Art’s Performativity, Dijon, Les presses du réel, 2010.
[8] Jens Hoffmann a été destitué de ses fonctions en décembre 2017 à la suite d’allégations de harcèlement sexuel faites à son endroit au Jewish Museum. Le cas a été conservé à l’étude, car c’est véritablement la posture du musée qui apparaît riche à problématiser ici plutôt que l’apport de Hoffmann.
[9] Other Primary Structures, cat. exp., New York, The Jewish Museum, 2014, vol. 1, n. p. : « This exhibition has been modified from its original version. It has been formatted to include Others ».
[10] Hoffmann J., « Another Introduction », Other Primary Structures, cat. exp., New York, The Jewish Museum, 2014, vol. 1, n. p.
[11] Dulguerova E., « L’expérience et son double : notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie », Intermédialités, n° 15, 2010, p. 53-71 ; Greenberg R., « Remembering Exhibition: From Point to Line to Web », Tate Papers, n° 12, automne 2009, en ligne : tate.org.uk/research/publications/tate-papers/12/remembering-exhibitions-from-point-to-line-to-web (consulté en mars 2020).
[12] Dulguerova E., « L’expérience et son double : notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie », Intermédialités, n° 15, 2010, p. 58.
[13] Ibid., p. 62.
[14] Greenberg R., « Remembering Exhibition: From Point to Line to Web », Tate Papers, n° 12, automne 2009, en ligne : tate.org.uk/research/publications/tate-papers/12/remembering-exhibitions-from-point-to-line-to-web (consulté en mars 2020).
[15] À cet égard, soulignons les écrits de l’historien de l’art Georges Didi-Huberman, qui a aussi travaillé à partir de Warburg et de Benjamin. Voir, entre autres : Didi-Huberman G., Devant le temps : histoire de l’art et anachronisme des images, Paris, Éd. de Minuit, 2000 ; Didi-Huberman G., L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Éd. de Minuit, 2002 ; Careri G., Didi-Huberman G., L’histoire de l’art depuis Walter Benjamin, Paris, Éd. Mimésis, 2015.
[16] J’utilise ce concept comme l’emploie Greenberg dans son travail pour traiter de la corrélation entre les conditions physiques de présentation d’une exposition et la signification de cette dernière. Voir : Greenberg R., « The Exhibited Redistributed: A Case for Reassessing Space », Thinking about Exhibitions, Londres, Routledge, 1996, p. 349-367.
[17] En référence aux notions « site specificity » et « memory map » : Greenberg R., « Remembering Exhibition: From Point to Line to Web », Tate Papers, n° 12, automne 2009, en ligne : tate.org.uk/research/publications/tate-papers/12/remembering-exhibitions-from-point-to-line-to-web (consulté en mars 2020).
[18] Meyer J., Minimalism: Art and Polemics in the Sixties, New Haven ; Londres, Yale University Press, 2001, p. 18.
[19] Glicenstein J., « Quelques questions posées par l’histoire de l’exposition », art press 2, n° 36, février-avril 2015, p. 10.
[20] Ibid.
[21] Leleu N., « “Mettre le regard sous le contrôle du toucher”. Répliques, copies et reconstitutions au XXe siècle : les tentations de l’historien de l’art », Les cahiers du musée national d’Art moderne, n° 93, automne 2005, p. 87.
[22] Balzer D., « Jens Hoffmann on Structures, Primary and Otherwise », Canadian Art, 13 mars 2014, en ligne : canadianart.ca/features/jens-hoffmann-on-structures-primary-and-otherwise/ (consulté en mars 2020) : « It’s also an introduction to the Jewish Museum and the future of the Jewish Museum and is aware of its past and a very particular period–one we’d want to continue with ».
[23] Nommons les reconstitutions à la Whitechapel Gallery, Londres, en 2000 (qui se concentrait sur le contexte britannique des années 1965 à 1975) et au California College for the Arts (CCA) Wattis, San Francisco, en 2012 (dont seulement la maquette était une reconstitution à l’identique) qui était d’ailleurs organisée par Hoffmann.
[24] Dans la francophonie globalisée, l’emploi du néologisme « commissarial » est courant, surtout au Québec. Il est équivalent à la francisation du mot curatorial et s’arrime au fait qu’en art, le titre professionnel de « commissaire » y est aussi préféré aux termes « curateur » (populaire en France) ou « curator » (populaire en Belgique).
[25] La posture de Celant vis-à-vis du passé pourrait être rapprochée de celle d’un auteur souvent cité dans les écrits sur le phénomène, soit Robin George Collingwood, un philosophe du XXe siècle, généralement identifié comme le premier à avoir utilisé le terme « re-enactment ». Dans son ouvrage The Idea of History (1946), il signe un passage sur la connaissance de l’histoire précisément à travers le re-enactment de l’expérience passée. Pour Collingwood, la reconstitution est un fait de l’esprit (act of thought) grâce auquel l’historien (non féminisé dans le texte d’origine) serait capable de remettre en acte le passé. Le re-enactment serait une action performative au moyen de laquelle l’historien peut se projeter dans le passé pour le « re-penser » ou le « ré-expérimenter » à partir du présent. Il s’agirait de la seule méthode à légitimer l’écriture du récit historique selon une quête ou un souci d’objectivité et de véracité. Cette démarche mentale, répondant d’une histoire positiviste, permettrait ainsi d’extraire une vérité du passé. Voir : Collingwood R. G., The Idea of History, Oxford, Oxford University Press, 2005 (1946).
[26] Dulguerova E., « L’expérience et son double : notes sur la reconstruction d’expositions et la photographie », Intermédialités, n° 15, 2010, p. 53-71 ; Greenberg R., « Remembering Exhibition: From Point to Line to Web », Tate Papers, n° 12, automne 2009, en ligne : tate.org.uk/research/publications/tate-papers/12/remembering-exhibitions-from-point-to-line-to-web (consulté en mars 2020).
[27] Celant G., « A Readymade: When Attitudes Become Form », When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, cat. exp., Milan, Progetto Prada Arte, 2013, p. 389-392.
[28] Verhagen E., « Germano Celant. Quand les attitudes deviennent forme : Berne 1969/Venise 2013 », art press, n° 401, juin 2013, p. 35.
[29] Celant G., « Why and How. A Conversation with Germano Celant », When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013, cat. exp., Milan, Progetto Prada Arte, 2013, p. 396-397 : « the conditions of the show are as telling as the show itself ».
[30] Voir entre autres : Glicenstein J., « En quête d’un canon des expositions », esse arts+opinions, n° 84, printemps-été 2015, p. 14-21.
[31] Glicenstein J., L’invention du Curateur. Mutations dans l’art contemporain, Paris, Presses universitaires de France, 2015.
[32] Ibid., p. 105.
[33] O’Neill P., The Culture of Curating and the Curating of Cultures(s), Cambridge, The MIT Press, 2012.
[34] Le premier titre de la collection : Schafaff J., Bismarck, B. (von), Weski T., Cultures of the Curatorial, Berlin, Sternberg Press, 2012.
[35] L’enjeu des tournées, voire les co-productions entre différentes institutions, en regard de la reconstitution d’exposition est un vaste sujet en soi qui mériterait une étude plus approfondie.
[36] L’expression « becoming public » est empruntée aux travaux de Bismarck, dont : Bismarck B. (von), « Out of Sync, or Curatorial Heterochronicity. “Anti-Illusion: Procedures/Materials” (1969) », Frank R., Meyer-Kramher B., Schafaff J., Bismarck B. (von), Weski T. (dir.), Timing: On the Temporal Dimension of Exhibiting, Berlin, Sternberg Press, 2014, p. 301-318.